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Pourquoi est-ce si difficile de réaliser un nouvel Alix ?

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 20 novembre 2011                      Lien  
Grand classique de la BD franco-belge qui nous a fait découvrir les splendeurs et les charmes de l’antiquité, Alix a survécu à la disparition, en janvier 2010, de son créateur Jacques Martin. Le nouvel album de Michel Lafon et Christophe Simon est séduisant, mais pas encore à la la hauteur de la réputation du héros gaulois.
Pourquoi est-ce si difficile de réaliser un nouvel Alix ?
Alix : La Conjuration de Baal » de Michel Lafon et Christophe Simon
Ed. Casterman

J’avoue que, comme amateur de l’histoire de l’Antiquité (De Viris Illustribus a été un des bréviaires de mon adolescence), j’ai longtemps eu un rapport mitigé au travail de Jacques Martin. Sans doute parce qu’Alix l’intrépide tenait de la démarque malhabile de Quo Vadis ?, la finale saint-sulpicienne en moins, et que Le Sphinx d’or me semblait ramener l’antiquité égyptienne dans l’histoire romaine de façon un peu artificielle.

Mais l’apparition d’Arbacès à partir de L’Île maudite, personnage maléfique qui m’apparaissait comme une Némésis grecque à l’encontre de l’arrogance romaine, suscita un intérêt qui ne faiblit pas dans les albums suivants.

À cela s’ajoutait le fait que Jacques Martin –dont le dessin est certes laborieux- réussit plutôt bien à se détacher de l’influence jacobsienne de L’Île maudite pour se forger, à partir de La Griffe noire, un style propre, un naturalisme charmant pétri de réalisme documentaire. Mais surtout, l’ancien assistant d’Hergé savait comme nul autre raconter des histoires avec des morceaux d’histoires : Rome, Troie, Sparte, Carthage, Gergovie, Babel, la Chine même, défilaient sous nos yeux comme dans un polyptyque aux images encore vives.

Entre Pompéï et Rome, toute la magie de l’Antiquité
Alix : La Conjuration de Baal » de Michel Lafon et Christophe Simon. (C) Casterman

Quand on ouvre ce nouvel album d’Alix, La Conjuration de Baal, nous nous trouvons en terre connue. Le scénariste a su faire appel aux canons de la série, prenant ses références dans L’Île maudite, dans Le Dieu sauvage et La Griffe noire. Les couleurs sont impeccables et la lecture des premiers récitatifs rassure. On se dit : ce type –là, Michel Lafon, sait écrire. Christophe Simon dessine avec justesse, en dépit d’un encrage quelquefois peu inspiré. L’intrigue progresse bien et, globalement, elle est bien construite.

Mais l’album pêche à de nombreux endroits. Simon n’arrive pas à stabiliser la physionomie de ses visages : quelques-uns de ses regards en gros plan sont vides, peu sentis.

Quant au scénario, il multiplie les développements dont on voit difficilement l’utilité (le voyage en bateau à Ostie sonne creux), s’embrouille dans les intrigues invraisemblables (les motivations de César face à Pompée sont peu crédibles) et se laisse aller à un Fan Service un peu ridicule (le retour des Molochistes activé par Arbacès est artificiel en diable, ils sont arrêtés et on ne les démasque même pas…) Et ne parlons pas des séquences de rêve complètement, comment le dire avec un mot d’origine grecque ? Téléphonées ?

Bref, alors que l’on a là deux artistes qui ont sans doute les moyens de leur ambition, on garde une impression de raté. Peut-être les éditeurs de Casterman devraient-il arrêter de tergiverser en multipliant les équipes en permanence, comme cela a été le cas jusqu’ici, et prendre le temps de relire scénario et dessins avec une acuité critique.

Alix : La Conjuration de Baal » de Michel Lafon et Christophe Simon.
(C) Casterman

À l’heure où le créateur de la série n’est plus là pour assurer la cohérence de l’ensemble, c’est à Casterman de l’assumer même si, à l’instar d’Hergé ou de Jacques Martin, c’est une équipe qui la réalise. Tenter de plaquer sur Alix un processus industriel ne peut être que voué à l’échec. La BD reste un artisanat que diable !

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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5 Messages :
  • Certes, faire un Alix n’est pas une tache facile. Le dessin est en général à la hauteur à part Ferry qui selon moi avait un très mauvais trait pour Alix. Un peu comme Lefranc et Jehn, les scénarios sont plutôt faciles pas très originaux mais restent assez fidèles aux personnages.
    Mais est il possible de produire encore de bons Alix ? La veine narrative n’est elle pas dépassé dans ce classicisme ? Ce qui donnait la force des anciennes histoires c’est le commentaire naratif qui accompagnait les cases. Maintenant on a un récit sans narateur, cela ne rend pas le récit plus moderne, cela le rend plus plat tout simplement.
    Casterman tire sur la corde avec son Alix, son Lefranc et son Jehn chaque année. Et pourtant la qualité est meilleure que les derniers scènarios de Jacques Martin. Relisez "le fleuve de Jade" "La chute d’Icare"... C’était bien plus médiocre que ce qui se fait aujourd’hui. Peut être qu’Alix comme les autres créations de Martin auraient dû en rester là.

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    • Répondu par Stéphane Jacquet le 20 novembre 2011 à  18:41 :

      Pour moi,ce qui rendait la veine narrative si intéressante, ce ne sont pas les narratifs, mais bien la complexité des personnages. Tout est là chez Martin, cette folie qui habitait les seconds rôles, qui donnait une telle force aux scénarios de Martin. Des scénarios baroques, avec un dessin classique, c’était le pied ! Je pense notemment à Varius Munda, ce géneral à la tête de ses soldats morts dans "Le dieu sauvage", à Hermia, dans "Le cheval de Troie", de ce prince, à Lou Kien,n’ayant qu’un rêve:voir sa montagne peinte en rouge avant de mourir dans "L’empereur de Chine", d’Archeolus dans "L’enfant grec",à Gilles de Rais, bien sûr, à Iorix........et la superbe reine Spartiate Adréa !!
      Je pense que la vraie force de Martin est d’avoir créé des des personnages complexes et tourmentés et qu’ " il savait comme nul autre raconter des histoires avec des morceaux d’histoires " !

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      • Répondu par BOB le 21 novembre 2011 à  17:46 :

        C’est bien vrai. Martin savait construire des personnages assez ambigus. Je me souviens même gamin avoir été mal à l’aise avec certains personnages très étrange et qui laissaient présager une folie encore plus grande. Très bon exemple que celui de Varius Manda.
        Tous les personnages avaient une sacrée mentalité. Même Enak dans lequel on entre bien dans la tête dans "le prince du Nil". Martin a su montrer que chaque personage pouvait être complexe. Aujourd’hui dans les nouveaux Alix, mais comme dans beaucoup d’autres bd, le caractère des personages est surtout une caricature des traits de caractère.
        Savoir créer l’ambiguité : c’est pas donné à tout le monde. Martin était un génie dans cette veine. Des personnages comme Gilles de Rey, Arbaces sont des oeuvres de maître qu’on ne voit plus souvent.

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  • Pourquoi est-ce si difficile de réaliser un nouvel Alix ?
    Simplement parce que Jacques Martin est un grand auteur et il n’y a que son esprit et ses mains qui puissent faire un Alix. De la même façon personne ne peut faire un opéra de Mozart, un roman de Jules Verne, un Gaston de Franquin ou une chanson des Beatles.

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  • Pourquoi est-ce si difficile de réaliser un nouvel Alix ?
    20 novembre 2011 23:51, par Oncle Francois

    Mon hypothèse personnelle : les personnages appartiennent à leurs créateurs !! Il s’agit d’une rencontre personnelle et inimitable entre un créateur, ses aspirations, ses défauts et ses qualités, et aussi le contexte de son époque. Une fois le créateur disparu, l’éditeur roublard va se dire en se frottant les mains "je tiens une bonne franchise, les albums se vendent sur le nom de la série, comme des petits pains". Donc il décline à l’envie. Alix, Blake & Mortimer, etc. Il y en a d’autres, je vous laisse chercher, moi celà me donne mal à la tête...

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