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Philippe Buchet : "À chaque album, j’ai l’impression de commencer... une nouvelle série !"

Par Laurent Boileau le 7 octobre 2005                      Lien  
Féru de science-fiction, Philippe Buchet est un designer hors-pair. Sa série {Sillage} (scénarisée par son ami Morvan) est un vivier de décors, véhicules, costumes et coiffures. Ce grand collectionneur de jouets à l'imagination fertile est avant tout un passionné de dessin.

Le croquis, c’est une passion ou une obligation ?

Les croquis, c’est la meilleure école, vraiment ! Au-delà des cours. Moi c’est ce que je conseille à tous les petits jeunes qui passent à l’atelier et qui se demandent souvent : "Qu’est-ce que je peux faire ?" Souvent, ils font des copies de dessins des auteurs qu’ils aiment bien. Je leur réponds : "Faites des croquis d’après nature, c’est là où l’on apprend".
Le dessin, je considère ça comme un apprentissage permanent. Tous les jours, quand je termine un dessin, j’ai l’impression d’avoir appris quelque chose de plus. Que ce soit les gens, les décors ou la nature, à chaque fois, cela me donne une source d’inspiration supplémentaire. Finalement, moi je considère que l’imagination, ça n’existe pas. Ma vision de l’imagination c’est plutôt un esprit d’à- propos. C’est-à-dire, on doit faire un dessin et il y a des idées et des souvenirs qui se bousculent, qui font qu’on crée un truc qui paraît original mais qui n’est jamais qu’un amalgame de choses qu’on a vues auparavant.

Dans le tome 8 de Sillage, le personnage de Nävis a vieilli graphiquement.

Ce n’est pas une volonté. Ça s’est fait naturellement. Selon l’histoire, je dessine Nävis plus ou moins femme. Le tome 8 commence par un épisode douloureux : une dépression. Il fallait que le graphisme s’accorde avec cet état. Nävis avait toujours une réaction positive face aux évènements ; elle "encaissait" systématiquement. Il fallait qu’à un moment cela explose. Tant mieux si elle paraît plus vieille, mais ce n’est pas complètement conscient de ma part.

Est-ce un album charnière, du fait de la rencontre avec des humains ?

Non, pas vraiment. C’est une étape de plus dans sa quête personnelle. C’est une première perte de naïveté pour l’héroïne. C’était le bon moment car c’était déjà en prémices dans l’album précédent.
C’est rigolo le décalage entre ce qu’attendent les lecteurs et ce que nous avons envie de raconter, Jean-David (Morvan) et moi. Les lecteurs attendent un peu trop d’avoir des réponses à toutes leurs questions. Ce n’est pas forcément le truc le plus intéressant dans la série. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment Nävis réagit face aux évènements. D’avoir une réponse sur ses origines, ça reste une obsession pour elle et aussi pour les lecteurs, mais pour moi ce n’est pas l’essentiel. Surtout que les réponses prévues sont "définitives" et cela arrêterait la série. Et ce n’est pas ce que nous voulons !

Tu sembles vraiment t’épanouir sur cette série.

Mon rêve a toujours été de faire de la science-fiction. J’adore faire du design, créer des trucs. Dès que le projet du nouvel album est lancé, j’y pense tout le temps. Je vois une cafetière bizarre et je me dis : "voilà ! c’est exactement le genre de forme que je cherche pour la navette des méchants !". C’est pour cela que les gens pensent que je suis distrait. Mais non, finalement je suis juste un petit peu en décalage. Je pense à pleins de trucs idiots et je remplis des feuilles que j’empile. Finalement, quand je commence les planches, tout ce dont j’aurai besoin, la matière première de l’album est à 90% prête.

Connais-tu les scénarios des albums suivants ?

Oui, mais je ne sais pas l’ordre dans lequel nous allons les traiter. Nous voulons garder la liberté de "sentir" quelle est la priorité, de choisir en fonction de nos envies et aussi en fonction des attentes du public. Et d’ailleurs lorsque que ce dernier a trop d’attentes, il nous arrive d’aller en direction opposée !
Nous essayons de faire des albums aux tonalités différentes. Graphiquement, je varie selon les albums. Pour certains, ça va être une démonstration d’action et la "caméra" sautera dans tous les sens. Pour d’autres albums plus dramatiques, je vais plutôt avoir une mise en scène centrée sur les personnages avec moins d’effet. C’est vraiment une série où, à chaque album, j’ai l’impression de commencer... une nouvelle série !

Philippe Buchet : "À chaque album, j'ai l'impression de commencer... une nouvelle série !"
Couverture du Tome 8
© Morvan/Buchet/Delcourt

Le succès de Sillage te tétanise-t-il ?

Comme le dessin c’est déjà exutoire, je ne pense pas que le succès ait une quelconque influence sur mon travail. J’ai un besoin de dessiner et si je dois le faire gratuitement, mon dessin est identique. Et puis finalement, quand tu démarres un album, tu espères qu’un maximum de gens l’apprécient, aiment ton travail, etc.
La série marche bien, mais ce n’est pas encore un succès pour moi. Il y a encore trop de personnes qui ne connaissent pas la série. Et il y a encore du travail à effectuer pour qu’elle soit plus connue.

C’est un problème marketing ?

Oui, principalement, de marketing, de diffusion et de distribution.
On est vite au taquet du "lecteur de librairie spécialisée". Et après, on cherche à toucher le lecteur occasionnel, ce qui est beaucoup plus difficile. Quand Sillage sera présent partout, là on pourra réellement avoir une idée des limites du lectorat. Et se dire à un moment : "OK ! Là, on a passé un cap, mais on n’ira pas plus loin. Tout le monde en a entendu parler. Celui qui ne veut pas l’acheter, c’est que cela ne lui plaît pas." Actuellement, nous sommes dans le flou...

Quel est ton travail sur la série Nävis et sur les chroniques de Sillage ?

Je donne mon avis sur les scénarios mais après c’est l’affaire de Jean-David et de Jose-Luis (Munuera). C’est le dessin et la créativité de Jose-Luis qui sont à l’origine de la série. Sur les "chroniques", c’est très variable. Après ça dépend de chaque auteur et c’est ça qui fait que l’histoire est transcendée ou pas. Jean-David a l’habitude d’écrire en fonction de chaque dessinateur, de s’appuyer sur leur sensibilité en leur laissant une marge plus ou moins grande d’interprétation.
Le prochain "chroniques" sera une histoire complète découpée en épisodes dessinés par différents dessinateurs. Et là, on pourra bien voir comment chacun ressent l’histoire. Même les personnages vont bouger graphiquement. Ça va être marrant.

"Art of Buchet" à paraître chez Delcourt
© Buchet/Delcourt

En plus des albums, tu fais énormément d’ex-libris.

Il est vrai que lorsque je dessine Sillage, je fais beaucoup de petits croquis. Et parfois, je m’amuse à recadrer le dessin et à le coloriser. Je fais des essais couleurs, des expérimentations. Et hop !, ça fait un ex-libris ! En plus c’est payé ! Cela participe sûrement au fait que la série ait son public de fans collectionneurs.
Mais en ce moment, j’ai arrêté d’en faire, faute de temps. J’ai démarré un album (one shot) pour Panini. L’éditeur a eu l’autorisation par Marvel d’utiliser les super héros en Europe. Avec Jean-David, on avait envie de faire une aventure avec les X-men. On avait peur qu’avec le film, ça soit difficile à cause du coût des licences. Et en fait, ça a pu se faire ! Notre choix s’est porté sur le personnage de Wolverine, et on est parti sur une aventure qui se passe en Amérique du sud, dans les favelas. La parution est prévue pour début 2006.

Qu’est-ce qui t’a incité à "délaisser" momentanément Sillage ?

C’était l’occasion de changer de style, d’explorer un univers plus contemporain (ce que je ne peux pas faire dans Sillage), de se retrouver sur un terrain réaliste. Quand j’étais gamin, je lisais des histoires de super-héros et je me disais que plus grand, c’est ce que je dessinerai ! je voulais faire des comics. En fait, c’est un rêve d’enfant qui va se réaliser !

(par Laurent Boileau)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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