Ce matin-là, l’institutrice annonce à ses élèves qu’elle n’assurera pas le cours d’histoire : un homme le fera à sa place. Il fut lui-même élève dans cette école turinoise quand il était enfant, avant que la guerre la détruise. Le vieux monsieur à la barbe et aux cheveux blanchis ne paie pas de mine, au grand dam des enfants, qui espéraient rencontrer un super-héros. En remontant la manche de son bras gauche, il leur dit : « vous savez, les enfants, quand j’avais votre âge, j’aimais beaucoup les chiffres... Mais je ne pouvais pas imaginer que j’allais en porter six sur le bras pendant toute ma vie ». Il s’appelle Primo Levi, prisonnier 174517 du camp d’Auschwitz-Monowitz. Sur sa peau ou dans son esprit, les traces indélébiles de la guerre, du camp, de l’extermination.
Le scénariste, Matteo Mastragostino, revient bien évidemment sur certains moments de la vie dans le Lager, où Levi est affecté dans un laboratoire de chimie. Il y affronte, avec ses amis Alberto et Lorenzo, le froid, la faim, l’arbitraire de la sélection des condamnés. *
Mais l’intérêt principal de l’ouvrage réside dans le point de vue rétrospectif adopté, celui de Primo Levi sur sa propre histoire, et la façon de la partager. Il est le fruit de l’imagination de Mastragostino, qui met en scène la manière dont Levi aurait pu lui transmettre son expérience. Le récit alterne entre des scènes de classe et de réguliers et violents flash-back dans l’enfer concentrationnaire. Sciemment, Mastragostino met en scène des personnages parlant leur langue d’origine, ce qui contribue au sentiment d’égarement du lecteur, incomparable avec celui des déportés, les difficultés d’expression et de compréhension étant déterminantes pour leur survie. Au dessin en noir et blanc, Alessandro Ranghiasci participe de l’immersion dans l’ambiance inhumaine du camp : visages marqués, regards incrédules ou absents, les larmes de Primo Levi.
Les auteurs s’attardent aussi sur un épisode plus controversé de la vie de Levi : l’exécution de deux jeunes partisans, quelques jours avant que l’écrivain ne soit capturé. Qu’il y ait été impliqué ou non importe finalement peu : il en gardera un poids insurmontable, illustrant par là les choix absurdes auxquels ses camarades et lui-même étaient contraints.
En fin d’ouvrage, Matteo Mastragostino revient en quelques pages sur la genèse de l’ouvrage et s’attarde sur quelques éléments biographiques de Primo Levi et quelques-uns de ses compagnons, dont Vanda, sa compagne décédée à Birkenau en 1944. Une bibliographie sur laquelle se sont appuyés les auteurs accompagne également cette BD qui vaut autant comme un témoignage du passé que comme un avertissement sur notre présent.
(par Damien Boone)
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