Petites Niaiseuses - Par Sandrine Martin - Misma

Sandrine Martin a réalisé la couverture du dernier numéro de Dopututto Max

Depuis Appoximate Continuum Comics de Lewis Trondheim, l’un des récits précurseurs de la veine autobiographique franco-belge, la thématique a été abordée par bien des auteurs de la nouvelle vague, parfois avec réussite, mais souvent dans un équilibre inégal entre la forme et le fond. C’est dire le scepticisme qui gagne en ouvrant le livre de Sandrine Martin.

L’auteure n’est pourtant pas une inconnue : très présente dans les revues de bande dessinée, elle a publié une demi-douzaine d’albums, et œuvre également pour la jeunesse ou l’illustration de quotidien ou de livres. Plus récemment, le grand public a pu la découvrir dans la biographie de Niki de Saint Phalle parue aux éditions Casterman.

Le livre d’une centaine de pages regroupe de courts récits de 3 à 8 pages, séparés par de grandes illustrations qui servent autant de transition que de respiration. Dès l’introduction, le ton est posé : le graphisme pourrait laisser croire à des récits légers, que du contraire. L’auteure a choisi de nous raconter le passage de l’enfance à l’adolescence, en sélectionnant des morceaux choisis de sa vie qu’elle décode avec ses yeux d’adulte. Les passages autobiographiques font autant référence à des moments vécus par bon nombre d’entre nous (le lien aux parents, aux grands-parents, la perte d’une proche, les railleries scolaires, l’amitié, etc.) qu’à des réflexions qui traversent la tête de chaque enfant-adolescent tout en restant personnelles.

Petites Niaiseuses - Par Sandrine Martin - Misma

En rassemblant des récits qui ont pu être publiés dans différents magazines de bande dessinée, le livre pêche de temps à autre par une légère inégalité graphique, mais la force du propos transcende ces quelques imprécisions pour captiver et étonner le lecteur.

Au travers de moments parfois anodins, les commentaires de la narratrice adulte sont d’une acuité sans pareille : chaque récitatif a été peaufiné à l’extrême pour développer chez le lecteur des sentiments forts d’empathie, déclencher en lui les souvenirs personnels, offrir un instant de critique sociale, non sans humour !

Après l’enfance et ses doutes existentiels, Sandrine Martin nous entraîne dans une grande amitié ponctuée de petites trahisons toutes collégiennes. Puis, de Londres à Berlin en repassant régulièrement par Paris, la jeune étudiante nous dépeint ses rencontres et ses propres comportements avec une prise de recul ahurissante.

Offrant un rythme singulier à la lecture du livre, chaque page recèle un morceau de bravoure, dans ses commentaires, dans sa construction graphique, dans sa poétique, car l’auteure écrit à même les murs ou modifie sa mise en page pour coller à l’atmosphère du moment.

Morceau choisi : alors que les jeunes cohabitantes se préparent pour une soirée berlinoise : « Nous sortons de notre côté, en ayant pris soin d’entourer nos bouches d’un trait rouge pour y attirer les baisers. C’est à demi-fières, à demi-coupables que nous ramenons nos conquêtes à la maison… »

Petites Niaiseuses - Par Sandrine Martin - Misma

Dans le ton d’un journal à la première personne, ponctué d’un écho circonstancié, avec recul et réflexion, Sandrine Martinnous livre un album aussi personnel qu’universel. À la fin de sa lecture, on s’étonne de chercher à feuilleter à nouveau l’ouvrage, pour retrouver les liens qui nous avaient échappés dans dans l’enchaînement modeste de petites histoires anodines, uniquement en apparence. Et dès la relecture des premières pages, on comprend que l’auteure avait savamment construit son livre : une réussite !

Petites Niaiseuses - Par Sandrine Martin - Misma