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Philippe Buchet : "Ce qui est intéressant, c’est le fait de construire une société de A à Z."

Par François RISSEL le 25 mars 2022                      Lien  
Devenue l’une des références du Space Opera en un peu plus de vingt ans, "Sillage" est un monument incontournable de la science-fiction dans la bande dessinée française. À l’occasion du Festival International de la BD d'Angoulême 2022, nous avons rencontré Philippe Buchet, le dessinateur de la série scénarisée par Jean-David Morvan (Delcourt).

Au cours de cet entretien il évoque ses inspirations, son approche du genre, et cette envie sans cesse renouvelée d’aller toujours plus loin sans jamais être lassé par cet univers et ces personnages. « C’est un véritable phénomène qui revient régulièrement sur nos étals avec, comme marque de fabrique, un très fort ancrage dans l’actualité. » nous expliquait Jérôme Blachon à l’occasion de la sortie du dernier album. On ne peut qu’acquiescer.

Nous en sommes rendus au 21e tome de la série Sillage. Comment composer pour ne pas être dans un exercice redondant et réussir à se renouveler sur une série aussi forte ?

Dès le départ, avec Jean-David Morvan, nous avions convenu d’avoir des épisodes qui seraient très différents. C’est l’avantage d’avoir un personnage qui se promène d’un monde à l’autre : nous pouvons explorer plusieurs registres qui font que je ne m’ennuie pas graphiquement. Chaque tome est unique et possède son propre univers, son propre thème. On voulait montrer que la science-fiction est un moyen pour aborder des genres très différents.

Philippe Buchet : "Ce qui est intéressant, c'est le fait de construire une société de A à Z."

Il y a un thème par exemple que l’on n’avait pas encore traité, c’est celui de la robotique, même si on l’a fait un petit peu dans le tome 6. Mais ce serait vraiment intéressant. Ce qui est bien, comme la série est très longue, on a la chance de pouvoir faire une trentaine de tome, c’est que l’on peut amener des éléments par petites touches et les développer de manière approfondie dans un album. Certains peuvent être lus de façon complètement indépendante, mais il faudra se rattraper après, par exemple, le tome 20 était une préquelle en soi.

Delcourt © Philippe Buchet

Ne trouvez vous pas qu’il y a aujourd’hui une surenchère dans la science-fiction ? On pense notamment au Marvel Cinematic Universe…

Je pense que ce genre est multiple. Avec Sillage, nous on fait clairement du space-opera, cependant il en existe d’autres types : l’art-science, l’anticipation, le cyber-punk…Concernant la surenchère, je dirais que oui et non, car il existe aussi des films de science-fiction très intimistes comme Passengers, qui est un film assez intime avec du grand spectacle, mais l’histoire n’est pas grandiloquente. La surenchère est clairement du côté de la science-fiction de super-héros. Au final, ceux de cet univers que j’ai préférés, c’est plus les Captain America. Je trouve aussi que les derniers films Batman, ou le dernier Joker sont beaucoup plus psychologiques et plus subtils. On se concentre d’avantage sur les personnages que sur des effets spéciaux de fous. Je pense que l’on peut-être rapidement gavés par trop d’effets spéciaux.

La série qui m’a vraiment bluffé récemment c’est The Boys, l’une des meilleures séries de super-héros. Je trouvais ça vraiment trash dans les comics et j’étais convaincu que personne ne pourrait oser faire une chose pareille à la TV, et là ils ont osé. Je pense qu’on risque vraiment de se lasser de la surenchère.

© Philippe Buchet

Selon vous, comment on peut-ont se servir du très lointain pour raconter le présent ?

Ce qui est intéressant, c’est le fait de construire une société de A à Z. Nous, on fait des humains dans des peaux d’extra-terrestres qui sont régis par les mêmes travers que nous. J’adore designer : les aliens, les vaisseaux, les costumes, j’adore faire ça. Sillage c’est open-bar pour moi.

Parlons-en de ces aliens, comment élaborez-vus un bestiaire aussi original ?

Nävis étant la seule humaine (avec Juliette et son fils pseudo humain) tout le reste ce sont des créatures qui doivent se différencier des précédentes. Parfois je fais la concession de les faire semi-humanoïdes afin de susciter l’empathie chez les lecteurs et ça part vraiment de pas grand chose. Je me souviens d’avoir une fois démarré d’une part de gâteau au chocolat à laquelle j’avais rajouté deux yeux inspirés des hiéroglyphes égyptiens et là je me suis dit, « Voila un extra-terrestre que l’on a jamais vu nulle part !  » Pareil pour les vaisseaux ! Comme dans l’espace tout peut voler, on peut imaginer la forme que l’on veut. Sur Sillage je peux complètement me lâcher graphiquement.

Y a t-il d’autres illustrateurs qui vous inspirent en SF ?

En fait, j’essaie vraiment de ne pas trop regarder ce qui se fait en SF. Mais il y a des choses qui me frappent parfois, je pense par exemple aux cinématiques du jeu-vidéo Over-Watch que j’ai trouvées très originales. Mon inspiration vient avant tout de la lecture, des romans. Quand un écrivain a bien décrit le fonctionnement d’une machine, moi j’aime lui donner une forme.

Je n’ai pompé personne, mais la littérature m’a toujours donné des idées. J’aime beaucoup Serge Lehman, qui scénarise de la bande dessinée maintenant. J’avais adoré certains de ses romans comme Faust ou Une Étoile si lointaine. J’aime aussi beaucoup Pierre Bordage, en particulier Les Guerriers du silence. Mais aussi des américains comme Iain M. Banks qui a écrit Le Cycle de la culture, Hypérion de Dan Simmons, œuvre dans laquelle il y avait le personnage de Grytch, une espèce de démon couvert d’épines qui m’a servi pour créer le Hautard dans le premier album de Sillage, l’idée d’un genre de verre dans une armure super puissante...

© Philippe Buchet

Est ce que, quand vous créez la série Sillage, vous oscillez entre fan-service et renouvellement ?

Moi, je ne me soucie vraiment pas du fan-service. (rires) Je ne me pose pas ces questions. En revanche, il y a des choses que je n’ai pas envie de dessiner comme des scènes de sexe ou des scènes trop gores. Le lecteur j’y pense, en toile de fond. Je ne lis pas les retours sur les albums (je reçois parfois une revue de presse bien après) et ils n’influent jamais sur ma manière de travailler. Quand je dédicace, c’est étonnant de voir que quasiment chaque lecteur a son tome préféré, ce qui me plaît. Comme c’est un menu très riche que l’on propose, chacun prend le plat qu’il préfère. Si on se met à travailler d’après les attentes des lecteurs, je pense que l’on va forcément les décevoir. Je bosse sur ce que j’attends moi, sur ce que j’ai envie de faire et le lecteur y adhère ou non, je prends le risque. Je n’ai pas d’angoisse finalement !

Est ce qu’il vous arrive de vouloir complètement changer de registre, d’être lassé par ce genre ?

J’ai réalisé un XIII, ça a été très douloureux parce que j’ai du accumuler beaucoup de documentation. Pareil pour le Jour J, et je me suis vraiment englué dans la doc. Je me pose toujours la question de la cohérence de ce que je dessine et pour ces deux albums historiques, j’ai parfois passé des heures a chercher des photos de voitures d’époque pour dessiner deux cases ! Pour le XIII j’étais sur Internet la moitié du temps pour essayer d’être vraiment juste, et c’est pas un boulot que j’aime faire, ça. Je préfère largement créer un univers de toutes pièces, mon domaine de compétence est là et il est parfait !

Delcourt © Philippe Buchet

(par François RISSEL)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782413013075

À lire sur Actuabd.com :

- La chronique du dernier tome de Sillage

- Le reste de l’actualité du FIBD

Merci à Philippe Buchet et à l’équipe presse des éditions Delcourt pour avoir rendu cet entretien possible.

Photo du médaillon : © François Rissel

Sillage Delcourt ✍ Jean-David Morvan ✏️ Philippe Buchet tout public Science-fiction Angoulême 2022
 
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