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Philippe Delaby : « Pour Murena, les beaux jours ne sont plus là »

Par Nicolas Anspach le 22 juin 2007                      Lien  
Le sixième album de {Murena}, {Le Sang des Bêtes}, marque un tournant dans la série. C'est un album charnière à plus d’un titre : Murena sombre dans le côté obscur en tuant gratuitement une femme. On devine que sa relation avec Néron sera de plus en plus orageuse, et que deux destins s’affronteront dans les prochains albums… {{Philippe Delaby}} s’en explique auprès des lecteurs d’Actuabd.com.

D’où vient votre goût pour l’histoire ?

Je l’ai depuis mon enfance, mais le cultive depuis mon passage à l’académie des Beaux-Arts de Tournai. J’y ai appris trois choses importantes : le dessin, l’histoire et le cinéma. Nous avons un cours de cinéma, où nous suivions des projections, chaque lundi, de films anciens et récents. J’ai commencé à aimer l’Italie en regardant les films de Frederico Fellini, de Dolce Vita à Roma. Plus tôt, dans mon adolescence, j’ai également adoré les péplums, des grands films tels que Ben-Hur et Spartacus en passant par les séries Z, qui sont aussi insignifiantes que drôles et cultismes. Ces films m’ont poussé à m’orienter vers un genre précis : l’histoire antique…
C’est à cette période où j’ai découvert les premiers Alix de Jacques Martin. Ma passion pour Rome et l’histoire est devenue très sentimentale, presque viscérale.

Philippe Delaby : « Pour Murena, les beaux jours ne sont plus là » Lorsque vous avez commencé Murena, n’avez-vous pas eu d’appréhension face aux difficultés du genre….

Nous ne nous sommes pas posé la question. C’était un genre passé en désuétude, qui n’avait plus été remis au goût du jour depuis la fin des années ’60. Mais j’avais cette envie de traiter ce sujet depuis que j’étais enfant. Jean Dufaux et moi-même aimions tous les deux l’Italie. Notre rencontre a été comme un coup de foudre. Nous avions envie de raconter une histoire qui se passerait dans ce pays. On envisageait, sans grande conviction, de la placer dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Dans le restaurant italien où nous mangions, lors d’une rencontre de travail, une louve romaine trônait au mur. Jean l’a regardée, et m’a dit qu’il avait une histoire pour moi. Il avait envie de faire un péplum depuis quelques années. Cette louve lui avait rappelé une vieille envie. Quelques mois plus tard, il m’a remis les premières pages du scénario. C’était extraordinaire. Il y a eu rapidement une osmose entre lui et moi. Nous ne faisions qu’un… Jean aime que son dessinateur se sente bien, et qu’il dessine avec envie, avec passion…

Dans le documentaire qui accompagne l’édition limitée de ce sixième tome, vous dites que Jean Dufaux n’hésite pas à supprimer les personnages que vous aimez…

J’ai parfois la vision d’un personnage – ceux qui sont inventés, pas les personnages historiques – qui diffèrent de ceux de Jean Dufaux. Ma vision se concrétise sur le papier, et s’il ne le sent pas, tôt ou tard, Jean va faire mourir ce personnage… C’est amusant ! Quand nous dialoguons aujourd’hui, nous n’utilisons plus le langage de la bande dessinée. Nous utilisons des termes cinématographiques. Ses découpages sont visuels.

Vous vous entendez bien avec lui, non ?

Travailler avec Jean est un cadeau pour un dessinateur, il met toute sa personnalité dans son travail, tout en étant à l’écoute de ses collaborateurs. J’ai vécu une expérience douloureuse par le passé, où le scénariste écrivait l’histoire sans ce soucier de mon avis ou de mes désirs, et n’attendait de moi que je dessine son histoire. C’était frustrant car il n’y avait aucune osmose, aucun échange.
Avec Jean, c’est tout le contraire. Il connaît tellement bien son métier, que depuis que nous avons commencé Murena, je n’ai changé que deux cases. C’est à dire rien !

Jean Dufaux sait être un révélateur de talent …

Oui. Avant de travailler avec lui, mon dessin était différent. Je ne me réalisais pas entièrement dans mon travail. Jean Dufaux vous pousse à aller dans le plus profond de vous-même pour en sortir le meilleur, la quintessence.

Vous présentez l’apôtre Pierre dans un bordel homosexuel au début du deuxième cycle de Murena …

J’étais sceptique quant à cette scène. Je pensais que nous allions recevoir les foudres du Vatican. Jean m’a rassuré et m’a dit : « Pourquoi pas ? N’est-il pas ouvert à tout, Pierre ? C’est la bonté même ». Du coup, on l’a représenté affrontant un colosse au bras de fer. Nous n’avons eu aucune retombée. Ceci dit, nous n’avons pas été provocant. Dans notre esprit, Pierre était un homme comme vous et moi. Nous ne représentons aucun acte sexuel dans ce bordel. Le lecteur comprendra où Pierre se trouve, mais ne sera pas choqué de le voir dans un tel endroit.

Votre Rome est confondante de vérité …

Oui. Ce n’était pas évident. Il n’y a pas beaucoup de documentation sur la Rome du peuple, sur les quartiers mal famés…

Comment présenteriez-vous ce sixième tome, « Le sang des bêtes » ?

C’est l’album charnière. Il fait passer tous les personnages de la lumière vers l’ombre. Je l’ai ressenti de manière physique. Jean dit volontiers que « Les beaux jours ne sont plus là ». C’est vrai ! La folie de Néron est de plus en plus intense, et on sait comment cela va se terminer...

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Toutes les illustrations sont extraits du T6 de Murena et sont (c) Delaby, Dufaux et Dargaud

Photo : (c) C. Lambermont / Dargaud.

 
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