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Philippe Dupuy : "Notre travail nous permet de partager des réflexions sur notre vie"

Par Nicolas Anspach le 29 janvier 2008                      Lien  
{{Philippe Dupuy}} vient d’être couronné, avec son indissociable ami {{Charles Berberian}}, par le Grand Prix de la Ville d’Angoulême 2008. Ils venaient de publier ensemble, avec {{Jean-Claude Denis}} au scénario, « {Un Peu Avant La Fortune} »… Une occasion pour aborder avec Philippe Dupuy son actualité récente.

Philippe Dupuy : "Notre travail nous permet de partager des réflexions sur notre vie"Les œuvres introspectives foisonnent aujourd’hui dans les libraires. N’avez-vous pas l’impression d’être les grand-pères de cette nouvelle forme de bande dessinée ?

Ce serait déjà lourd d’être le père d’un genre ! … Alors grand-père !... (Rires). Mais il faut s’y faire, et accepter de vieillir. C’est d’ailleurs le propos de notre travail. Monsieur Jean nous permet d’amener et de partager des réflexions sur notre vie.
Ceci dit, nous n’étions pas les premiers à explorer cette voie. Durant ma jeunesse, j’ai été un grand lecteur du journal Pilote. Certains récits y étaient déjà plus intimes. Par exemple, dans la Rubrique-à-brac de Marcel Gotlib, il y parlait de la naissance de ses enfants. Mais ces histoires s’inscrivaient dans la pudeur de l’époque. Ils avançaient de manière plus masquée que nous.
Monsieur Jean est né bien avant l’Association, où de nombreux livres autobiographiques ont été publiés. Mais je ne crois pas qu’il soit opportun de séparer les domaines. Notre série n’aurait pas existé si François Truffaut n’avait pas réalisé les films que l’on sait ! Le plus important, ce sont les histoires. Le reste n’est qu’un problème de support, de langage, d’un domaine dans lequel on se sent le plus à l’aise…

Les deux présidents 2008 de l’Académie des Grands Prix, Charles Berberian et Philippe Dupuy, encadrent le Président et fondateur du Festival d’Angoulême, Francis Groux.
Photo : D. Pasamonik

Monsieur Jean n’est pas un récit autobiographique, mais vous y partagez quand même certains fragments de votre vécu …

Oui. Nous nous inspirons de ce qui nous entoure. Mais tout est remis en scène. C’est de l’autofiction en quelque sorte. Monsieur Jean est une sorte de masque. Charles Berberian n’est pas comme Monsieur Jean, et moi non plus. Ce personnage de fiction a été créé en pensant à des personnes dont nous sommes proches. Nous nous sommes surtout inspirés de Jean-Claude Götting, mais également de François Avril.
Ensuite notre personnage a suivi sa propre vie. Il est devenu un ami, qui est pour nous très réel !

Vous dites-vous qu’il aura un jour cinquante balais ?

Oui. Il a une petite fille, et s’occupe du fils adoptif de Félix. Il évolue. Un jour, il va avoir cinquante ans. Cela nous fait bizarre de nous dire que nous aurons un jour cet âge (Rires). Quand on a vingt ans, les amis trentenaires nous paraissent vieux. À trente ans, on trouvait que les quinquagénaires étaient des vieillards. Et puis, en approchant les cinquante ans, on se dit que l’on peut vivre beaucoup de chose à cet âge. Bref, que l’on sera tout sauf des vieillards (Rires). Enfin, cela vaut plus pour Charles que pour moi. Il s’en rapproche à toute vitesse !
Il va donc bien falloir que l’on imagine à quoi Monsieur Jean ressemblera à cinquante ans ! Mais en même temps nous avons un droit de vie et de mort sur lui. On pourrait le tuer comme l’a fait Lewis Trondheim pour Lapinot. Enfin, cela me fait rire parce que tout le monde disait : « Formidable, Lewis a tué son personnage ». Mais Lewis est un très bon metteur en scène, et il pourrait un jour ressusciter son Lapinot si l’envie lui en prenait.
Lorsque nous entamerons un nouveau Monsieur Jean, que cela soit aujourd’hui ou dans dix ans, l’album prendra la direction du moment. Il évolue en fonction de nos envies, de notre vécu. Et comme notre vie n’est pas planifiée …

Pouvez-vous parler d’Une Élection américaine que vous avez dessiné sans Charles Berberian, avec Loo Hui Phang aux éditions Futuropolis ?

Nous sommes partis en Arizona lors des dernières élections américaines. Loo Hui Phang préparait un documentaire sur les Drag Queens mexicaines. L’ami qui nous hébergeait nous a incités à venir durant les élections. Nous avons évolué pendant une vingtaine de jours dans un monde contrasté : le milieu homosexuel de l’Arizona, où il avait les drags, et l’Amérique puritaine qui se reflétait dans les discours électoraux. Nous avons souhaité apporter un témoignage à ce sujet...

Extrait de "Un Peu Avant la Fortune"
(c) Dupuis, Berbérian, Denis & Dupuis.

Vous avez récemment publié « Un Peu avant la Fortune », avec Charles Berberian et Jean-Claude Denis. Qu’est-ce qui vous a séduit dans le scénario de ce dernier. Le personnage est rongé par le doute : doit-il accepter de toucher la cagnotte de la loterie ?

Au contraire. Il n’a aucune hésitation. Il se pose juste les bonnes questions. Si vous discutez avec vos amis de la perspective de gagner éventuellement des millions au loto, vous vous apercevrez que ceux-ci vont lancer des pistes sur la manière de les dépenser : Acheter un yacht, offrir des cadeaux à ses amis, payer une maison à ses parents, etc. Notre personnage n’est pas encore dans cette démarche. Il se demande s’il va accepter cet argent ou pas. Qu’est ce qui va changer dans sa vie ? De quoi va –t-il devenir plus riche ? En s’enrichissant d’un côté, ne va-t-il pas devenir plus pauvre d’un autre ?

Essai pour la couverture de "Un peu Avant la Fortune"
(c) Dupuy, Berbérian, Denis et Dupuis

Il est quand même angoissé, non ?

Oui. Il ne possède pas la réponse à ces questions. Il s’aperçoit qu’il ne suffit pas de gagner au loto pour que tout roule sur des rails. Il est dans la même position que lorsque l’on est face à des personnes qui attendent quelque chose de vous, un service par exemple… Nous vivons dans un monde matérialiste et consumériste. C’était intéressant de donner vie à un personnage qui prend le temps de la réflexion. Cela le rend fort différent par rapport aux gens de notre époque. Certains vont nous dire que c’est un Looser. On l’a souvent dit à propos de Monsieur Jean. Je trouve ce terme terrible. La fin d’Un Peu Avant la Fortune démontre au contraire que c’est un vrai gagnant. C’est un homme qui pense plus au long terme qu’au court terme…

Vous avez remis en question votre graphisme dans ce livre pour explorer de nouvelles voies…

Pas du tout ! Nous avons travaillé dans la continuité, avec une approche technique et graphique que nous avions déjà explorée ailleurs. Mais c’est vrai : pas en bande dessinée. J’encourage les lecteurs de nos BD de regarder nos autres travaux. Ils s’apercevront qu’il y a de très belles choses sur le côté de la route…

Votre nom avait été associé à Peur(s) du Noir. Vous aviez même parlé de ce film d’animation lors d’une conférence de presse à Angoulême en janvier 2006. Pourquoi n’y avez-vous pas travaillé Charles Berberian et vous ?

Nous avons dû faire des choix, et soit nous consacrer à ce film d’animation, soit à nos bandes dessinées. Il fallait que nous assumions notre préférence. Je ne me pose pas la question quant à savoir s’il était bon ou pas. Mais nous avons arrêté d’y travailler tant que c’était encore possible.

Capture d’écran du pilote de Peur[s] du noir par Dupuy et Berberian présenté en janvier 2006 à Angoulême. Finalement, par manque de temps, le duo ne participera pas au projet.
Photo : D. Pasamonik. (c) Prima Linea.

Sur quel sujet travaillez-vous actuellement ?

Nous devons terminer le premier tome de Bienvenue à Bobo Land en février (à paraître en mai 2008 chez Fluide Glacial). Il y en aura sûrement un second ! Ensuite nous nous attaquerons à un livre pour Futuropolis. Nous ne connaissons ni le format, ni le traitement graphique, ni la pagination. Mais il contiendra une part de science-fiction. Placer notre récit dans ce genre était le meilleur traitement que l’on pouvait lui donner. Mis à part Eyes Wide Shut, j’aime beaucoup les films de Kubrick. Mais nous ferons sans doute une science-fiction qui n’intéressera pas les lecteurs du genre…

(par Nicolas Anspach)

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