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Petit - Par Hubert & Gatignol - Ed. Métamorphose / Soleil

Par Charles-Louis Detournay le 22 décembre 2014                      Lien  
Du plus jeune et plus petit des Ogres, c’est toute l’histoire d’une famille et de ses membres qui nous est contée : héritage, coutumes, tiraillements... Un superbe récit gothique sur le thème du déterminisme familial qui, comme "Beauté", utilise le conte pour évoquer des aspects sociaux aussi contemporains qu'universels.

Petit est le fils du Roi-Ogre. À peine plus grand qu’un simple humain, il porte sur lui le signe de la dégénérescence familiale qui rend chaque génération plus petite que la précédente à force de consanguinité.

Son père veut sa mort mais sa mère voit en lui la possible régénération de la famille puisqu’il pourrait s’accoupler avec une humaine, tel que le fit jadis le fondateur de la lignée. Et elle le confie à la plus ancienne d’entre eux. Déshonorée en raison de son amour pour les humains, cette tante vit recluse dans une partie cachée de l’immense château.

Contrairement au souhait de la mère, l’aïeule tentera d’élever Petit à rebours des mœurs familiales... Tiraillé entre les pulsions violentes qu’il a héritées génétiquement et l’éducation qu’il a reçue de cette tante humaniste, Petit va devoir trouver sa place dans ce monde rude... s’il ne se fait pas dévorer par sa propre famille !

Petit - Par Hubert & Gatignol - Ed. Métamorphose / Soleil

On avait déjà pu apprécier l’intelligence et la sensibilité d’Hubert dans des précédents récits tels que Beauté, Miss pas touche, La Ligne droite, Le Legs de l’alchimiste, etc. Mais cette histoire (trop) sobrement intitulée Petit dépasse ce qui a été publié auparavant.

Ce pavé de quelque 150 pages est construit sur deux formes narratives : la bande dessinée qui raconte l’histoire de Petit, tandis que des textes illustrés se concentrent sur la vie des différents souverains qui constituent la lignée du Fondateur. C’est qu’Hubert a élaboré un véritable arbre généalogique pour soutenir la charpente de son récit. Le rythme de lecture s’en trouve impacté, le lecteur passant du découpage relativement rapide de la bande dessinée à une lecture plus minutieuse des éléments évoqués dans ces mini-contes, tous plus passionnants et plus réussis les uns que les autres.

Outre l’histoire de ce royaume original qui peut se lire au premier degré (des ogres géants ont pris le pouvoir et asservissent un cheptel d’humains), on retrouve en filigrane bien des thématiques porteuses de l’œuvre d’Hubert.

Ainsi, le déterminisme familial : faut-il suivre les us et coutumes de sa lignée ou tenter de s’en éloigner comme tout adolescent, qui finit par les reproduire adulte ? Petit est une ode à la différence, sujet déjà abordé dans Beauté, mais surtout dans La Ligne droite et La Chair de l’araignée. Moins acide que dans les précédents récits contemporains du scénariste, Petit profite de la forme du conte pour s’adresser à toutes les générations de lecteurs, et nous poser les éternelles questions de l’affrontement entre l’identité et le groupe, ainsi que les comportements (parfois haineux) qui en résultent.

En plus des questions sur la pression familiale et la place de l’individu, Petit peut également se lire comme une critique au vitriol d’une royauté révolue : celle de ces grands hommes qui ont engendré des rois trop éloignés du peuple, abusant de leurs privilèges, asservissant leurs sujets jusqu’à les décimer et les dévorer métaphoriquement. La consanguinité royale précipite leur déclin, mais si la révolution libère le peuple, elle en se montre pas pour autant très différente de ses anciens tortionnaires.

Le réalisme psychologique qui se dégage de Petit repose grandement sur le superbe graphisme de Gatignol : son noir et blanc donne corps à l’âme ténébreuse de certains personnages, tandis qu’il en éclaire d’autres. L’architecture de ses décors crédibilise d’autant mieux l’ensemble du récit que les illustrations des mini-contes renvoient quant à elles à l’esthétique des anciens manuels d’histoire (rappelons que Gatignol est également illustrateur de livres jeunesse).

Enfin, l’utilisation régulière des pleines pages avec leurs perspectives impressionnantes qui placent dans le même dessin ogres et humains, permet d’appréhender en un clin d’œil les différences entre les deux races finalement très proches.

Petit est une nouvelle preuve qu’il est possible de faire de la bande dessinée autrement, de toucher des publics très différents en modulant les formats que les expériences de lecture.

On se sort pas indemne d’un tel album : la rêverie se prolonge une fois tournée la dernière des 150 pages, preuve que nous sommes face à l’une des meilleures réussites narratives et graphiques du moment !

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(par Charles-Louis Detournay)

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