Largement basé sur le livre essentiel de Goldman, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, cette volumineuse BD-enquête ambitionne de compléter l’autoportrait qu’il avait livré dans son propre ouvrage.
Personnage fascinant et atypique, cet ex-responsable du service d’ordre de l’union des étudiants communistes dans les années 1960 pense à se lancer dans la lutte armée, avec des tendances suicidaires. Mais il garde également en lui un profond sentiment d’oppression nourri par la mémoire de la Shoah, dont ses parents ont été les témoins. Après de nombreux voyages, jamais satisfaisants, Goldman commet quelques braquages. La police le repère. Vient enfin le fameux double meurtre de deux pharmaciennes à Paris, en 1969. Il est accusé, condamné une première fois. Son livre-qui est aussi une véritable plaidoirie à décharge- sort alors qu’il est en prison. Second procès, acquittement. Il vivote durant quelques années, devenant un intellectuel respecté, ami de grands noms de l’intelligentsia parisienne. Son assassinat, en septembre 1979, revendiqué par un obscur groupe "honneur de la police" n’a jamais été élucidé.
Moynot ne met pas seulement en images quelques passages-clés du livre de Goldman. Il tente de reconstituer d’autres éléments de sa vie. En rencontrant des témoins essentiels de cette période (Marc Kravetz, Marianne Merleau-Ponty, Georges Kiejman, Tiennot Grumbach, entre autres), il mène une véritable enquête sur cette personnalité unique. De longs textes illustrés s’intercalent ainsi entre des épisodes de BD classique.
Évoquant parfois sa propre famille militante, Moynot creuse les thématiques liées à Goldman : une judéité complexe et torturée, la fascination de la violence, une grande ambition de lettré (il était diplômé en espagnol et en philosophie) mais aussi le système judiciaire français et les méthodes policières.
La Vie d’un autre est parfois alourdi par les longues interviews de plusieurs pages, et demandera des efforts aux lecteurs peu familiers des luttes politiques des années 1970. L’auteur aurait également pu éviter une annexe comme l’article de Jacques Rémy, à la rhétorique pachydermique.
Le souvenir ravivé de Pierre Goldman, figure ô combien à part du gauchisme français, méritait en tous cas cet éclairage, dont le premier effet sera à n’en pas douter d’inciter les lecteurs à se jeter sur Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France (régulièrement réédité en poche).
(par David TAUGIS)
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