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Philippe Xavier ("Conquistador, Croisade") : « 92 planches par an, c’est un bon rythme de travail »

Par Charles-Louis Detournay le 13 janvier 2014                      Lien  
Signant deux albums à la fin de 2013, Philippe Xavier a trouvé ses marques dans le paysage encombré de la BD franco-belge. Rencontre.

Vous qui désiriez dessiner la jungle, vos attentes ont été comblées avec le scénario de Jean Dufaux sur Conquistador...

En effet, l’idée de partir explorer le Mexique de Moctezuma en 1520 me tenait a cœur. J’ai voulu la partager avec Jean Dufaux, c’est chose faite et cela depuis trois tomes. Ce dernier volume m’a vraiment permis de me lâcher, d’essayer de nouvelles choses. Ce fut un réel plaisir malgré une cadence infernale pour sortir deux albums en 2013. J’aurais aimé m’engouffrer encore plus profondément dans cette jungle que j’aime dessiner, découvrir et faire découvrir, fréquenter d’autres endroits encore plus fabuleux. Mais je dois servir l’histoire avant tout.

Tentez-vous d’influencer votre scénariste d’une façon ou l’autre ? Ou vous laissez-vous porter dans le torrent d’une rivière impétueuse ?

Philippe Xavier ("Conquistador, Croisade") : « 92 planches par an, c'est un bon rythme de travail »
Le tirage limité de Glénat présente le travail de Philippe Xavier en noir et blanc.

L’influencer ? Non. Mais comme je propose des univers personnels à Jean Dufaux, je fais en sorte de m’impliquer un peu plus dans l’histoire. J’aime décrire certaines scènes, débroussailler des chemins à explorer. Après je veux, et je dois, être surpris par son scénario. Et cela fonctionne à merveille.

On peut remarquer que vous avez fait moins de gros plans dans ce tome 3 de Conquistador par rapport aux tomes précédents ? Est-ce une volonté de donner plus de profondeur de champ ? De varier les cadrages de vos cases ?

Les gros plans de face sont prévus dans le script. C’est une des marques de fabrique de Jean Dufaux, tout comme ce découpage en 6 cases : 3 en haut, 3 en bas. Mais dans le premier cycle de Conquistador, avec moins de cases en moyenne par page, il m’a semblé que ce style de gros plans ne donnait pas complète satisfaction. J’ai donc voulu donner plus de profondeur, plus de densité dans les planches en variant le nombre de cases par planche. Je crois aussi qu’ il y a eu un déclic avec ce tome 3 de Conquistador, déjà amorcé timidement dans le tome 7 de Croisade : c’est comme si j’avais changé de réalisateur, mon jeu de caméra est différent. Donc oui, j’ai effectivement reculé la caméra pour mieux maîtriser la fluidité graphique et narrative, mieux circuler entre et autour des personnages tout en donnant beaucoup d’importance au décor.

Philippe Xavier s’amuse même à réaliser de petits montages pour certains de ces albums

Après avoir dessiné d’un coup les deux premiers Conquistadors, vous étiez revenu sur Croisade. Comme avez-vous ressenti le dessin de cet univers de sable après la jungle ?

Il y a eu un long moment face à ma planche 1, une sorte de peur agréable, de légère hésitation... Comment allais-je aborder ces premières pages de Croisade T7 ? Ce ne fut pas si facile de passer d’un univers à l’autre. Il faut se reconcentrer, s’immerger à nouveau dans cet univers orientaliste après seize mois de jungle dense. Mais la première scène de croisade 7 (magie de l’histoire ou écoute particulière de Jean Dufaux à mon égard ?) débute par une scène d’action rapide, violente et fulgurante, dans une palmeraie de nuit, tout ce dont j’avais besoin pour me remettre en selle.

Le reste s’enchaîne alors très vite et le plaisir de retrouver nos personnages rend le travail encore plus excitant. Retrouver des personnages qui nous sont chers, et en créer des nouveaux, comme Guy de Lusignan, est un vrai plaisir. C’est comme retrouver un ami cher après quelques années : quelques mots et un regard complice suffisent pour repartir de plus belle.

Vous deviez dessiner un homme des plus hideux : Lusignan. Comment vous êtes-vous pris pour figurer cette monstruosité ?

Jean l’avait décrit comme un homme imposant, laid et balafré. C’était à moi de jouer pour graphiquement créer un personnage inoubliable doté d’une force physique terrifiante. Pour que mes personnages prennent vie, j’ai besoin de les entendre, de comprendre leur réactions, qu’ils prennent de la force au fil des pages, des tomes, en fonction de leur comportement, de leurs actions et réactions. Donc, pour Lusignan, la cicatrice, symbole de la violence de son passé, renforçant sa laideur, étant indispensable, il en fallait une originale et unique. Un véritable challenge, car les récits de Jean regorgent de personnages défigurés, mutilés,... Je lui ai donc donné un bon coup d’épée qui lui a fendu le crâne. Pour l’instant, je me concentre sur son visage mal cicatrisé.

A contrario, vous représentez un homme horrible intérieurement : Frère Entéaclon, mais d’une grande beauté extérieure, presque immaculée. Est-ce volontaire ?

Bien sûr, jouer sur la dualité est indispensable pour rendre un personnage encore plus menaçant ou malsain.

Comment distinguez-vous le graphisme que vous développez dans chacune des deux séries ?

Je ne les distingue pas, je dessine de la même manière. Ce qui change est tout simplement l’univers et les ambiances à mettre en scène, les émotions que je dois transmettre. Conquistador me permettait d’intensifier le travail des noirs, de donner plus de force à mon trait... Pour cela, j’ai décidé d’augmenter la taille de mes originaux et de changer d’outils, la souplesse du pinceau et la précision de la plume ont fait le reste.

Croisade aborde une multitude de sentiments : passion, amour, trahison, désir, jalousie, etc. Aimez-vous faire passer ces émotions dans vos personnages, au détriment de l’action ?

Les émotions sont indispensables : elles nous font vibrer, nous poussent à nous attacher aux personnages. L’action est toujours présente dans mes livres. Actions et émotions sont indissociables à mes yeux. Il faut trouver le juste mélange. Et j’aimerais travailler des scènes encore plus intimistes, avec des dialogues percutants pour renforcer la personnalité de nos personnages, les rendre plus palpables.

Après avoir donné un coup de turbo dans l’intrigue de Croisade avec l’arrivée de Sybille, voici que le tome 7 ramène nos héros dans la Ville sainte. Appréciez-vous la façon dont l’intrigue se développe ?

Oui. Nous sommes en chemin pour boucler les intrigues : le miroir, le Quadj, les amours de Syria et du Sultan, la paix fragile entre Chrétiens et Musulmans,... Les parcours de chacun se sont éloignés, recroisés pour finalement converger vers un épilogue qui fera également la part belle à la réalité historique dans le prochain tome. C’est également bon de retrouver Gauthier et Syria. Leurs retrouvailles étaient importantes, indispensables pour notre histoire. Tous les chemins vont se conclure en apothéose.

Un hommage à Game of Thrones

À un moment, vous vouliez plus de one-shots à la place de longs cycles de quatre tomes comme dans le premier. Pourtant, le tome 5 de Croisade s’est justement révélé un peu moins dense. Pensez-vous avoir trouvé maintenant le bon rythme ?

À titre personnel et par rapport au marché actuel, je n’ai plus envie de m’embarquer dans des histoires qui prennent 5-6 tomes ou plus, pour conclure l’intrigue. Le marché change, les attentes des lecteurs ne sont plus les mêmes, la surproduction (souvent au détriment de la qualité) va détruire le monde de la BD. Il faut pouvoir offrir des histoires complètes en un ou deux tomes. Si je l’envisageais dans le cadre d’une série au long cours, je rêverais travailler sur des "albums-épisodes" de 46 planches (comme Blueberry, Comanche, Jeremiah, Thorgal...) mettant en scène une aventure et sa conclusion. Néanmoins, je m’oriente vers des histoires complètes construites en 2 x 46 planches pour mes prochains projets. 92 planches par an est un bon rythme de travail ; cela demande beaucoup de concentration et de régularité, mais c’est jouable.

Vers quoi vous dirigez-vousdans le futur : le T8 et fin du second cycle pour Croisade ? Le T4 et fin du second diptyque pour Conquistador ?

Nous apposerons donc le mot fin sur le tome 8 de Croisade et sur le tome 4 de Conquistador. Nous aurons, je pense, créé deux univers forts et originaux. L’heure sera venue de laisser nos personnages au repos. Les histoire s’achèveront donc sur des univers qui pourront néanmoins encore se développer, le moment venu.

Et après, quelles sont vos autres envies ?

J’ai un projet personnel que je réaliserai en 2015 en collaboration avec la scénariste de Juarez et Down Under, Nathalie Sergeef : un diptyque qui se déroulera au XVIIIe.

Après le XIIe siècle des croisades, le XVIe des conquistadors, je poursuis donc ma course à travers l’Histoire. Les passionnés d’aventures historiques seront comblés, j’espère. D’autres idées commencent à germer mais cela prend du temps. Laissons-les donc mûrir tranquillement en attendant le bon moment pour leur donner vie.

(par Charles-Louis Detournay)

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En parallèle de cet article, lire notre article : Dufaux - Xavier : tandem de choc

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- Le lancement du sixième tome de Croisade : Sybille
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Lire également la dernière interview de Jean Dufaux : « Mes lignes scénaristiques ne sont pas droites, elles sont souvent fracturées. »

Enfin, visiter le blog de Philippe Xavier

Photo en médaillon : Philippe Xavier à St Malo, avec la statuette d’Elènore (les Sculpteurs de Bulles)

 
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