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Paul-Yanic Laquerre : « Douze cobayes humains purent échapper à la mort. Maruta 454 est leur histoire. »

Par Thierry Lemaire le 25 novembre 2010                      Lien  
Journaliste pour la revue {Deuxième Guerre mondiale}, Paul-Yanic Laquerre s’occupe plus particulièrement du front asiatique. Il a d’ailleurs écrit un roman historique sur l'empereur Hiro Hito. Avec {Maruta 454}, publiée chez Xiao Pan, il aborde avec sa première BD un sujet peu connu, les cobayes humains des camps d'expérimentation de l'armée nippone.

Comment avez-vous eu l’idée d’écrire cette histoire ?

Paul-Yanic Laquerre : « Douze cobayes humains purent échapper à la mort. Maruta 454 est leur histoire. »
La couverture de Maruta 454.
(c) Laquerre-Pastor/Xiao Pan

En écrivant des articles sur Shiro Ichii et l’unité 731 [nom de code pour désigner le département d’expérimentation sur les humains de l’armée japonaise - Shiro Ishii est le médecin qui a organisé les expériences], j’ai découvert qu’il y avait une unité postérieure. Que Shiro Ichii s’était fait la main en 1931-32 et que non seulement il y avait eu une unité, mais qu’il y avait eu dans l’un des camps d’expérimentation une évasion, la seule sur les 15 ans d’existence du réseau. Douze « cobayes » purent ainsi échapper à la mort. Maruta 454 est leur histoire.

Et cet épisode avait été complètement oublié, voire occulté.

Le régime communiste en Chine a imposé une loi du silence sur tout ce qui s’est passé avant son arrivée au pouvoir. Ça fait seulement une dizaine d’années que le gouvernement chinois commémore les grands massacres comme celui de Nanjing (200 000 morts) et la guerre de résistance. Parce que traditionnellement, cette guerre était menée par les nationalistes. Les communistes n’étaient que des figurants. Ils ont gagné une seule bataille à Pingxingguan. Ce n’était pas avantageux pour eux de rappeler cette époque là, d’autant plus que la Chine était faible. C’est revenu à l’ordre du jour avec la promotion d’une Chine forte et unie pour que ça ne se reproduise plus. Désormais, les écoliers chinois vont visiter les lieux des unités 731, comme on le fait pour les camps de concentration en Europe. Et c’est le directeur de ces lieux, en faisant des recherches, qui s’est aperçu qu’il y avait eu des unités avant, plus au Sud. Il s’est mis à interroger des villageois, et il a trouvé un rescapé, Ziyang, et celui qui l’a aidé, Zemin Wu. C’est leur témoignage qui a permis de reconstituer l’histoire.

L’unité 731 a été connue à partir de quand ?

Paul-Yanic Laquerre
(c) T. Lemaire

Très rapidement, parce que les Américains et les Anglais savaient que les Japonais utilisaient les armes chimiques et bactériologiques pendant la guerre. Dès 1937, il y a un régiment dans chaque division Showa (armée japonaise) qui utilise des armes chimiques, en contravention de toutes les règles internationales. Les armes bactériologiques sont utilisées plus sporadiquement. Contre les soviétiques, les Japonais balancent des bidons infectés par la typhoïde dans une rivière en amont de l’armée rouge. Mais le résultat n’est pas convaincant car des soldats japonais contractent la maladie.

En 1941, il y a une trentaine de camps d’expérimentation à travers toute la Chine et jusqu’à Manille. Il y en a un à Rangoon en Birmanie. Guy Delisle en parle dans son livre Chroniques birmanes. Quand les Américains commencent à reconquérir le Pacifique, ils s’attendent à être attaqués de cette manière. Et effectivement, il y a des projets. Mais l’empereur Hiro Hito refuse parce qu’il craint les représailles. Donc, en 1945, le général Mac Arthur connaît parfaitement l’existence de ces unités. Mais il plaide auprès du président Truman une politique de pardon des criminels de guerre pour garder secret leurs découvertes, même vis-à-vis des autres alliés, et collaborer avec eux.

Qu’est-ce qui se passait dans ces camps ?

Il faut savoir que la durée de survie ne dépassait pas un mois. On parle de la mort de 20 000 cobayes humains environ. C’est approximatif parce qu’évidemment, toutes les archives ont été détruites. Mais il reste encore des rapports d’inspection pour nous donner une idée des procédures. Je cite ce rapport en préface, avec des expériences de décharges électriques. On sait aussi que les Japonais arrosaient les prisonniers dans le froid intense pour tester ensuite la résistance des membres. Et puis il y avait tout un nombre d’expérience de vivisection et sur les épidémies.

À partir de quels documents avez-vous travaillé pour écrire cette histoire ?

J’ai une bibliographie importante. Les premiers livres qui parlent de l’évasion datent du début des années 1980. Les informations sont fragmentaires au début et petit à petit, les faits se reconstituent. La source principale est un historien chinois, repris par les Américains. J’ai fait des recoupements, et j’ai bien sûr dramatisé l’action et rempli les vides. Mais l’histoire de ce fameux Li, qui libère les autres en restant dans le camp et en disant « souvenez-vous de moi » est authentique.

Et ce qui est très émouvant, c’est que les rescapés ne l’ont pas oublié.

Exact. Je crois que leurs motivations étaient de raconter cette histoire là. Parce que souvent, c’est le cas des esclaves sexuels par exemple, on n’a pas avantage à raconter ces histoires-là parce qu’on est victime. Je suis convaincu que ces gens-là n’avaient pas envie de raconter leur histoire. Le fait qu’ils aient parlé, c’est en hommage à leur camarade.

Comment a été choisi le dessinateur ?

C’est Patrick Abry [fondateur et directeur de la maison d’édition Xiao Pan] qui a contacté Song Yang. Et celui-ci a proposé un dessinateur de son studio, dont c’est le premier projet d’envergure, qui a comme pseudonyme Pastor. Moi, je n’avais pas d’idées préconçues mais je ne voulais pas que ce soit un style manga traditionnel, avec les grands yeux, etc. J’étais emballé par les premières esquisses de Song Yang – c’est lui qui a fait la couverture – mais le problème des délais a fait qu’il ne pouvait pas se charger de l’album entier. Compte tenu de cette contingence, j’ai trouvé que le style plus simplifié de Pastor était le meilleur compromis qu’on pouvait trouver.

Justement, ce dessin esquissé participe à l’ambiance. C’est sombre, on a du mal à différencier les personnages, il y a une sorte de déshumanisation qui colle bien avec le propos de l’histoire.

Oui, c’est vrai. Je n’y avais pas pensé au départ, parce que j’avais établi des personnages bien campés. Avec le temps, je m’y suis fait et j’ai embarqué dans cette direction. Ça donne une ambiance oppressante. C’est le thème.

Et l’histoire est prévue en combien de tomes ?

J’ai laissé une fin ouverte. Tout dépendra de l’accueil du public. Je trouve qu’il y a matière à continuer les aventures de Ziyang. D’en faire un résistant et de montrer la guerre à travers ses yeux.

Cet album va peut-être avoir un grand succès en Chine ?

Peut-être, parce que les Chinois ignorent en grande partie cette histoire d’évasion. J’aimerais bien que la BD soit publiée en Chine. C’est quelque chose qui peut se faire dans un deuxième temps. On va déjà attendre de voir la réception du public francophone.

Cette BD est quand même un sacré pavé dans la mare japonaise. Même si on connaît les faits, ça remet l’événement sur le devant de l’actualité.

Effectivement, je doute fort que ce livre soit publié au Japon un jour. Cette facette de la Seconde Guerre mondiale est complètement occultée là-bas.

Il est encore trop tôt pour avoir une réaction de l’ambassade du Japon en France.

Oui, on n’a pas eu non plus de réaction de l’ambassade de France au Japon (rires). Mais je pense que les Japonais vont passer ça sous silence. Il y a un proverbe japonais qui dit « Quand quelque chose sent mauvais, on met le couvercle sur la marmite ».

(par Thierry Lemaire)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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