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Pauvre Lampil : l’étonnante intégrale

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 25 août 2011                      Lien  
La publication de l’intégrale des gags de Pauvre Lampil (Dupuis) fait figure d’évènement car ce précurseur de l’autofiction en BD est un véritable document qui éclaire sous un jour inédit des aspects alors méconnus du quotidien du créateur de bande dessinée des années 1970-80.

Willy Lambillotte alias Willy Lambil a une relation privilégiée avec les éditions Dupuis. Enfant, il avait envoyé un dessin au courrier des lecteurs et Spirou le publia. « Pourquoi dessiner toujours des indiens ? » lui demande le rédacteur.

Quelques années plus tard, le jeune Lambillotte est recruté par Dupuis. Au bas de l’échelle, il fait longtemps du lettrage pour l’éditeur de Marcinelle, souvent en flamand, une langue qu’il maîtrise peu. L’obscur grouillot propose bientôt la série Sandy & Hoppy dont les 24 albums paraîtront bien des années après leur première publication dans l’hebdomadaire de la bonne humeur.

En 1968, grâce au trou d’air laissé dans Spirou par le départ de Lucky Luke, Cauvin lance Les Tuniques bleues. Le succès revient par transitivité à Lambil qui reprend la série à la suite du décès inattendu de Salvérius en 1972. Mais cette réussite aura toujours un goût amer pour cet auteur qui faisait lui-même ses scénarios et qui, pour la circonstance, obtient la notoriété avec une série qu’il n’a pas créée et dont l’argument est conçu par un ancien collègue, Raoul Cauvin, grouillot comme lui, longtemps responsable de la seule photocopieuse de la maison, mal considéré à ses débuts par le rédacteur en chef Yvan Delporte qui n’a de cesse d’entraver la carrière du jeune scénariste.

Le duo Cauvin / Lambil n’est pas une association de débutants, cela fait des années qu’ils en bavent. Ce sont des gens modestes qui n’ont eu longtemps que Marcinelle comme seule horizon et les tumulus noirs des charbonnages comme seules montagnes. On l’oublie parfois en relisant ces pages de Pauvre Lampil.

Pauvre Lampil : l'étonnante intégrale
"Pauvre Lampil", l’intégrale par Raoul Cauvin et Willy Lambil.
(C) Editions Dupuis

Une vision fantasmée du créateur de BD

Le parallèle avec Gaston Lagaffe est évident. Avec le gaffeur, Franquin nous montrait une rédaction fantasmée, je veux dire telle que pouvait la fantasmer le lecteur. Dans Pauvre Lampil, Cauvin & Lambil nous montrent l’univers d’un créateur de BD tel que pouvait le fantasmer un lecteur des publications Dupuis à un moment où la BD atteint enfin un statut honorable, où elle est exhibée dans des salons (on y voit un gag hilarant à propos de la première édition d’Angoulême), où l’auteur passe à la radio cornaqué par une attachée de presse, ce qui était absolument nouveau pour ces solitaires assez peu doués pour la communication, et où enfin, l’auteur rencontre son public, lui qui ne le connaissait jusque là que par le filtre biaisé du référendum.

L’autre enseignement de cet album qui constitue, dans un raccourci saisissant, une sorte de journal rassemblant plus de vingt ans d’anecdotes sur le métier, c’est la violence du rapport entre le dessinateur et le scénariste. Une vraie relation tumultueuse et passionnée dont le seul sujet est la destinée de leur progéniture de papier et qui prend le lecteur à témoin comme ces couples qui font leurs scènes de ménage en public et qui s’interdisent le divorce à cause des mômes.

Là aussi, cependant, la relation est biaisée. Car si les affres de la création confinant à la déprime sont détaillés dans ces pages en ce qui concerne le dessinateur, le scénariste nous est montré allongé dans son divan, produisant ses idées sans coup férir, en position d’observateur neutre. On est loin d’un Goscinny qui s’arrachait ses rares cheveux tous les matins en déclarant à sa femme : « Je n’ai plus d’idée ! Je suis foutu ! »

Modernes

Il faut s’attarder aussi sur la préface de Thierry Martens, récemment disparu, le rédacteur en chef qui a permis l’éclosion de cette série culte. Il était le créateur de la rubrique Carte blanche dans Spirou, ces pages où sont nés bien des jeunes auteurs de la nouvelle génération, de Frank Pé à Yslaire, en passant par Jannin, Bercovici ou Yann & Conrad. Un banc d’essai où l’on pouvait repérer de jeunes talents, mais aussi une soupape créative pour les vieux briscards du journal engoncés dans leur série régulière dont cette préface définit bien le dogme qui pèse sur le galérien : « Il faut un album au moins par an pour garder un minimum de présence dans les librairies, plus si l’on veut développer un véritable succès. Par ailleurs, la périodicité irrégulière n’incite pas les grandes surfaces à s’intéresser au produit. C’est un lourd manque à gagner, car elles constituent généralement plus de la moitié des ventes. »

Martens décrit ici avec une incroyable probité l’implacable loi des séries qui allait cliver la BD dans les années 1980-1990…

Enfin, il faut regarder de près les dernières pages de l’album qui nous montrent les deux auteurs assis sur un banc à l’hospice et qui n’arrivent même plus à se souvenir quelle série ils ont animée leur vie durant. Ici, le rire se fait grinçant, comme dans Pierre Tombal. Le créateur de BD vieillissant est un thème dont Trondheim s’était saisi avec talent dans Désœuvré (L’Association), sans doute l’un de ses meilleurs albums.

Cette vanité, au sens artistique du terme, qui insiste sur la précarité de la création, démontre à quel point les auteurs de Pauvre Lampil sont de véritables modernes.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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11 Messages :
  • Pauvre Lampil : l’étonnante intégrale
    25 août 2011 10:39, par Alban Day-Scinnais

    Excellente initiative que la ré-édition enfin de cette chronique parfois aigre-douce, toujours amusante des déboires de Lam(p)bil et Cauvin devenue difficilement trouvable. !

    Lampil inconnu à la radio ou confondu à Angoulème avec Franquin, gourmet se battant avec son boucher, hypocondriaque en froid avec son pharmacien ou essayant de dialoguer avec Cauvin dérangés par femmes, enfant et animaux domestiques. > La vie d’auteur de BD n’est pas de tout repos ^|^

    le plus surprenant dans cela est la réaction de Lampil qui, d’après la préface, regrette (voire renie) cette série !?...

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    • Répondu par marcusbrody le 25 août 2011 à  12:12 :

      le plus surprenant dans cela est la réaction de Lampil qui, d’après la préface, regrette (voire renie) cette serie !?...

      Cauvin et Lampil se sont réellement trouvé dans une situation conflictuelle très dure. Peut-être que ces albums lui rappelle trop cette époque ?

      Pour l’intégrale, on y admire autant la capacité de Cauvin à retranscrire son quotidien (et celui de ses collègues) que l’évolution du trait de Lambil

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      • Répondu par Alex le 26 août 2011 à  01:12 :

        Le dessin de Lambil ne cesse de m’épater. Effectivement, quelle évolution ! J’irais jusqu’à dire que je comprends pourquoi ici et là il fait sa "mauvaise tête". Quel dessinateur ! L’avant-dernière case de la planche reproduite ici montre bien l’ampleur du talent : le geste de "Cauvin", replier sa jambe, étreindre sa taille. La position du dormeur, en phase d’adopter une position foetale... pour créer une série d’imagination. Mine de rien, c’est beaucoup de choses racontées dans cette case, c’est une superbe observation de l’Humain. Et l’ellipse qui suit n’en est que plus drôle dans sa "banalité".

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  • Pauvre Lampil : l’étonnante intégrale
    25 août 2011 15:00, par marcel

    J’ai lu il n’y a pas longtemps un gag de cette serie qui date de la fin des annees 70 et prend un echo interessant aujourd’hui : on y voit Berck (flamand) et Lampil (wallon) s’engueuler sur leur pays, avec les memes arguments que les Belges de maintenant. Mais la chute est laissee a Fournier, qui beugle qu’il n’est pas francais mais breton !

    Sinon, si Cauvin se represente creant ses gags alonge dans son sofa, c’est parce qu’il procede vraiment comme ca !

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  • Pauvre Lampil : l’étonnante intégrale
    25 août 2011 15:23, par Matt

    Lambil qui reprend Les Tuniques bleues à la suite de Salvérius. Mais il aura toujours un goût amer pour cet auteur qui faisait lui-même ses scénarios

    Mais il y aura toujours un goût amer, sinon on croit qu’il en veut à Salvarius.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 25 août 2011 à  15:48 :

      Vous avez raison, j’ai clarifié mon texte. Merci pour votre vigilance.

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  • Pauvre Lampil : l’étonnante intégrale
    25 août 2011 17:33, par Henry

    Willy Lambil n’a repris les Tuniques Bleues qu’en 1972 a la suite du deces de Salverius et non en 1968 comme vous l’ecrivez. Il a repris le relais dans le 4eme album "Outlaw" dont il a dessine les 8 dernieres planches. C’est la serie qui a ete creee en 1968.

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  • Pauvre Lampil : l’étonnante intégrale
    25 août 2011 18:16, par GR

    "En 1968, grâce au trou d’air laissé dans Spirou par le départ de Lucky Luke, le succès vint enfin pour Lambil qui reprend Les Tuniques bleues à la suite de Salvérius. "

    Lambil n’a pas repris les TB en 68 mais en 72, à la mort de Salvérius. Il du coup abandonné Sandy et Hoppy dès 1974.

    Merci pour cet article, sinon.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 25 août 2011 à  19:20 :

      Oui, oui. C’est vrai. J’ai corrigé du coup. Merci pour votre intervention.

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  • Pauvre Lampil : l’étonnante intégrale
    27 août 2011 16:59, par OF

    une excellente série d’humour à la mode autobio, qui demontre que les grands auteurs belges n’ont pas attendu la pseudo relève indé pour parler avec humour (quand ils peuvent) d’eux-memes et de leur métier la BD.

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  • Pauvre Lampil : la magnifique intégrale
    5 septembre 2011 20:25, par Oncle Francois

    Je viens de m’offrir cet épais et copieux volume, que je me propose de lire petit à petit pour faire durer le plaisir (je ne suis pas glouton, mais un lecteur raffiné qui apprécie la dégustation répétée à petites doses.... Je remarque que la maquette est signée Philippe Ghielmetti, déjà remarqué pour son excellent travail sir l’Intégrale Gil Jourdan.

    Ceci dit, une chose m’étonne dans la préface, la forte hostilité de Lambil à cette série (il semble qu’il se soit débarassé de tous les originaux et des EO de la première série) ! D’où vient elle ? Est il vrai qu’il s’est brouillé avec Cauvin pendant cinq ans ? Merci à ceux qui pourront éclairer ma lanterne ! Cordialement

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