Philippe Druillet n’est pas n’importe qui. Fondateur des Humanoïdes Associés, designer et plasticien, il a été Grand Prix de la Ville d’Angoulême en 1988 et siège à ce titre à l’Académie des Grands Prix qui attribue chaque année la plus haute distinction de la Ville à une personnalité de la BD qui devient ensuite le président du Festival l’espace d’une édition. L’année dernière, c’est Blutch qui avait été distingué.
On se souvient du bras de fer entamé le 30 octobre dernier entre le Maire d’Angoulême, Philippe Lavaud, et le délégué général en charge du Festival de la BD, Franck Bondoux. Après que le ton soit monté, la querelle s’était conclue par une entente entre les parties faisant l’objet d’un communiqué commun.
Nous nous demandions s’il était opportun de se montrer aussi intraitable alors que le contrat triennal entre le FIBD et la ville vient à échéance en janvier prochain car, dans l’immédiat, d’autres instances publiques s’étaient substituées à la baisse de la subvention.
On sent bien que ce qui est en cause, c’est le renouvèlement du contrat triennal qui avait été opportunément augmenté par l’ancien maire avant qu’il ne soit déposé aux dernières élections. La menace plane-t-elle à ce point sur ces futures négociations que déjà, de toutes parts, on crie au loup ?
« Le maire fait chier »
L’affrontement vient de monter d’un cran ces jours-ci, en dépit de l’apaisement de façade, suite aux déclarations de Philippe Druillet à Sylvie Coma dans Charlie Hebdo cette semaine. Sous le titre « Festival d’Angoulême : Druillet atomise la mairie », le dessinateur de Lone Sloane opère une attaque en règle.
Contre la ville et son maire d’abord : « Cette ville, qui représente le neuvième art, passe son temps à insulter la bande dessinée. Chaque année, il y a un scandale. Aujourd’hui, c’est le maire, Philippe Lavaud, qui fait chier. Un maire socialo, ce qui me fout encore plus les boules. J’ai l’impression qu’il a oublié le message de Jack Lang, qui s’était battu pour le Festival d’Angoulême pendant des années. »
Contre la Cité internationale de l’Image ensuite : « …une espèce de musée où se planquent une bande de zozos qui roupillent, car je me demande vraiment ce que font leur 67 salariés tout au long de l’année ! »
Tout le reste de l’interview est à l’avenant. Avec la verve qu’on lui connaît, Druillet canonne, avançant des arguments parfois contestables d’après « les chiffres [qu’on lui] a donnés », Le dessinateur a l’air clairement en service commandé mettant tout son poids dans la négociation pour faire plier la ville.
Rapport de force
Pourtant, c’est près d’un million et demi d’euros, soit près de 50% du budget du Festival qui sont payés par 43.000 Angoumoisins. Rapporté au foyer fiscal, on imagine l’impact. Il n’est donc pas juste de dire que cette ville « passe son temps à insulter la bande dessinée »
Idem pour la Cité Internationale de l’Image. Les équipes qui y travaillent font un travail de conservation remarquable, en dépit d’un manque de moyens criant. Car si la Région n’a pas hésité à investir dans le « dur », la réhabilitation des chais, les frais de fonctionnement et d’acquisition qui dépendent du Ministère de la Culture, sont eux réduits à la portion congrue.
L’antagonisme est bien entre le Festival, une association de Loi 1901 qui a toujours évité de jouer le jeu des institutions angoumoisines, refusant d’intégrer l’« établissement public à caractère industriel et commercial » (EPCC) qui a été créé pour gérer la bande dessinée à Angoulême et qui aurait été une solution confortable pour sa pérennité [1]. Ces structures accueillent bon nombre de ses activités. Ainsi, le musée tant décrié par Druillet abrite la plupart des grandes expositions du Festival.
Bref, on voit difficilement où cette querelle peut mener. Dans cette partie de bras de fer, il n’est pas sûr que le Festival sorte gagnant.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Philippe Druillet (C) D. Pasamonik
[1] Le financement a été assuré par le département de la Charente (39%), l’État (26,5%), la Ville d’Angoulême (24.5%) et la région Poitou-Charentes (10%).
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