Lancée en 2010, la collection Pika Graphic n’était pas parvenue, depuis, à construire une véritable identité susceptible de séduire les lecteurs. Et il y a pourtant une demande du côté de ces ouvrages qui échappent à la stricte étiquette de manga, ou manhua, et qui mêlent influences asiatiques, européennes ou américaines. Les différents succès de la collection "Made In" de Kana en font pourtant régulièrement la preuve.
Une transformation en profondeur
C’est dans cette optique que Pika semble vouloir reprendre ce label et le transformer pour appuyer une offre plus large, dépassant la production classique manga organisée autour des pôles shonen, shojo et seinen. L’éditeur profite d’ailleurs du recrutement de Mehdi Benrabah pour ce faire : cet ancien directeur éditorial chez Kazé a également travaillé pendant deux ans chez Casterman et possède ainsi une expérience pour accomplir une mission qui se situe à mi-chemin entre l’adaptation et la création.
La collection se dote donc d’un nouveau logo reconnaissable, d’une nouvelle identité visuelle, et opte pour un format plus grand et une finition qui se veut soignée. Le but avoué serait d’offrir à des auteurs asiatiques - japonais, coréens ou chinois - un support qui tendrait vers le roman graphique plutôt que vers le manga.
D’ailleurs, certains titres adopteront le sens de lecture occidental, l’idée étant d’élargir le lectorat aux amateurs non seulement de mangas mais aussi de franco-belge ou de comics.
Pika Graphic doit se développer, cette année, autour de cinq axes éditoriaux précis : le conte moderne, le polar, la science-fiction, les récits d’aventure et d’action, et le récit historique. Au total, ce sont huit titres qui sont attendus en 2016, et la collection accueillera en outre une belle réédition de Dragon Head, le titre qui fit connaître chez nous Minetarô Mochizuki, dont Le lézard noir publie actuellement le magnifique Chiisakobe. De quoi se réjouir !
Golo Zhao pour ce nouveau lancement
Deux titres endossent donc la responsabilité de ce nouveau départ. Il s’agit de deux récits signés par Golo Zhao, l’un original, Hello Viviane, et l’autre adapté d’un roman, et d’un film, qui connurent un certain succès en Chine, Au Gré du vent. Et dans les deux cas, ce que caractérise le travail de Golo Zhao transparaît, notamment cette manière de traiter par un dessin très doux, presque enfantin, des thématiques et sujets adultes.
Hello Viviane se veut ainsi un conte contemporain narrant la vie, compliquée, d’une jeune chinoise travaillant comme traductrice. Fraîchement installée dans le sud de la France, elle se lie avec Nicolas, qui tient un restaurant breton, et Lou, l’éditrice pour laquelle elle travaille. Mais la jeune femme cache une mélancolie sourde liée à une récente rupture.
Récit intimiste plutôt bien ficelé, cette romance contrariée fonctionne bien et réserve un lot de surprises plutôt convaincantes pour faire avancer l’intrigue. Le trait rond et léger, les couleurs nettes et plutôt vives inscrivent l’ensemble dans un merveilleux qui fait la part belle aux émotions et aux sentiments.
D’autant qu’il y a plusieurs éléments narratifs et graphiques qui viennent rehausser la lecture : présence en trompe-l’œil de l’auteur en tant que narrateur rapidement évacué de l’action, récit enchâssé avec un conte que les héros lisent au fil du volume, révélations autour de l’héroïne ou encore explosions soudaines d’images métaphoriques en arrière-plan.
Ces associations d’images, quasi synesthésiques, fondées le plus souvent sur des sensations, constituent indéniablement l’un des points forts du volume. Leur irruption, par la charge poétique qu’elles véhiculent, explique sans doute la référence à Hayao Miyazaki que l’on a pu entendre au sujet du travail de Golo Zhao.
Personnellement, cela nous a davantage fait penser à Satoshi Kon - par exemple ces effets de surimpression ou de mélange de couleurs dans Paprika ou Perfect Blue - avec un dessin moins adulte, plus enfantin. D’autant que dans cette histoire, Golo Zhao propose un traitement de son héroïne qui, là encore, fait écho à certaines thématiques centrales l’auteur de Millenium Actess.
À la différence d’Hello Viviane, Au gré du vent n’est pas une œuvre originale de Golo Zhao. Elle fut d’abord éditée en Chine par Zhi Yin Media et l’artiste adapte là un le travail d’une jeune romancière et scénariste à succès, Jingjing Bao. Celle-ci, née en 1987, sitôt sortie d’une école de cinéma, section scénario, enchaîne les succès littéraires avec des récits personnels dans lesquels les jeunes gens de sa génération disent se reconnaitre pleinement.
Son premier succès, 33 jours sans amour, dont l’écriture remonte à 2009, fut, en 2011, adapté au cinéma par le réalisateur Teng Huatao, qui lui confia ensuite l’écriture d’une série télévisée. Pour la remercier de leur collaboration, le réalisateur promit à la scénariste un voyage aux Maldives, mais la destination changea au dernier moment pour... le Népal !
Voilà le point de départ de notre ouvrage, puisque du carnet de voyage qu’elle réalisa à cette occasion, Jingjing Bao tira un nouveau récit. Teng Huatao en fit, une nouvelle fois, une adaptation pour le cinéma en 2013, alors que Golo Zhao nous en offre pour sa part une version en manhua.
Au gré du vent raconte donc le périple d’une jeune chroniqueuse, Yumeng, qui se retrouve à devoir finalement traiter de l’indice de bonheur des Népalais. Ce voyage amorcé sur une déception, et ponctué d’affrontements avec sa rédactrice en chef, s’avère l’occasion de rencontrer divers personnages en fin de compte à la dérive, comme elle.
Ainsi de Wang Can, jeune homme issu de la haute bourgeoisie, archétype de l’enfant-roi ne respectant rien, répudié par son père à cause d’un mariage avorté. Ou de Li, jeune femme qui vient d’être quittée sans en avoir compris la raison. Ensemble, les personnages se mettent en quête d’un sens à donner à leur existence, bien aidés par l’expérience spirituelle offerte par un Népal aux antipodes du matérialisme auquel la Chine contemporaine les a habitués.
Graphiquement réussi et offrant quelques belles planches dès que le récit verse dans l’introspection ou la communion avec l’environnement, Au gré du vent ne n’échappe cependant pas aux clichés. Le récit ne propose pas grand chose d’original, que ce soit dans les événements narrés ou dans la caractérisation des personnages, l’émotion peine à affleurer.
Toutefois, ces deux titres de Golo Zhao constituent une jolie entrée en matière pour ce nouveau souffle donné à la collection Pika Graphic. D’autant que d’autres titres attendu rapidement comme Forget Sorrow, de Belle Yang, dès le mois prochain.
(par Aurélien Pigeat)
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