De tradition celtique, la fête d’Halloween revêt sa forme actuelle au cours du XXe siècle en Amérique du nord. Ce principe de déguiser les enfants pour demander des bonbons aux portes prend une importance grandissante depuis quelques années sur le vieux continent. Le folklore y associe d’ailleurs également le fait de se raconter des histoires effrayantes.
Les éditions Glénat célèbrent donc à la façon américaine ce 31 octobre, en mettant l’accent sur deux albums parus dernièrement, auquel nous y associons un troisième permettant de faire le tour de la question.
Baron Samedi : du sadisme exalté
Rien que la biographie de l’auteur Dog Baker fait froid dans le dos : parti du mauvais pied dans la vie, c’est en prison qu’il développe son art fait d’érotisme et de violence, notamment en pratiquant le tatouage sur ses codétenus. C’est alors qu’étudiant la littérature française, il est remarqué par l’éditeur de Treize Étrange via cette première double planche.
Par la suite, l’intervention de l’éditeur et des adaptateurs a été de passer de ces couleurs criardes style comics vers une presque trichromie. Effectivement, la grande partie du récit est en noir et blanc, ponctué ça et là, de touche de couleur rouge ou jaune-vert pour accentuer les effets pervers du Baron Samedi. Des auteurs bien connus ont participé à cette mouture francophone : Éric Adam & Didier Convard pour la traduction et l’adaptation à proprement parler, ainsi que Pixel Vengeur pour les couleurs. Ce trio est d’ailleurs en grande part complices de la réussite de cet album. Tout se paie un jour…
Baron Samedi évoque le parcours hors-norme d’un enfant rescapé du massacre de son village par un commando de mercenaires français. Enterré dans la fosse commune sous les membres de ses proches, il se fait la secrète promesse de se venger du pays responsable de cette ignominie. Mais son parcours ne se fait pas sans mal, et alors qu’il trucide le chef du commando, son visage est atrocement brûlé à la chaux vive. Avec cette tête atroce, il décide que la douleur et la violence seront ses armes pour se venger de la France.
Pas de doute, ce récit n’est pas à mettre entre toutes les mains : on y trucide à tour de bras mais surtout, le personnage principal se délecte des douleurs et des inventions perverses destinées à ses victimes. Doublé d’un érotisme pudique, le graphisme évoquant le Paris des années 1960 avec les clichés repris des films de l’époque achève de donner un ton résolument unique à cet album. À chaque page, on ne sait si on doit rire ou fermer le livre devant les atrocités commises, mais arrivé à la conclusion du récit, on se prend à espérer qu’un personnage surgi inopinément dans les dernières pages ne vienne bientôt apporter un second tome à cette saga sordide.
Ezsebet : la magnificence de la carte à gratter
Le deuxième récit se base sur la légende de la Comtesse Erzsebet Bathory vivant dans son château de l’empire austro-hongrois, au XVIIe siècle. Elle est jeune et ravissante. Son mari parti à la guerre, elle est encline aux passions tourmentées, mais surtout, elle réalise que le temps va lui ravir sa beauté. Alors elle sombre dans une folie meurtrière en faisant assassiner des jeunes vierges pour se baigner dans leur sang, persuadée que lui seul peut la préserver du vieillissement.
Cette histoire tragique et apparemment authentique a déjà nourri l’imaginaire de nombreux artistes. En bande dessinée, on se rappelle de la terrifiante Comtesse rouge de Georges Pichard. Comme ce dernier, une empreinte sexuelle imprime le récit, assez logiquement pour une ‘héroïne’ dont la beauté prime sur la vie humaine. Pourtant, comme l’explique le scénariste Cédric Rassat, les auteurs ont ici choisi de se détacher du réel :
« Pour Erzsebet, nous étions à mi-chemin entre l’histoire et la légende. Personne ne sait vraiment quelle est la part de fantasme dans ce qu’on raconte sur la vie de cette femme. Donc je trouvais qu’il était intéressant de laisser le récit dériver, parfois, vers des visions plus oniriques, ou plus ‘poétiques’. »
Pourtant, c’est justement cette façon de laisser aller le récit qui déconcerte principalement le lecteur dans les premières pages. Ensuite, on accepte les diverses pistes évoquées, tels ce lien au vampirisme qui est approché sans être pleinement assumé. Néanmoins, le grand intérêt de l’album tient dans le graphisme gothique de Emre Orhun :
« Je fais de la carte à gratter depuis une quinzaine d’années ; c’est une technique longue et exaspérante, un peu sombre […] ; le fait de partir d’un fond noir et de ‘sortir’ les formes de cette obscurité à coups de traits blancs exerce une certaine fascination que je ne peux pas expliquer. J’aime aussi l’archi-simplicité de cette technique : je suis face à ma feuille noire avec une plume à gratter, je n’ai besoin d’aucun autre outil pour réaliser mon dessin.. »
La Visite des morts, plus évocateur qu’effrayant
Un troisième récit paru récemment chez Glénat Québec apporte une autre dimension à cette fête d’Halloween. Le petit format de Philippe Girard raconte la vie d’un fonctionnaire restée morne jusqu’à ce que son horoscope l’informe de sa mort imminente. Cette terrible annonce lui fait prendre conscience qu’il n’avait en réalité pas vraiment vécu jusqu’à cet instant maudit.
Abattu, il pousse par hasard les portes d’une église et assiste à un enterrement. Pris d’une impulsion subite, il s’approche du micro et fait l’éloge de l’illustre inconnu reposant devant lui. Contre toute attente, les proches présents ne peuvent retenir leurs larmes face à cette éloquence bienvenue. Notre personnage décide alors de passer d’enterrements en crémations pour apporter cette forme de soutien à ses semblables car, pour la première fois, il se sent vivant. Mais quel risque prend-on à se frotter ainsi à des inconnus dans le deuil ?
Loin des abominations mâtinées d’érotisme des deux précédentes publications, ce joli conte apporte une réflexion sur le train-train quotidien et le bonheur qu’on peut offrir à autrui par des gestes de considération tout simples. Tout en noir et blanc, avec des planches réalisés au feutre à la facture très artisanale, l’auteur apporte un style très américain à ce récit universel sur la mort et les cérémonies de deuil. Un album simple, comme le message qu’il adresse.
Voici donc trois ouvrages aux ambiances fort diverses. De quoi combler les amateurs de sadisme, de graphisme gothique, ou ceux simplement désireux d’accéder à une réflexion sur la mort. Reste à savoir si ces hasards éditoriaux se perpétueront encore l’année prochaine. Dans la librairie que j’ai visitée aujourd’hui, un présentoir décoré avec faste réunissait tous les albums susceptibles d’évoquer Halloween. Chassez un folklore par la porte, il revient par la fenêtre !
(par Charles-Louis Detournay)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Commander
Baron Samedi chez Amazon ou à la FNAC
Erzsebet chez Amazon ou à la FNAC
la Visite des morts chez Amazon ou à la FNAC
Lire les premières pages de :
Baron Samedi
Erzsebet
la Visite des morts
Lire une interview des auteurs d’Erzsebet sur le site de Glénat
Des bonus de Baron Samedi attendent les plus téméraires d’entre vous sur Facebook
Participez à la discussion