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Philippe Xavier : « Jean Dufaux est mon scénariste idéal »

Par Charles-Louis Detournay le 13 décembre 2009                      Lien  
Le quatrième et dernier tome du premier cycle de {Croisade} vient de paraître, et il répond parfaitement aux attentes du lecteur. Mais son dessinateur nous explique que l'aventure ne s'arrête pas là, car le premier tome des Aventures de Gauthier paraîtra en novembre 2010.

Philippe Xavier : « Jean Dufaux est mon scénariste idéal »Croisade est sans nul doute une des excellentes séries parues dernièrement, et destinée à rentrer durablement dans le paysage de la bande dessinée. Avec ces quatre tomes parus en deux ans, c’est un vrai raz-de-marée d’albums aussi intenses que passionnant qui a déferlé sur le lectorat, et auquel il n’a pu rester insensible.

La conclusion de ce cycle comble toutes les attentes : l’intrigue se dénoue, des surprises surgissent encore alors que le graphisme est toujours aussi hypnotisant. Le superbe triptyque se dépliant en milieu d’album révèle une nouvelle scène de bataille, faisant habilement le lien avec le premier tome. Décidément, une série aussi captivante qu’esthétiquement réussie.

Heureusement, les auteurs ne comptent pas en rester là, en développant la suite des ces aventures. Ils désirent suivre les évolutions d’un des personnages principaux, Gauthier de Flandres, dans un format plus standard de 46 planches. Le début d’une grande série épique ? Voici les réponses du dessinateur :

Tout d’abord, il me brûle de savoir avec quel djinn avez-vous pactisé pour réaliser ces deux cents planches en trois ans ?

La couverture du tirage de luxe du T4 rappelle que l’amour est un élément important de l’intrigue

C’est le djinn du plaisir, de la création, de l’envie de dessiner tout simplement. Ma grande force est de travailler sans contrainte, car j’adore ce que je fais : j’aime beaucoup travailler avec Jean Dufaux, l’équipe du Lombard est à mon écoute, et tout cela forme un contexte très motivant.

Cette pression positive vous a donc permis de sortir les albums à une cadence soutenue !

C’est vrai que les trois derniers tomes sont sortis tous les six mois, mais c’était notre volonté de placer rapidement ce premier cycle, parce qu’il a tellement de parutions actuellement, qu’il faut se démarquer si on veut exister ! Bien sûr, c’est avec les années d’expérience que mon dessin devient plus juste et plus sûr, et cela contribue sans doute à cette apparente rapidité. Mais je ne pense pas que je dessine vite ; j’essaye de travailler beaucoup et régulièrement. Bien entendu, il a un apprentissage permanent, et je m’impose des défis, car c’est très agréable de sortir un dessin que tu n’aurais pas aussi bien réussi deux ou trois mois auparavant.

Vous allez devoir vous définir de nouveaux objectifs pour que cette ‘magie’ continue à opérer ?

Oui, mais une bonne part de cette progression est inconsciente, et c’est lorsqu’on regarde en arrière qu’on se rend compte du chemin accompli. Ma complicité avec Jean Dufaux joue également un rôle important dans cette évolution. Nous nous voyons très régulièrement, on se parle beaucoup, je lui montre mes crayonnés et mes planches. Ce contact presque permanent nous permet d’avancer constamment dans les défis de la série, et il m’a demandé des choses dans ce dernier tome qu’il ne m’aurait pas proposées dans le premier, car j’en aurais été incapable.

Dans le futur, j’ai envie de m’attarder sur quelques défis techniques, en particulier mon encrage. Je travaillais avec une ligne plutôt pure, sans rature. Maintenant que je pense maîtriser ce style, je veux rendre mon encrage plus vivant, en déformant, en cassant la ligne. Je voudrais aussi pouvoir mettre plus de détails dans cette phase cruciale, libérer mon trait pour jouer sur les volumes. Je pense souvent aux influences irremplaçables qui m’ont guidé dans ce métier : Giraud et Hermann entre autres.

Vous appuyez votre graphisme par votre triptyque déplié qui renvoie au premier tome, mais n’est-ce pas une contrainte volontaire ?

C’est bien entendu un clin d’œil, pour montrer que nous avions achevé ce premier cycle. Ce dépliant est un pur plaisir graphique, mais c’est plus une contrainte scénaristique, car on ne peut le placer qu’à deux endroits précis, pour que cela soit techniquement réalisable lors de l’impression.

Ce dépliant est un de vos apports dans cette série, mais si on sait comment Jean Dufaux a découvert votre travail, on peut se demander quel type de scénario vous souhaitiez ?

Je désirais explorer l’univers oriental, mais aussi celui des croisés qui combattaient en Terre Sainte pour Jérusalem. Jean s’est donc inspiré de ce point de départ pour nous concocter cette très belle histoire. On s’est vite rendu compte que la trilogie serait trop courte pour terminer notre récit, et c’est ainsi que le quatrième tome s’est imposé.

Est-ce que vous commentez le scénario qu’il vous envoie, ou restez-vous spectateur de la fresque que vous traduisez pour nos yeux ?

Le scénario de Jean est très précis, ponctué de belles descriptions et avec des mots très bien choisis qui me font réfléchir, évoquant au mieux les atmosphères et les émotions que je dois dessiner. Mon rôle est d’amener une narration forte et fluide à la fois. Nous nous voyons très régulièrement, mais nous n’évoquons pourtant pas systématiquement la série, c’est même souvent l’excuse pour se voir et parler de films, de musiques ainsi que des nombreux sujets que nous partageons. Notre univers commun se créée à chacune de nos rencontres, et c’est cette énergie que nous mettons dans Croisade. De plus, Philippe Delaby se joint souvent à nous lors de ces discussions animées. On se montre alors nos planches réciproques, et je peux vous assurer que lorsqu’on voit des planches de Delaby, cela vous fait prendre conscience du travail encore à accomplir, et on se remet deux fois plus vite à sa planche à dessin.

Lorsqu’il vous arrive de parler de vos planches avec Jean Dufaux, comment réagit-il ?

Dans ses critiques de planches, Jean a la faculté d’oublier qu’il a écrit le scénario, pour devenir juste lecteur. Il me donne alors son avis sur tel cadrage ou telle ambiance, ce qui fort important.

Même si le récit est très imaginaire, quelles sont vos bases de documentation ?

Croisade n’est qu’une pointe de l’Histoire, qu’on a mélangée avec les contes de Mille et une nuits. J’ai donc carte blanche pour créer les costumes et décors que je souhaite. J’essaye bien entendu de rester crédible, mais je prends plaisir à déformer, comme pour la ville de Jérusalem. Comme beaucoup de mes colègues, je me base sur des livres et internet, mais c’est plutôt une porte ouverte vers l’évasion car je suis incapable de recopier une photographie. Je dois lire et en regarder beaucoup, pour que plus tard, un jeu de diverses images forme le dessin que je réalise, pour en restituer ma vision propre. Je trouve cela plus enrichissant, mais d’un autre côté, cela me gênerait de dessiner un récit contemporain avec des voitures, et des immeubles en permanence. Je peux assurer que mon rythme s’écroulerait rapidement !

En fin de votre premier cycle, on retrouve l’évocation de la guerre pour les richesses, en particulier pour le pétrole !

Ce petit clin d’œil de Jean veut évoquer l’actualité de la croisade qu’on raconte, car les puissances en présence n’ont pas réellement changé. Avec le Vietnam, la Palestine ou les guerres contemporaines, les croisades prennent toujours l’excuse de la religion ou d’une valeur liée pour gagner des richesses et du pouvoir dans un autre pays. Cela est symbolisé par le mercenaire, le Maître des machines, qui n’a finalement combattu que pour ses propres enjeux : une femme comme il en a toujours rêvé, et les becs de feu. On a d’ailleurs rajouté cette petite phrase écrite dans les années supposées de notre Croisade et évoquant le pétrole émergeant dans ces déserts. Tout se rejoint.

Les étapes d’une planche de Croisade : après le croquis, le crayonné ...
l’encrage...
... et les couleurs de Jean-Jacques Chagnaud

Il y aussi une autre grande surprise lorsqu’on pénètre dans le sanctuaire du Vénéré X 3 !

Oui, cela risque d’attiser l’intérêt du lecteur ! Mais c’est ce qui me plaît dans la collaboration avec Jean Dufaux. Je n’aime pas recevoir un scénario complet, je me lasse de cette longue lecture, car des centaines d’images m’arrivent en même temps. Alors, je suis ravi d’avoir une douzaine de pages, composées en séquences : je découvre l’intrigue en même temps que je la dessine, je suis donc un premier lecteur de ma propre série !

J’ai besoin d’être tout de suite captivé pour plonger dans le dessin. C’est d’ailleurs la force de Jean : tout en connaissant le début et la fin du récit, il parvient à vous surprendre constamment, en prenant des détours inattendus ! Je pense par exemple au Âa qu’il a tiré de la naissance du mythe des vampires, alors que des rescapés croisés devant boire le sang de leurs morts pour survivre dans le désert. Ou le lien de parenté entre ce même Âa et Gauthier ! Ce sont ces petites étincelles de créativité qui me font vibrer !

Dans les deux pages ouvertes à la plume de Jean Dufaux (encore une particularité de vos albums), il y explique que Croisade va se transformer pour suivre les aventures de Gauthier.

On ne sait pas encore si nous allons changer le nom de la série, ou simplement ajouter un sous-titre, mais ce n’est pas le plus important. Nous allons donc maintenant nous diriger vers une série de récits en un seul volume de 46 planches, à la différence des 52 planches précédentes. Bien entendu, on ne s’interdit pas de réaliser des diptyques, mais on casse volontairement l’aspect de l’intrigue établie sur un long cycle.

Allez-vous garder le dépliant ?

C’est une bonne question. Je pense que le lectorat aimerait qu’on le maintienne, c’est un peu devenu la marque de fabrique de la série. Mais il ne faut pas que cela soit au détriment de la narration. Bien entendu, Jean demeure le patron. S’il parvient à raconter une histoire en 46 planches avec un dépliant, tant mieux, sinon on le mettra de côté.

Le fameux dépliant, vision intérieure

Quand vous est venue cette idée de prolonger le récit de Croisade ?

En aucun cas, je ne voyais l’aventure de Croisade se terminer ! Nous avons construit quelque chose de fort, qui a pris rapidement sur un marché encombré. Pourquoi donc l’arrêter ? À mes yeux, Gauthier est le personnage le plus captivant, et c’est pour cela que je souhaite le voir perdurer. Pour moi, la bande dessinée est représentée par des héros qui ont une forte personnalité, dans des séries comme Blueberry, Comanche, Thorgal, Bernard Prince, etc. J’aime donc beaucoup ce concept de se concentrer sur un personnage pour avoir une construction bien plus linéaire. Dans une histoire en un volume, le ‘héros’ prend beaucoup de puissance, car on n’a pas le temps de le faire disparaître pendant dix planches. Bien entendu, le passage d’un long récit de 200 planches en plusieurs récits de 46 planches demande à Jean d’aborder autrement la construction de son scénario.

Dès novembre 2010, les Aventures de Gauthier, accompagné ici par Osarias

Quel cadre vous êtes-vous défini ? Des histoires de son passé, la remontée vers ses terres d’origines …

Tout est bien entendu envisageable, mais pour les prochains tomes, nous allons d’abord aborder la suite directe du tome précédent : Gauthier sera d’ailleurs accompagné d’Osarias. La religion demeura présente, ainsi que bien entendu des éléments ‘magiques’. Rien ne nous empêche non plus de revenir après sur Syria, de réaliser un diptyque sur le Maître des Machines ou concernant d’autres personnages principaux de Croisade. Il faudra alors voir le premier cycle qui vient de se conclure comme un prologue aux tomes à venir.

Pourrez-vous maintenir le rythme que vous vous êtes imposé, sans aucun sentiment de lassitude ?

Phillipe Xavier vise des objectifs bien précis !

Aah, puisque je te dis que j’adore dessiner des déserts ! (rires) En réalité, je vois ma collaboration avec Jean Dufaux à très long terme, car je voudrais m’inscrire personnellement dans la bande dessinée comme le dessinateur de Croisade, une série dont le lecteur aurait une vingtaine de tomes dans sa bibliothèque. À côté de ma série-mère, je compte tout de même m’accorder de petites vacances en faisant quelques one-shots sur d’autres univers. Je voudrais continuer à dessiner trois albums en deux ans : un Croisade qui paraîtrait chaque mois de novembre, et tous les deux ans, un one-shot qui sera certainement avec Jean Dufaux : un western, de la science-fiction ou que sais-je …

Vous avez donc réellement trouvé votre ‘moitié’ artistique en Jean Dufaux !

Il n’y a pas beaucoup de scénaristes qui me font vibrer : bien sûr, Jean Dufaux, Xavier Dorison en est un autre, et la référence Herman ! Je vais d’ailleurs le voir de temps en temps, on discute de mes planches, de nouveaux outils, c’est comme si j’apprenais deux années de technique en deux heures de discussion. Pour en revenir aux scénaristes, je vais peut-être découvrir de nouveaux noms, mais pour l’instant, je suis comblé !

Mais votre actualité, c’est bien entendu la sortie de ce quatrième tome, avec le coffret !

Le coffret du premier cycle

Je suis avant tout un grand lecteur de bande dessinée, j’en achète beaucoup, et je voulais qu’on puisse proposer un coffret avec les quatre tomes, mais aussi une variante avec uniquement le tome 4 et une cale, par respect pour le lecteur qui nous a suivis depuis le début. Sinon, pour les amateurs, les planches sont exposées à la librairie Multi-BD de Bruxelles.

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire nos chroniques des tome 2 et 3, ainsi que notre première interview de Philippe Xavier.
Visiter :
- le site de Croisade
- le blog de Croisade
- qui se prolongera via celui des Aventures de Gauthier

L’exposition Croisade se déroule jusqu’au 27 décembre 2009. Plus d’informations sur l’exposition et les planches exposées
Multi BD, 122-124 Boulevard Anspach à 1000 Bruxelles
Tél. + 32 (0)2 513 72 35

 
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