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Philippe Ostermann : « La majorité des Québécois ont apprécié le Lucky Luke de Gerra. »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 15 octobre 2004                      Lien  
Nous avions publié dans ces pages [une critique au vitriol->http://www.actuabd.com/article.php3?id_article=1741] du dernier album de Lucky Luke signé Laurent Gerra et Achdé, « La Belle Province ». Diversement apprécié, l'album fait cependant un triomphe : 600.000 exemplaires ont été vendus à ce jour, dont 65.000 au Québec. Philippe Ostermann, éditeur chez Dargaud, s'explique.}}

Philippe Ostermann : « La majorité des Québécois ont apprécié le Lucky Luke de Gerra. »  Que pensez-vous du phénomène des reprises de personnages européens, tel qu’on le constate aujourd’hui ? Blake et Mortimer, Cubitus, Achille Talon, et aujourd’hui Lucky Luke...

-  Les reprises sont le meilleur moyen de continuer à faire vivre et donc connaître une série, qui sinon disparaîtrait dans le flot des 2.500 nouveautés annuelles. C’est donc un phénomène extrêmement positif pour l’auteur original et pour la pérennité des classiques de la Bande Dessinée. Comment faire aujourd’hui connaître une aussi fabuleuse série que Gil Jourdan à un jeune lecteur ? Les albums sont difficilement trouvables en librairie, il n’y a pas de nouveauté etc., une reprise faite avec intelligence et respect pourrait faire redécouvrir l’oeuvre originale. C’est simple, allez en librairie et cherchez les séries qui n’ont pas eu de nouveauté depuis cinq ans. Ce n’est pas l’éditeur qui ne veut pas les vendre, c’est le lecteur qui ne les connaît pas.

-  Cela correspond-t-il à une volonté pour les éditeurs de pérenniser un catalogue pour en détenir tous les droits à moyens ou à long terme ? Pour être plus clair : Est-ce que les éditeurs français ne sont pas en train de rejoindre les éditeurs américains qui ont pour politique de détenir tous les droits de leurs personnages ?

-  Non, c’est une volonté de faire vivre les fonds et de construire un catalogue solide : des séries historiques avec des nouveautés fortes et un fond qui se vend bien et des séries émergentes qui demandent un énorme investissement sans possibilité de se rattraper sur les ventes de fonds.

-  La reprise, on l’a vu avec Spirou, est surtout liée au talent du repreneur. Dans le cas de Lucky Luke, on a pu lire dans nos pages qu’elle était diversement appréciée, notamment par les Canadiens qui critiquent vertement le scénario de Gerra...

-  Ne dites pas les Canadiens comme si c’était un avis unanime. Pour avoir passé une semaine à Montréal lors de la sortie de La Belle Province, je peux vous assurer que les réactions ont été très positives. L’album a été prépublié dans l’un des plus importants quotidiens québécois et les lecteurs ont été enthousiastes. Quant à la sortie, elle a fait la une de tous les quotidiens et des journaux télévisés. L’album est déjà réimprimé tant les demandes de réassorts sont importantes, et s’est vendu aujourd’hui à plus de 65.000 ex au Québec. Je crois donc que la majorité des Québécois est très heureuse de La Belle Province. Comme le dit la mairesse de Contrecoeur "nous sommes fiers que Lucky Luke vienne chez nous".

-  Que signifie le recours des éditeurs à des "signatures" connues, une réassurance commerciale grâce à la garantie d’une promotion ou l’aveu que la relève des Goscinny et des Charlier n’est pas assurée ?

-  Ni l’un, ni l’autre. Simplement le fait que beaucoup de gens aiment et veulent faire de la Bande Dessinée. Certains sont connus comme Laurent Gerra, Frédéric Beigbeder, Tonino Benacquista ou Denis Robert pour avoir eu du succès dans d’autres domaines, d’autres sont moins connus comme Mathieu Sapin, Riad Sattouf, Miguel (Myrkos) ou bien d’autres. Ils sont tous publiés chez Dargaud. En plus, je ne comprends pas bien pourquoi avoir du talent et du succès en écrivant des sketchs, des livres ou des films serait un désavantage pour écrire des Bandes Dessinées. Personne n’a critiqué René Goscinny pour avoir écrit Le Petit Nicolas ou le scénario du Viager, au contraire...

Propos recueillis par Didier Pasamonik le 13 octobre 2004.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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2 Messages :
  • Ah, cher monsieur l’editeur, je ne vais pas abonder dans votre sens : une série dont l’auteur est mort n’a pas besoin d’être reprise pour être découverte.
    Sachez que quelqu’un qui lit une BD ne l’a pas forcément acheter. Non monsieur, ni même piratée sur internet (ça ne se fait pas encore).
    Non, c’est beaucoup plus simple. Il peut simplement l’avoir emprunté dans une bibliothèque.
    C’est ce qui m’a permis de découvrir les séries du passé, et j’espère que c’est le cas de nombreuses personnes.

    Si votre objectif est vraiment qu’une série soit connue, faites donc des rééditions à destination des bibliothèques.

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    • Répondu par Jérôme le 27 octobre 2004 à  11:42 :

      Tout à fait d’accord avec cet internaute. C’est ce que fait (très bien) Niffle-Cohen avec ses intégrales dans un noir et blanc superbe. J’ai d’ailleurs lu quelque part que cette maison d’édition proposait prochainement une réédition des mini-récits de Peyo (Schtroumpfs) qui propose des versions primitives des albums aujourd’hui disponibles sur le marché. Le travail de mémoire peut rejoindre le commerce - mais il est vrai que des nouveautés sont toujours plus attractives pour un industriel du livre. Quelqu’un sait ici, par exemple, combien rapporte une nouveauté Blake et Mortimer ? Ce doit être plus important qu’une réédition en intégrales de Gil Jourdan... Hélas !

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  • Petit message bête :

    Je ne crois pas du tout que les canadiens, dont on nous rabat les oreilles dans cet entretien, liront cet album de Lucky Luke qui se passe au Québec. Je ne pense pas me tromper en affirmant que la quasi-totalité des canadiens n’ont pas la moindre idée qu’existe la bande dessinée francophone ! Amis français, un peu de discernement SVP !

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    • Répondu par Le BéDénaute le 31 octobre 2004 à  18:34 :

      Vous n’avez que partiellement raison.

      Les canadiens francophones – ceux susceptibles de lire de la BD en langue française – sont géographiquement concentrés dans la province de Québec, mais il existe aussi plusieurs communautés francophones ailleurs dans le pays : les Acadiens dans les provinces maritimes, les Franco-Ontariens, les Franceskois et les Franco-Manitobains dans l’Ouest et, une communauté très vivante même dans la très britannique Colombie. Le dernier album de Lucky Luke étant campé au Québec, et avec des références surtout québécoises pour les personnages (Céline Dion, Charlebois, Vigneault, Bombardier, Sénécal) et les lieux (Contrecoeur, Montréal), il est logique de penser qu’il intéressera particulièrement les Québécois, mais aussi, et pourquoi pas, les autres communautés francophones du Canada. Philippe Ostermann a donc raison de dire que le dernier Lucky Luke intéresse les « canadiens », en supposant qu’il réfère aux canadiens francophones.

      Mais cet album intéresse-t-il les canadiens anglophones, les « canadians » ? L’intérêt des canadiens anglophones, pour la BD d’expression française n’a jamais été mesuré, mais on discerne une tendance. À ma connaissance, très peu de séries franco-belges ou québécoises ont suscité de l’intérêt pour les anglophones d’Amérique du Nord, malgré des efforts certains de commercialisation (jadis par Michel Greg, entre autres). Certes, il existe des Tintin, des Astérix et sans doute des Largo Wynch en langue anglaise, mais quel est leur part du marché comparé aux héros de Marvel, DC ou Dark Horse ? Anecdote : lors de l’exposition « Dan Cooper » d’Albert Weinberg au Musée Stewart à Montréal, plusieurs visiteurs anglophones des É-U et du Canada se sont étonnés que les albums n’étaient disponibles qu’en français. Plus récemment, l’Alliance française d’Ottawa qui organisait l’exposition « Panorama de la jeune BD canadienne », réunissait VoRo, Christ Oliver, François Lapierre, Christian Quesnel , Sherwin Tija, Michèle Laframboise, Thierry Labrosse, Max the Black Rabbit, Leanne Fransson et Jean-Paul Eid : prenons note ici que la plupart de ces bédéistes « canadiens » sont du Québec. Cet exemple laisserait penser qu’au Canada, ce sont surtout les Québécois qui font de la BD, mais tel n’est pas le cas. Il y aussi des Canadiens anglophones qui font de la BD, mais à l’instar de leurs collègues francophones, dont la production est disséminée dans l’ensemble de la production en francophonie, la leur est noyée dans la masse des productions anglo-saxonnes, les États-Unis étant la porte à côté, ne l’oublions pas. Enfin, soulignons les efforts de l’éditeur montréalais (et anglophone) Drawn and Quarterly, lequel, en plus de publier Chester Brown et Seth, a adapté en langue anglaise Baru, David B. et Dupuy et Berberian, mais surtout Julie Doucet et Michel Rabagliati, et a contribué à faire connaître l’œuvre d’Albert Chartier au public anglophone.

      Alors, rassurez-vous, les canadiens francophones, les Québécois en particulier, ont une très bonne idée de l’existence de la bande dessinée francophone, avec un festival de BD à Québec et un à Gatineau, des bédéistes européens et locaux invités aux nombreux salons du livre, un site consacré à ses bédéistes, et il y a même un quiz sur la bande dessinée québécoise sur ActuaBD. Non seulement ils ont une bonne idée de la BD francophone, mais ils y participent activement.

      Le BéDénaute

      Quelques sites en référence pour votre information :

      BDQuébec : http://www.bdquebec.qc.ca

      Alliance française d’Ottawa : http://www.af.ca/ottawa/

      Sur VoRo, Rabagliati, Quesnel, Julie Doucet et Albert Chartier, voir : http://www.bdquebec.qc.ca/auteurs/

      Christ Oliver : http://www3.sympatico.ca/c.oliver/

      François Lapierre : http://www.soleil-lesite.com/index.php

      Michèle Laframboise : http://www.michele-laframboise.com

      Thierry Labrosse : http://www.thierrylabrosse.com/fr/morea.shtml

      Max the Black Rabbit : http://www.furnation.com/black_rabbit/

      Jean-Paul Eid : http://www.bd-eid.com/

      Drawn and Quarterly : http://www.drawnandquarterly.com/

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