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Philippe Graton : "Notre studio respecte le style Graton tout en le faisant évoluer"

Par Nicolas Anspach le 17 juin 2008                      Lien  
{{Philippe Graton}} assiste son père dans la gestion de son œuvre et assure actuellement la destinée narrative de {Michel Vaillant} en même temps que la gestion de Graton éditeur. En gardien du temple, il veille à ce que les nouveaux albums de {Michel Vaillant} soient fidèles au canevas imposé par son créateur.

Le personnage de Jean Graton connaît une double actualité en cette fin de printemps. Le dixième Dossiers Michel Vaillant, consacré au pilote automobile Gilles Villeneuve paraît ces jours-ci, suivi de la publication aux éditions du Lombard de deux intégrales regroupant les premières aventures du pilote automobile.

Pourquoi avez-vous voulu sortir des aventures de Michel Vaillant pour nous raconter le destin de personnalités du monde de l’automobile ?

Michel Vaillant a toujours eu une bonne réputation en matière de crédibilité, de réalisme, d’exactitude, de souci du détail. On s’est même référé à l’une des BD de mon père pour un jugement concernant la propriété d’un terrain. Dans les Casse-cou, Jean Graton avait dessiné un carrefour. Celui a été modifié plus tard par un rond-point , lésant une des parties. Le juge a considéré que le dessin repris dans Michel Vaillant faisait foi pour départager les parties concernant ce litige. C’est une anecdote, mais révélatrice de la réputation que l’on a dans le milieu de l’automobile et parmi les lecteurs. Nous tenons à être réalistes et vraisemblables pour tout ce qui concerne les éléments techniques.

Philippe Graton : "Notre studio respecte le style Graton tout en le faisant évoluer"Si la BD pouvait avoir cette rigueur-là, nous avons pensé qu’elle pouvait parfaitement servir à reconstituer des éléments réels. En me documentant pour des scénarios de BD et en parlant avec des personnes du monde de l’automobile, je me suis rendu compte qu’il existait des histoires extraordinaires à propos de chaque pilote. Ces destins méritaient vraiment d’être racontés pour que le lecteur se rende comptent qu’il y a eu des personnages héroïques et remarquables dans le monde de la compétition automobile.

J’ai abandonné, dans les années ’80, mon travail de journaliste indépendant et de photographe pour aider mon père. Il avait des souci d’édition. Nous devions retrousser nos manches pour préserver le patrimoine familial. J’ai toujours été frustré de ne pas pouvoir continuer mon ancienne profession parallèlement à mes activités chez Graton éditeur. Je pensais que m’occuper de Michel Vaillant allait prendre la moitié de mon temps et cela me prend douze heures par jour ! Ces dossiers étaient pour moi une façon de revenir au reportage, en alliant des bandes dessinées aux photos et aux textes. La BD est un outil extrêmement intéressant pour montrer des évènements du passé avec un angle différent. Ainsi, on met le lecteur à la place du pilote. Que cela soit le coup de la panne d’essence de Jacky Ickx au Mans en 1969, pour gagner contre une voiture plus rapide que lui, ou des choses plus tragiques comme l’accident de Coluche, ou comme celui qui a coûté la vie à Gilles Villeneuve.

Le studio Graton cherche à rester fidèle au style graphique de votre père…

C’est un point très délicat. Et il ne se passe pas une semaine sans que nous ne nous posions pas de question à ce sujet. Trois dessinateurs travaillent pour le studio. Ils arrivent à dessiner de manière homogène, en respectant le style Graton tout en le faisant évoluer. On ne cadre plus les scènes de la même manière par exemple. Les décors, les combinaisons et les voitures ont changé depuis les années ’60. On ne peut donc pas dessiner des histoires contemporaines avec le style qu’avait mon père à cette époque-là. Mais nous essayons de donner cette même force aux planches réalisées par le studio Graton. C’est difficile, car on multiplie aujourd’hui les intervenants : je réalise le scénario ; le studio dessine un story-board, puis s’attèle au crayonné des planches, etc. Mon père travaillait seul. On perd don une certaine spontanéité et nous n’avons pas la même rigueur, de ce fait-là.

Jean Graton et Philippe Graton
(c) Studio Graton.

Le Lombard réédite Michel Vaillant sous la forme d’intégrales. Pourquoi ne pas le faire vous-même ?

Mais nous avons initié ce projet ! Graton éditeur s’est chargé de tous les travaux de recherche. Ces intégrales doivent rassembler tous les dessins réalisés autour de Michel Vaillant : illustrations, couvertures du journal de Tintin, histoires inédites et bien entendu les albums. J’avais eu un très bon contact avec Yves Sente, l’ancien directeur éditorial du Lombard, lorsqu’il a édité une mini-intégrale de Michel Vaillant dans la collection Millésime pour les soixante ans du Lombard.

La publication des intégrales Michel Vaillant est un projet conséquent pour une petite structure telle que la nôtre. Une entreprise risquée, tant au point de vue du financement que des coûts de stockage. Nous avons pris un bouillon avec le dossier consacré à Pescarolo. Nous sommes un éditeur tiers pour notre diffuseur DDL [1]. Pourtant, nous leur avions demandé, avant d’imprimer ce dossier, combien ils estimaient en vendre. Ils nous abaient dit qu’ils étaient capables d’en placer 16.000. Or, il n’en ont mis en place que la moitié ! Nous étions dans le rouge avant même d’avoir vendu le premier album ! Pour un petit label comme le notre, une expérience pareille est assassine !

J’ai été présenter ces intégrales à DDL, et ils m’ont confié pouvoir en distribuer entre six ou huit mille exemplaires. Selon eux, dans le contexte actuel, il valait mieux réimprimer et opter pour la prudence. Quelques semaines après, j’ai signé un accord avec le Lombard pour l’édition des mêmes livres. Ils ont été revoir DDL, et avec la même maquette et le même contenu, et ils sont arrivés à en placer 20.000 exemplaires. Tout simplement parce que les intégrales étaient éditées sous le label Lombard, synonyme de qualité. Nous n’avons pas la même marge que si nous en étions les éditeurs mais, d’un autre côté, cela offre plus de visibilité à Michel Vaillant.

Luc Besson a produit une adaptation cinématographique de votre héros en 2003. Cet évènement a-t-il eu un impact sur les ventes ?

Indiscutablement. Sylvie Uderzo [2] m’avait prévenu que les ventes augmenteraient de près de 20% lors de la sortie du film. En fait, nous les avons multiplié par trois entre 2003 et 2004. L’impact a été énorme. Mais nous ne sommes évidement pas restés assis derrière notre table pour arriver à un tel résultat. A l’époque, nous avions « violé » le diffuseur, réimprimé le fond, etc. Les ventes sont redescendues ensuite. Mais elles sont toujours supérieures à celle de 2002 ! Le film a fait près d’un million d’entrée, et cela nous a permis de donner un coup de jeune à un personnage qui a cinquante balais !

Comment expliquez-vous le succès de ce personnage ?

Nous ne le savons pas exactement. Mais nous avons quelques pistes. Michel Vaillant évolue avec notre époque. Les récits sont contemporains, au contraire de Blake & Mortimer. Notre personnage est à la pointe de la technologie. Il en va de même pour le monde sportif. Il a couru contre Fangio ou Maurice Trintignant. Aujourd’hui, ses adversaires se nomment Lewis Hamilton ou Fernando Alonso. Cet élément fait que Michel Vaillant est au-dessus des modes. Les lecteurs de le série ne sont sans doute pas les mêmes que ceux des années ’70 !
Ensuite, cette série n’a aucun véritable concurrent. C’est la seule BD qui parle de course automobile et de sport mécanique. J’ai réalisé un sondage dernièrement lors de la sortie d’un album. J’avais demandé aux lecteurs de Michel Vaillant, via un flyer, ce qu’ils lisaient. Je m’attendais à ce qu’ils mentionnent des séries comme XIII, Largo Winch, Blake & Mortimer ou des mangas ! En fait, les deux tiers des personnes sondées nous ont cité des journaux consacrés à l’automobile !
Le côté familial de la série est aussi apprécié par les lecteurs qui y découvrent une famille et se plaisent à la voir évoluer dans des scènes secondaires à chaque histoire…

Il était question dans les années ’90 d’une reprise de Julie Wood. Avez-vous abandonné cette idée ?

Nous réaliserons éventuellement des intégrales de Julie Wood. Mon père avait arrêté cette série dans les années ’80, pour la faire entrer, comme personnage secondaire, dans l’album Paris-Dakar de Michel Vaillant. Je vais vous faire une confidence : nous sommes tous motards au studio Graton, et cela nous manquait beaucoup de ne pas réaliser une série sur la moto. Nous créons actuellement une nouvelle série. Les premiers dessins seront dévoilés en 2009. Ce sera totalement différent de Julie Wood. On a pensé à un moment relancer cette série. Nous ne l’avons pas fait car nous ne voulions pas retomber dans les contraintes de Michel Vaillant. C’est-à-dire reprendre le héros de quelqu’un d’autre et de développer des aventures en respectant un maximum le canevas imposé par son créateur. C’est un exercice de style intéressant à faire, mais nous souhaitions nous changer les idées. Les quatorze premières pages ont déjà été dessinées. Les scénarios des deux premiers tomes sont bouclés. Ce sera différent du travail de mon père !

(par Nicolas Anspach)

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Photo en médaillon : (c) Graton Editeur.

[1la filiale de Média-Participations qui distribue et diffuse les albums du groupe

[2La fille d’Albert Uderzo, qui travaille à ses côtés

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