Willy Lambillotte alias Willy Lambil a une relation privilégiée avec les éditions Dupuis. Enfant, il avait envoyé un dessin au courrier des lecteurs et Spirou le publia. « Pourquoi dessiner toujours des indiens ? » lui demande le rédacteur.
Quelques années plus tard, le jeune Lambillotte est recruté par Dupuis. Au bas de l’échelle, il fait longtemps du lettrage pour l’éditeur de Marcinelle, souvent en flamand, une langue qu’il maîtrise peu. L’obscur grouillot propose bientôt la série Sandy & Hoppy dont les 24 albums paraîtront bien des années après leur première publication dans l’hebdomadaire de la bonne humeur.
En 1968, grâce au trou d’air laissé dans Spirou par le départ de Lucky Luke, Cauvin lance Les Tuniques bleues. Le succès revient par transitivité à Lambil qui reprend la série à la suite du décès inattendu de Salvérius en 1972. Mais cette réussite aura toujours un goût amer pour cet auteur qui faisait lui-même ses scénarios et qui, pour la circonstance, obtient la notoriété avec une série qu’il n’a pas créée et dont l’argument est conçu par un ancien collègue, Raoul Cauvin, grouillot comme lui, longtemps responsable de la seule photocopieuse de la maison, mal considéré à ses débuts par le rédacteur en chef Yvan Delporte qui n’a de cesse d’entraver la carrière du jeune scénariste.
Le duo Cauvin / Lambil n’est pas une association de débutants, cela fait des années qu’ils en bavent. Ce sont des gens modestes qui n’ont eu longtemps que Marcinelle comme seule horizon et les tumulus noirs des charbonnages comme seules montagnes. On l’oublie parfois en relisant ces pages de Pauvre Lampil.
Une vision fantasmée du créateur de BD
Le parallèle avec Gaston Lagaffe est évident. Avec le gaffeur, Franquin nous montrait une rédaction fantasmée, je veux dire telle que pouvait la fantasmer le lecteur. Dans Pauvre Lampil, Cauvin & Lambil nous montrent l’univers d’un créateur de BD tel que pouvait le fantasmer un lecteur des publications Dupuis à un moment où la BD atteint enfin un statut honorable, où elle est exhibée dans des salons (on y voit un gag hilarant à propos de la première édition d’Angoulême), où l’auteur passe à la radio cornaqué par une attachée de presse, ce qui était absolument nouveau pour ces solitaires assez peu doués pour la communication, et où enfin, l’auteur rencontre son public, lui qui ne le connaissait jusque là que par le filtre biaisé du référendum.
L’autre enseignement de cet album qui constitue, dans un raccourci saisissant, une sorte de journal rassemblant plus de vingt ans d’anecdotes sur le métier, c’est la violence du rapport entre le dessinateur et le scénariste. Une vraie relation tumultueuse et passionnée dont le seul sujet est la destinée de leur progéniture de papier et qui prend le lecteur à témoin comme ces couples qui font leurs scènes de ménage en public et qui s’interdisent le divorce à cause des mômes.
Là aussi, cependant, la relation est biaisée. Car si les affres de la création confinant à la déprime sont détaillés dans ces pages en ce qui concerne le dessinateur, le scénariste nous est montré allongé dans son divan, produisant ses idées sans coup férir, en position d’observateur neutre. On est loin d’un Goscinny qui s’arrachait ses rares cheveux tous les matins en déclarant à sa femme : « Je n’ai plus d’idée ! Je suis foutu ! »
Modernes
Il faut s’attarder aussi sur la préface de Thierry Martens, récemment disparu, le rédacteur en chef qui a permis l’éclosion de cette série culte. Il était le créateur de la rubrique Carte blanche dans Spirou, ces pages où sont nés bien des jeunes auteurs de la nouvelle génération, de Frank Pé à Yslaire, en passant par Jannin, Bercovici ou Yann & Conrad. Un banc d’essai où l’on pouvait repérer de jeunes talents, mais aussi une soupape créative pour les vieux briscards du journal engoncés dans leur série régulière dont cette préface définit bien le dogme qui pèse sur le galérien : « Il faut un album au moins par an pour garder un minimum de présence dans les librairies, plus si l’on veut développer un véritable succès. Par ailleurs, la périodicité irrégulière n’incite pas les grandes surfaces à s’intéresser au produit. C’est un lourd manque à gagner, car elles constituent généralement plus de la moitié des ventes. »
Martens décrit ici avec une incroyable probité l’implacable loi des séries qui allait cliver la BD dans les années 1980-1990…
Enfin, il faut regarder de près les dernières pages de l’album qui nous montrent les deux auteurs assis sur un banc à l’hospice et qui n’arrivent même plus à se souvenir quelle série ils ont animée leur vie durant. Ici, le rire se fait grinçant, comme dans Pierre Tombal. Le créateur de BD vieillissant est un thème dont Trondheim s’était saisi avec talent dans Désœuvré (L’Association), sans doute l’un de ses meilleurs albums.
Cette vanité, au sens artistique du terme, qui insiste sur la précarité de la création, démontre à quel point les auteurs de Pauvre Lampil sont de véritables modernes.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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