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Philippe Foerster : « Tout ce qui est fantastique éclaire le réel »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 9 octobre 2005                      Lien  
Foerster est l'un des scénaristes les plus marquants de notre génération. Ancien élève de Schuiten et Renard à Saint-Luc, il a fait son chemin chez {Fluide Glacial} avant de travailler pour Dupuis, puis pour le Lombard où il inaugure une nouvelle série, {Gueule de Bois}, dans la collection Troisième Degré. Il nous explique sa démarche qui prend sa source auprès des grands maîtres du roman fantastique.

De l’oeuvre de Philippe Foerster, le grand écrivain fantastique belge Thomas Owen écrivait : « Celle-ci ne nous apporte pas un message sur la vie et le monde, elle met seulement en scène, dans une ambiance fantastique, d’étranges marionnettes s’agitant et hurlant, se vautrant dans l’horrible, le monstrueux et le macabre, climat où Philippe Foerster s’exprime avec une brillante efficacité narrative [1]. » Ce climat fantastique, on le retrouve dans La Fée Puzzle, le premier volume de la série Gueule de Bois. Entretien.

On se connaît, non ?

Un petit peu. À une certaine époque, tu as été mon éditeur.

Philippe Foerster : « Tout ce qui est fantastique éclaire le réel »
Pinocchio de Ph. Foerster
(Magic-Strip, 1982).

Précisément sur une œuvre à laquelle ton album aujourd’hui fait écho puisqu’il s’agit de Pinocchio, parue dans la collection Atomium chez Magic-Strip en 1982. On retrouve aujourd’hui un certain nombre d’éléments qui existaient déjà il y a vingt ans. Ce premier album fusionnait le mythe de Pinocchio et celui de Frankenstein.

Ici, ils sont séparés, bien qu’ils soient nés du même père, qui est Geppetto ! Dans le premier album, il y avait une Geppetta qui était une pauvre naine qui n’arrivait pas à avoir d’enfant et qui en a, en quelque sorte, fabriqué un dans une racine de mandragore, ce qui en avait fait un monstre incontrôlable qui tuait les petites filles sans en avoir conscience.

On retrouve ces éléments dans cet album, notamment les mandragores. Le procédé a été bien utilisé depuis, notamment par Alan Moore, qui consiste, comme dans La Ligue des gentlemen extraordinaires, à faire un remix de quelques figures mythiques de la littérature fantastique pour raconter une histoire originale.

C’est moins systématique chez moi que chez Moore. J’écris un peu au fur et à mesure. J’ai vu le parallèle avec mon travail évidemment quand j’ai lu Alan Moore [2], mais comme j’ai adopté le principe de ne pas travailler en fonction du travail des autres, cela se recoupe très peu. Il y a tant de BD qui paraissent chaque année qui utilisent ces thèmes...

Vous ressentez en tout cas l’un et l’autre le besoin de créer un réseau de références. Chez toi, on remarque Edgar Allan Poe, Shelley, les grands auteurs fantastiques.

Oui, je cite Poe assez souvent. C’est un petit gimmick humoristique pour rajouter un grain de sel fantastique en référence à celui qui est en quelque sorte le fondateur du genre.

Quelle définition donnerais-tu du fantastique ?

Il y a plein de définitions possibles. C’est une façon biaisée et outrancière de voir le réel. Tout ce qui est fantastique éclaire le réel, à mon avis. C’est une perception du réel par le biais de l’inconscient. Tous les grands romans, les grandes BD, les grands films fantastiques parlent de l’inconscient.

C’est la peur...

Pas toujours, mais oui, 90% des œuvres fantastiques parlent de la peur. La peur de l’autre, de l’étranger, de ce qui est ailleurs. Il paraît que l’un des plus grands auteurs de la littérature fantastique, Lovecraft, était un grand raciste. Il avait peur des noirs... Note bien, les Schtroumpfs avaient une peur bleue des noirs eux aussi... (rires)

La Fée Puzzle
le premier volume de la série Gueule de Bois. Editions Le Lombard.

Ce qui te caractérise, c’est que tu conjures cette peur par le grotesque, par la farce.

Le fantastique en tant que tel, je ne peux pas le prendre tellement au sérieux. J’ai besoin qu’il y ait toujours un deuxième degré, au moins un deuxième, et de présenter cela de façon humoristique.

Tes personnages sont tous à leur manière un petit peu ridicules.

C’est ce que je dis : cela éclaire la réalité. Dans la réalité, on peut voir tout le monde de façon ridicule. Tout le monde a un côté risible, un petit travers. Quand on se regarde dans la glace, on peut toujours se voir en rigolant.

Ce qui est commun au mythe de Pinocchio avec celui de Frankenstein ou celui du Golem, c’est l’idée de la créature qui se retourne contre son créateur.

C’est cela qui est fascinant. C’est vu de façon horrifique chez Frankenstein ; de façon rigolote et espiègle dans le Pinocchio de Collodi. Tous les deux sont des personnages artificiels qui cherchent l’un et l’autre à savoir qui ils sont, mais aussi qui est leur créateur. Ils ont d’ailleurs toujours un rapport conflictuel avec celui-ci. Le Golem est un conte plus diffus, c’est une légende très ancienne. D’ailleurs, dans le deuxième tome de Gueule de Bois, il y aura des golems, mais complètement fantaisistes. Ils sont minuscules déjà, et ils ont transformé la croix d’une pierre tombale en immeuble à appartements ! C’est à mon sens un mythe moins actuel que les deux autres.

Une bataille de monstres
extraite de "La Fée Puzzle" le premier album de la série "Gueule de Bois" (Ed. Le Lombard)

Où mène la série Gueule de bois, qui met en place ses personnages principaux dans ce premier album, même si, au niveau des seconds rôles, il y a des trouvailles hallucinantes, comme ce club de milliardaires aveugles...?

Dans le deuxième album, j’explore un petit peu qui ils sont. Ces sont les commanditaires de cette espèce de commando anti-fantômes, anti-monstres. Je vais les présenter de plus en plus comme des persécuteurs, comme des « nazis », ce que je n’avais pas du tout prévu au début. En fait, ce sont eux qui vont endosser de plus en plus le mauvais rôle, car c’est eux qui pourchassent l’étranger. Woody Woostock/Pinocchio, partagé entre le fait qu’il a besoin d’eux et ses sentiments pour les victimes de cette persécution, est pris entre deux feux.

Ce qui, pour une pièce de bois, est un peu dangereux quand même (rires). Qu’est-ce qui, dans le mythe de Pinocchio, te fascine au point de le reprendre à vingt ans de distance ?

C’est difficile à expliquer. Le petit album que l’on a fait ensemble faisait trente pages. C’est un univers que j’avais envie de reprendre et d’explorer beaucoup plus loin. Ce qui m’intéresse sans doute, c’est la quête du père. Pinocchio représente le moment de l’adolescence où l’on rue dans les brancards, ce que moi personnellement, je n’ai jamais trop fait.

Et la quête du père ?

Il y en a une qui apparaît dans plein de mes histoires, mais je ne l’ai jamais faite dans la réalité.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Illustrations : « Pinocchio » © Ph. Foerster - « Gueule de Bois » © Le Lombard.
En médaillon : Philippe Foerster. Photo : D. Pasamonik

[1Post-face à Pinocchio, Magic-Strip, Bruxelles, 1982.

[2Pinocchio est bien antérieur à la Ligue. NDLR.

 
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