J’avoue que, comme amateur de l’histoire de l’Antiquité (De Viris Illustribus a été un des bréviaires de mon adolescence), j’ai longtemps eu un rapport mitigé au travail de Jacques Martin. Sans doute parce qu’Alix l’intrépide tenait de la démarque malhabile de Quo Vadis ?, la finale saint-sulpicienne en moins, et que Le Sphinx d’or me semblait ramener l’antiquité égyptienne dans l’histoire romaine de façon un peu artificielle.
Mais l’apparition d’Arbacès à partir de L’Île maudite, personnage maléfique qui m’apparaissait comme une Némésis grecque à l’encontre de l’arrogance romaine, suscita un intérêt qui ne faiblit pas dans les albums suivants.
À cela s’ajoutait le fait que Jacques Martin –dont le dessin est certes laborieux- réussit plutôt bien à se détacher de l’influence jacobsienne de L’Île maudite pour se forger, à partir de La Griffe noire, un style propre, un naturalisme charmant pétri de réalisme documentaire. Mais surtout, l’ancien assistant d’Hergé savait comme nul autre raconter des histoires avec des morceaux d’histoires : Rome, Troie, Sparte, Carthage, Gergovie, Babel, la Chine même, défilaient sous nos yeux comme dans un polyptyque aux images encore vives.
Quand on ouvre ce nouvel album d’Alix, La Conjuration de Baal, nous nous trouvons en terre connue. Le scénariste a su faire appel aux canons de la série, prenant ses références dans L’Île maudite, dans Le Dieu sauvage et La Griffe noire. Les couleurs sont impeccables et la lecture des premiers récitatifs rassure. On se dit : ce type –là, Michel Lafon, sait écrire. Christophe Simon dessine avec justesse, en dépit d’un encrage quelquefois peu inspiré. L’intrigue progresse bien et, globalement, elle est bien construite.
Mais l’album pêche à de nombreux endroits. Simon n’arrive pas à stabiliser la physionomie de ses visages : quelques-uns de ses regards en gros plan sont vides, peu sentis.
Quant au scénario, il multiplie les développements dont on voit difficilement l’utilité (le voyage en bateau à Ostie sonne creux), s’embrouille dans les intrigues invraisemblables (les motivations de César face à Pompée sont peu crédibles) et se laisse aller à un Fan Service un peu ridicule (le retour des Molochistes activé par Arbacès est artificiel en diable, ils sont arrêtés et on ne les démasque même pas…) Et ne parlons pas des séquences de rêve complètement, comment le dire avec un mot d’origine grecque ? Téléphonées ?
Bref, alors que l’on a là deux artistes qui ont sans doute les moyens de leur ambition, on garde une impression de raté. Peut-être les éditeurs de Casterman devraient-il arrêter de tergiverser en multipliant les équipes en permanence, comme cela a été le cas jusqu’ici, et prendre le temps de relire scénario et dessins avec une acuité critique.
À l’heure où le créateur de la série n’est plus là pour assurer la cohérence de l’ensemble, c’est à Casterman de l’assumer même si, à l’instar d’Hergé ou de Jacques Martin, c’est une équipe qui la réalise. Tenter de plaquer sur Alix un processus industriel ne peut être que voué à l’échec. La BD reste un artisanat que diable !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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