Immédiatement, des images glamour de femmes fatales aux aplats de couleurs "Ligne claire"vous viennent en tête. "Sans doute très joli, pourriez-vous vous en conclure, mais rien de vraiment innovant..." Et bien détrompez-vous ! À plus d’un titre, cette exposition se distingue des précédentes proposées par l’auteur comme nous l’explique Philippe Berthet himself : "D’entrée de jeu, je ne voulais pas réduire l’exposition à l’unique thématique de Pin-Up. En effet, sorti du contexte de la série, dessiner de belles femmes dans des positions un peu lascives peut devenir répétitif et donc artificiel. Dominique, ma compagne et ma coloriste, m’a soufflé l’idée de ces "Bad Girls", car on restait dans mon thème graphique, tout en présentant des femmes plus matures, et potentiellement létales. Et cela m’a donné un regain d’inspiration ! Pour renforcer cet esprit "Bad Girls", j’ai d’ailleurs choisi un titre d’un polar de la série de romans "Série noire", parmi les trois cents premiers ouvrages, donc issus des années 1940 et 1950. A chaque fois, il fallait un titre qui collait pour Dominique et moi, à l’atmosphère de la peinture ou du dessin."
Un travail familial
Il n’est pas question ici d’un profond dépaysement, plutôt une façon de rester cohérent à ce qui avait déjà été réalisé, avec des innovations, chacune légère dans sa variation, mais qui forment dans leur totalité une symphonie cohérente, aussi familière que plaisante par ses excursions hors sujet.
"Cet aspect "Bad Girls" m’a donc permis d’enrichir artistiquement la thématique Pin-Up, détaille Philippe Berthet. J’ai creusé le sujet en le déclinant à plusieurs niveaux : d’un côté, ces couvertures de Pulps qui permettaient de revisiter le genre, tout en abordant le travail de lettrage (que j’ai d’ailleurs confié à ma fille) ; autre variation, les grandes toiles en hommage aux photographies noires et blanches, où Tanguy, le petit ami de ma fille, a réalisé les décors. Pour ces dernières, mon désir était de travailler la lumière, car je ne voulais pas polluer la lumière par des couleurs. Tanguy est d’ailleurs parvenu à donner un aspect plus pictural à ses représentations, ce que j’arrive pas vraiment à réaliser : nous nous sommes donc complétés."
"Pour d’autres toiles, j’ai travaillé entièrement seul, avec des aplats, sans rehausser mes formes d’un trait gris de séparation, explique Berthet. J’avais expérimenté cette technique lors de ma précédente exposition, ce qui m’a beaucoup plu, même si cela demande une fameuse maîtrise et de patience pour ne pas générer d’erreurs. Enfin, ma compagne Dominique, ma coloriste attitrée, a souhaité travailler à l’huile, qui sèche plus lentement, ce qui permet d’y revenir si besoin. Et cela donne cet aspect flouté, comme une ancienne photographie. Ces différentes propositions témoignent de ce qui me fascine dans ce genre d’exposition : sortir de la planche, jouer sur des formats hors normes et expérimenter le travail en couleurs, ce que je ne fais presque plus jamais en bande dessinée. En évitant d’aligner des planches et des illustrations de fonds de tiroir, j’ai voulu enrichir les dessins plus classiques avec des propositions et des techniques différentes qui n’apparaissent pas dans les albums."
Rien que pour admirer ces très grandes toiles réalisées donc par Philippe Berthet seul, ou accompagné de son beau-fils ou de sa compagne, la visite de l’exposition vaut largement le détour. Les galeristes l’ont d’ailleurs bien compris, car le mur principal de l’exposition n’expose que trois toiles. Un grand espace pour que le visiteur ne défile pas d’une pièce à l’autre, et prenne le temps de s’arrêter devant chacune d’elles. Tant dans la réalisation graphique que dans la thématique choisie, chacune d’entre elles raconte une histoire, différente dans sa présentation, comme si elle sortait de films distincts, mais toutes parvenant à happer le spectateur dans leur univers ! Envoûtant...
Un jeu de couleurs
Outre les toiles, qui se répondent pas des jeux de couleurs ou de noir et blanc, le visiteur s’intéressera particulièrement aux réalisations sur des fonds colorés. De loin, puis en s’approchant progressivement, on admire la qualité de la composition, puis ensuite (et surtout) la prouesse graphique dans l’utilisation du fond de couleur avec un rappel de cette couleur pour les éléments particuliers. Il s’agit parfois de la totalité du tableau, souvent de la carnation du modèle, parfois des éléments de décors, des ongles ou du fard des paupières... Berthet compose ainsi certaines parties du tableau "à l’envers", une technique qui l’amuse et lui semble naturelle, comme il l’explique ci-dessous, mais qui n’est pas évidente à mettre en œuvre, surtout lorsqu’on possède un ligne aussi claire que la sienne !
"Pour les dessins, nous avons utilisé deux types de mise en couleurs, rappelle Philippe Berthet : les formats A4 sont aquarellés par Dominique, et tous les papiers avec un fond coloré sont mis en couleurs par moi-même. C’est une technique que j’aime beaucoup : utiliser la couleur du papier en le laissant apparaître à certains endroits. Car la couleur du fond influe aussi sur la thématique. Par exemple, le papier en fond bleu m’a donné la direction d’une atmosphère tamisée, le rouge est plus violent. Le carton brut peut donner la couleur chair du personnage féminin tout en donnant de l’épaisseur grâce à son grain ; il suffit alors d’habiller le personnage pour la faire ressortir."
Outre les toiles et les dessins, on retrouve dans l’exposition une série de planches issues de Pin-Up. On note une très belle séquence centrée sur Las Vegas, ainsi que deux très belles planches d’aviation. Une belle façon de rappeler que le talent de Philippe Berthet ne se limite certainement pas à dessiner des femmes ravissantes, un rôle cependant où l’on continue malheureusement à parfois le cantonner.
Autre réalisation plus humoristique, des extraits de gags de Poison Ivy, la fausse bande dessinée imaginée par Yann et Berthet pour égayer les troupes américaines. Dans de très grands formats, l’auteur a donné plus d’ampleur à ces petits dessins, ce qui permet une fois d’admirer la qualité de son travail, grâce à cette forme d’agrandissement.
"J’ai également travaillé des cases de bande dessinée, nous confirme-t-il, Tout en agrandissant le format, ce qui rend la réalisation assez intéressante. Je me suis focalisé sur des agrandissements de cases de strip, ainsi que les couvertures des trois premiers albums qui, semble-il, plaisent aux fans de la série. Pour ma part, je me suis amusé en m’efforçant de ne pas corriger le dessin original. Impossible de reproduire le trait à l’identique bien entendu (cela n’aurait pas de sens). J’ai voulu rester au plus proche du dessin original (en petit format) pour ne pas corriger les imperfections de l’époque."
La transmission avant tout
Ceux qui chercheront à comprendre et analyser la technique de l’auteur, seront attirés par les nombreux croquis qui parsèment l’exposition, souvent placés d’ailleurs juste à côté de l’œuvre finalisée. Ces études donnent la mesure du premier geste de Berthet, à la fois sûr et maîtrisé, deux caractéristiques essentielles pour le graphisme difficile qu’il pratique depuis des dizaines d’années.
"J’ai également présenté des croquis de travail, afin de proposer de petits prix pour les amateurs, précise Philippe Berthet. Surtout que les croquis sont parfois plus vivants que le résultat final. Plus globalement, j’ai voulu que les prix restent abordables, tout en sachant qu’ils reflètent ma part du travail ainsi que celle du galeriste. Lors de ma précédente exposition, certains amateurs m’ont partagé leur frustration de ne pas pouvoir acquérir une pièce. Nous avons veillé à ce que cette exposition contente tout le monde sur ce point. Comme en bande dessinée, le but d’une expo est avant tout de communiquer avec son public, ici, le vecteur est différent. Le but est de provoquer des émotions, de donner envie, et que les visiteurs voient de belles images. De cette volonté est né ce catalogue de l’exposition qui me tenait particulièrement à cœur. Les visiteurs qui ont apprécié l’ambiance de l’exposition et qui n’ont pas les moyens de s’acheter une pièce peuvent repartir avec celui-ci."
Depuis peu, Alain Huberty et Marc Breyne sont effectivement devenus éditeurs, en particulier de catalogues des expositions qu’ils ont montées. A la demande de Berthet, ils ont repris le contenu de cette exposition Pin-ups & Bas Girls dans ce catalogue, que nous vous conseillons ardemment. Ne soyez pas rebutés par le prix de 50 € : la réalisation intérieure, alternant des calques présentant les croquis, avec de belles pages reprenant les compositions couleurs et les toiles, les vaut largement. C’est effectivement une excellente idée d’avoir laissé le témoignage de cette exposition dans ce catalogue, car c’est assurément l’une des plus belles et et des plus intéressantes qu’il ait réalisée.
(par Charles-Louis Detournay)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Philippe Berthet à la Galerie Huberty-Breyne, jusqu’au 23 mars 2019.
33, place du Châtelain – 1050 Bruxelles
TEL : +32/2.893.90.30
Mail : contact@hubertybreyne.com
Galerie ouverte du mardi au samedi de 11h à 18h.
Le site de la Galerie Huberty & Breyne et la visite virtuelle de l’expositon consacrée à Philippe Berthet
Acheter le catalogue de l’exposition
À lire sur ActuaBD.com :
A propos de Philippe Berthet :
Philippe Berthet, Grand Prix Saint-Michel 2017
Philippe Geluck et Philippe Berthet honorés par le Grand Prix Diagonale - Le Soir 2017 et les photos de la remise des prix
Philippe Berthet investit le polar nordique
Le Crime qui est le tien - Par Zidrou & Philippe Berthet - Dargaud
l’interview de Philippe Berthet : « Lorsque je travaille, j’ai besoin d’évasion : une autre époque, un autre lieu. Dessiner mon contemporain ne me convient pas, j’ai besoin de fantasmer »
la présentation de La "Ligne Noire" de Philippe Berthet
Photos (y compris les médaillons de l’article) : Charles-Louis Detournay.