Que pensez-vous du phénomène des reprises de personnages européens, tel qu’on le constate aujourd’hui ? Blake et Mortimer, Cubitus, Achille Talon, et aujourd’hui Lucky Luke...
Les reprises sont le meilleur moyen de continuer à faire vivre et donc connaître une série, qui sinon disparaîtrait dans le flot des 2.500 nouveautés annuelles. C’est donc un phénomène extrêmement positif pour l’auteur original et pour la pérennité des classiques de la Bande Dessinée. Comment faire aujourd’hui connaître une aussi fabuleuse série que Gil Jourdan à un jeune lecteur ? Les albums sont difficilement trouvables en librairie, il n’y a pas de nouveauté etc., une reprise faite avec intelligence et respect pourrait faire redécouvrir l’oeuvre originale. C’est simple, allez en librairie et cherchez les séries qui n’ont pas eu de nouveauté depuis cinq ans. Ce n’est pas l’éditeur qui ne veut pas les vendre, c’est le lecteur qui ne les connaît pas.
Cela correspond-t-il à une volonté pour les éditeurs de pérenniser un catalogue pour en détenir tous les droits à moyens ou à long terme ? Pour être plus clair : Est-ce que les éditeurs français ne sont pas en train de rejoindre les éditeurs américains qui ont pour politique de détenir tous les droits de leurs personnages ?
Non, c’est une volonté de faire vivre les fonds et de construire un catalogue solide : des séries historiques avec des nouveautés fortes et un fond qui se vend bien et des séries émergentes qui demandent un énorme investissement sans possibilité de se rattraper sur les ventes de fonds.
La reprise, on l’a vu avec Spirou, est surtout liée au talent du repreneur. Dans le cas de Lucky Luke, on a pu lire dans nos pages qu’elle était diversement appréciée, notamment par les Canadiens qui critiquent vertement le scénario de Gerra...
Ne dites pas les Canadiens comme si c’était un avis unanime. Pour avoir passé une semaine à Montréal lors de la sortie de La Belle Province, je peux vous assurer que les réactions ont été très positives. L’album a été prépublié dans l’un des plus importants quotidiens québécois et les lecteurs ont été enthousiastes. Quant à la sortie, elle a fait la une de tous les quotidiens et des journaux télévisés. L’album est déjà réimprimé tant les demandes de réassorts sont importantes, et s’est vendu aujourd’hui à plus de 65.000 ex au Québec. Je crois donc que la majorité des Québécois est très heureuse de La Belle Province. Comme le dit la mairesse de Contrecoeur "nous sommes fiers que Lucky Luke vienne chez nous".
Que signifie le recours des éditeurs à des "signatures" connues, une réassurance commerciale grâce à la garantie d’une promotion ou l’aveu que la relève des Goscinny et des Charlier n’est pas assurée ?
Ni l’un, ni l’autre. Simplement le fait que beaucoup de gens aiment et veulent faire de la Bande Dessinée. Certains sont connus comme Laurent Gerra, Frédéric Beigbeder, Tonino Benacquista ou Denis Robert pour avoir eu du succès dans d’autres domaines, d’autres sont moins connus comme Mathieu Sapin, Riad Sattouf, Miguel (Myrkos) ou bien d’autres. Ils sont tous publiés chez Dargaud. En plus, je ne comprends pas bien pourquoi avoir du talent et du succès en écrivant des sketchs, des livres ou des films serait un désavantage pour écrire des Bandes Dessinées. Personne n’a critiqué René Goscinny pour avoir écrit Le Petit Nicolas ou le scénario du Viager, au contraire...
Propos recueillis par Didier Pasamonik le 13 octobre 2004.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photo © D. Pasamonik
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