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Procès des attentats de Janvier 2015 : la formidable plaidoirie de Me Richard Malka

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 7 décembre 2020                      Lien  
« “Charlie” est devenu une idée. On ne la tuera plus » résume Richard Malka dont la plaidoirie conclusive du procès à la cour d’assises spéciale de Paris a eu lieu vendredi dernier et dont Le Monde a publié des extraits ce week-end avant une publication intégrale l’année prochaine chez Grasset. Il rappelle les fondamentaux de l’affaire "Charlie Hebdo" devenu le bouc émissaire d’un radicalisme islamiste meurtrier par la grâce d’imams escrocs qui ont manipulé et les publications d’origine, et le rôle réel de la feuille satirique anticléricale dans cette affaire.

La raison de ce procès dont les principaux acteurs sont morts et dont on ne juge finalement que des complices ? Comprendre, donner du sens. « Un sens à ce qui est arrivé. Un sens à ce procès. »

Catharsis ? Peut-être, mais surtout une façon de comprendre comment la menace est devenue un crime du fait de Français de confession musulmane manipulés par une idéologie radicale étrangère.

Procès des attentats de Janvier 2015 : la formidable plaidoirie de Me Richard Malka
Me Richard Malka par Boucq
© Boucq / Charlie Hebdo

Cela fait des années que nous suivons l’affaire Charlie Hebdo, depuis le début pratiquement, et notre dossier comporta des dizaines d’articles depuis janvier 2015 et, avant cela, l’Affaire des caricatures danoises déclenchées dix ans plus tôt..

L’avocat Richard Malka est au centre de ces affaires, lui qui a rédigé les statuts de Charlie Hebdo dont la société d’édition s’appelait… Kalachnikov !, est un auteur de bande dessinée que nous connaissons bien (La Face cachée de Sarkozy, avec Philippe Cohen et Riss, L’Ordre de Cicéron, avec Paul Gillon, La Pire Espèce avec Agathe André & Ptiluc, Pulsions avec Eric Corbeyran & Djillali Defali, Section financière avec Andrea Mutti, La Vie de palais avec Catherine Meurisse, etc.).

Aujourd’hui, il a fait comme représentant de Charlie Hebdo à la Cour spéciale de Paris, une plaidoirie brillante qui a retracé toute l’importance de ce procès, l’un de ceux qui marquent l’histoire de la France depuis un siècle et qui ont forgé notre identité culturelle : «  Les attentats de l’Hyper Cacher et de Charlie ne sont pas que des crimes. Ils ont une portée politique, philosophique, métaphysique. Ils convergent vers la même idée, ils ont le même but. Quand Coulibaly tue des juifs, il ne tue pas que des juifs, il tue l’autre. Charlie Hebdo aussi, c’est l’autre. Le sens de ces crimes, c’est l’annihilation de l’autre, de la différence. Si l’on ne répond pas à cela, on se sera arrêté en chemin. »

Maître Richard Malka
Cabinet Richard Malka

Un combat en pleine actualité

En chemin de la lutte pour la liberté, l’altérité : « Je ne plaide pas pour l’histoire. Je n’en ai rien à faire, de l’histoire. Je veux plaider pour aujourd’hui, pas pour demain. Pour les hommes d’ici et maintenant, pas pour les historiens du futur. Le futur, c’est comme le ciel, c’est virtuel. C’est à nous, et à nous seuls, qu’il revient de s’engager, de réfléchir, et parfois de prendre des risques pour rester libres d’être ce que nous voulons. C’est à nous, et à personne d’autre, de trouver les mots, de les prononcer pour recouvrir le son des couteaux sous nos gorges. À nous de rire, de dessiner, de jouir de nos libertés, face à des fanatiques qui voudront nous imposer leur monde de névroses et de frustrations. C’est à nous de nous battre pour rester libres. C’est ça qui se joue aujourd’hui.  »

Et de revenir sur l’actualité de cette affaire : « Pendant ce procès, un enseignant a été coupé en deux. Pendant ce procès, on a tué dans une basilique. On a atrocement blessé rue Nicolas-Appert. On a menacé dans plusieurs communiqués, dont un d’Al-Qaida. » Avec comme objectif d’annihiler par « l’arme de la peur » notre mode de vie et notre aspiration à l’universalisme.

Il rappelle les grandes étapes de cette « guerre » : l’assassinat de Theo Van Gogh le 2 novembre 2004 : « …il est abattu dans une rue d’Amsterdam de huit balles dans le corps par un jeune islamiste de tendance takfiriste [une sous-branche du salafisme]. Ensuite il est égorgé, et on lui plante deux poignards dans le torse. Sur l’un de ces poignards, un petit mot de menaces de mort contre les juifs. C’est la matrice de 2015 et de ses deux obsessions : la liberté d’expression et l’antisémitisme. »

Puis l’affaire des caricatures danoises du Jyllands-Posten qui prend de l’ampleur à l’initiative d’imams danois proches des Frères musulmans salafistes : ils constituent un dossier de caricatures truffés de faux et font le tour d’États musulmans. « Le problème, c’est que dans ce dossier, ils ont ajouté trois dessins qui n’y figuraient pas [...]. Deux d’entre eux viennent d’un site de fous furieux, des suprémacistes blancs américains. Un autre vient de France, il n’a rien à voir avec l’islam, c’est un dessin sur la Fête du cochon à Tulle en Corrèze. Et les imams disent : « Voilà comment on représente l’islam en Occident. »

Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

« Nourrir le crocodile »

Sur cette supercherie, l’opinion publique de ces pays s’enflamme. Il y a des morts. Ces événements sont récupérés par les politiques : « En janvier 2006, la très officielle Organisation de la conférence islamique, qui regroupe 57 pays, va saisir l’ONU et lui demander d’obliger tous les pays du monde à interdire la critique des religions. »

« Voilà comment une escroquerie va tenter d’obtenir une modification du droit mondial sur la liberté d’expression ! constate Me Malka. Et c’est là que l’on va commencer à nourrir le crocodile. Le 3 février 2006, le cheikh Al-Qaradawi, guide spirituel des Frères musulmans, déclare un « Jour de la colère  ». Le même jour, Jacques Chirac, Bill Clinton et le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, déclarent que « les journaux ayant contribué à diffuser les caricatures ont fait un usage abusif de la liberté de parole » et font appel à « plus de respect envers les sentiments religieux. »

Abdication devant l’obscurantisme, acceptation du mensonge, qui donne du carburant aux potentats populistes et qui impressionne les ventres-mous politiques de l’Occident... Cela arrive en France : le patron de France Soir, Jacques Lefranc, est limogé pour avoir publié les caricatures danoises. Charlie Hebdo est assigné en justice par l’UOIF [Union des organisations islamiques de France] et la mosquée de Paris pour avoir publié ces caricatures par solidarité. Charlie Hebdo gagne son procès mais aussi une réputation injustifiée d’ « islamophobe », ce néologisme forgé pour stigmatiser les incroyants et les anticléricaux de tous ordres.

Le blasphème revient en force et Me Malka en retrace l’histoire : 1789 – Liberté d’expression. 1791 – Suppression du délit de blasphème – 1881, loi sur la Liberté de la presse. Me Malka refuse qu’une minorité de croyants musulmans raient d’un trait de plume cette histoire constitutive de la République et de notre culture : « Renoncer à la libre critique des religions, renoncer aux caricatures de Mahomet, ce serait renoncer à notre histoire, à l’Encyclopédie, aux grandes lois de la République. Renoncer à enseigner que l’homme descend du singe et pas d’un songe. Renoncer à l’égalité pour les femmes, qui ne sont pas la moitié des hommes, à l’égalité pour les homosexuels, alors que, bizarrement, dans 72 pays au monde, les mêmes ou à peu près que ceux qui ont encore une législation contre le blasphème, l’homosexualité est encore une abomination… »

Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Et Me Malka de préciser l’enjeu : « Le combat de Charlie Hebdo, c’est aussi un combat pour la banalisation de l’islam. C’est un combat pour qu’on regarde cette religion comme une autre. Qu’on la traite comme une autre. En faire une exception, c’est évidemment le pire service qu’on pourrait lui rendre. On ne peut pas sortir une religion de l’égalité. Les religions doivent faire l’objet de la satire, et pour reprendre les mots de Salman Rushdie, de « notre manque de respect intrépide ». Il assène : « Toutes les caricatures dont nous avons parlé ici ne sont pas des caricatures de la religion, ce sont des caricatures du fanatisme religieux, de l’irruption de la religion dans le monde politique. »

Il retrace l’importance de Charlie Hebdo dans l’histoire culturelle de notre pays : la création d’Hara kiri, l’interdiction du journal par le ministre Marcellin à la mort de De Gaulle (« Bal tragique à Colombey, un mort ».), la relance du titre sous le nom de Charlie Hebdo, l’arrêt de publication de 1981 puis la relance en 1992… Enfin, l’attentat qui endeuille les familles des victimes et la France toute entière.

Reprenant la parabole du « roman visuel » Frans Masereel (Der Idee, 1920), il file la métaphore : « Ils pourraient tous nous tuer, ça ne servirait plus à rien, parce que Charlie est devenu une idée. Et Charlie pourrait disparaître aujourd’hui, cette idée vivrait encore. On ne peut pas tuer une idée, c’est pas la peine d’essayer. Charlie Hebdo, vous en avez fait un symbole ! Vous en avez fait une idée ! On ne la tuera plus. »

En conclusion, il constate les progrès faits : un rectorat de Paris qui déclare qu’il faut accepter le droit à la caricature de Mahomet et des accusations d’ « islamophobie » en baisse et appelle à ce que ce procès serve de leçon pour que nous ne soyons pas la génération « qui a abandonné ses rêves, ses idéaux, son rêve de liberté et de liberté d’expression. »

Une plaidoirie qui fera date.

Voir en ligne : L’article du Monde avec la plaidoirie de Me Richard Malka (payant)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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