Quand nous avons vu arriver sur notre table les trois volumes des éditions Glénat, titrés Blanche Neige, Barbe Bleue et Pinocchio, nous avions quelque appréhension : encore des adaptations littéraires !, nous disions-nous, un de ces produits marquetés où les éditeurs se réassurent avec des "marques" reconnues pour nous refiler des récits paresseux sans aucune invention...
C’était compter sans la composante Bonifay. L’auteur de Zoo et du Chariot de Thespis sait manier l’art du conte, ses figures mythiques, ses articulations rituelles et ses rebondissements spectaculaires. En puisant dans les biographies de Charles Perrault, des frères Jacob et Wilhelm Grimm et de Carlo Collodi les raisons intimes et profondes qui les auraient poussés à écrire ces récits, il dépouille les contes de leurs oripeaux symboliques pour leur donner les atours d’une réalité bien plus complexe et parfois horrible.
Ainsi, ce Barbe Bleue défiguré par la peste noire et qui vit ses amours au travers d’un frère jumeau dont le physique a été préservé ; ou cette Otilie recueillie par une troupe de théâtre composée de nains et vengée par un ours de Barbarie ; ou encore cette petite fille qui court dans les coulisses de l’Opéra de Paris sans se séparer de sa poupée et qui inspire à son père une histoire de marionnette au nez qui s’allonge... À chaque fois, c’est documenté, inventif et le lecteur se laisse entraîner dans une sarabande d’indices qui constituent autant d’ingrédients du conte à venir.
Bonifay a le sens de l’explication maligne : comme ce bijou serti d’une lapis-lazuli qui sert à dissimuler une laide cicatrice au menton et qui vaut à son possesseur le sobriquet de Barbe Bleue. Il sait également camper les personnages de ses conteurs, eux-mêmes assez extraordinaires, comme dans cette scène où Charles Perrault s’assoit dans un cimetière pour raconter dans l’urgence, sous une neige en avalanche, son conte sur la tombe de son frère jumeau défunt.
Enfin, il a le sens de la la séquence-choc s’adressant au lecteur complice, comme dans cette scène où Collodi visite avec sa fille la tête de la statue de la Statue de la Liberté, que Bartholdi n’a pas encore achevée et qui est offerte à la curiosité des Parisiens.
On y sent des influences hétérogènes, suggérant même une relecture d’autres chefs d’œuvres de la littérature, les jumeaux de Barbe Bleue n’étant pas sans évoquer Le Portait de Dorian Gray d’Oscar Wilde.
Les dialogues de Bonifay sentent la maîtrise théâtrale, dans leur phrasé et dans leur scansion, conférant du rythme au récit qui porte le lecteur, sans l’essouffler, jusqu’à la fin de l’aventure. Jetant Bruno Bettelheim et sa Psychanalyse des contes de fées aux orties, Bonifay redonne toute sa place au conteur, offrant une interprétation originale et romanesque de ses créations.
À chaque fois aussi, le dessin et les couleurs suivent, chaque dessinateur, Stéphane Duval, Fabrice Meddour et Thibaud de Rochebrune trouvant la ressource pour évoquer l’historicité de ces contes sur les contes, cent fois rebattus, et dans lesquels, néanmoins, le lecteur trouve son compte.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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