De Gimenez, on connaît l’émouvant Paracuellos (Prix du patrimoine à Angoulême 2010), souvenirs d’un môme espagnol dans un orphelinat au temps du Franquisme, puis Barrio, récit d’adolescence dans une société vieillissante et étriquée (publiés par Fluide Glacial).
Restait à raconter l’âge d’homme, l’entrée dans le métier autour d’une passion : le dessin. Et quel dessin ! : un trait propre, expressif , maître du noir et du blanc et qui opère la synthèse entre le style franco-belge pétri de documentation, le trait décoratif que l’on retrouve chez un Esteban Maroto, un sens de la caricature proche de Francisco Ibáñez (Mortadel y Filémon) et un apprêt dans l’encrage, influencé par les maîtres américains (Jack Davis, Milton Caniff,...) qui ne renie pas son cousinage avec le Français Marcel Gotlib.
C’est ce dernier d’ailleurs qui introduit Gimenez en France, dans Fluide Glacial, à partir de 1979. Los Profesionales y paraît trois ans plus tard, en 1982. Sur la couverture de Fluide, Gimenez pose ces questions, marquées par la dérision : "Être auteur de BD, en fait c’est quoi ? C’est inné ? C’est acquis ? C’est être artiste ? Bohême ? Maso ? Ou alors... carrément débile mental ? Et la BD d’abord, c’est imprimé ? Ou c’est fait à la main ?"
Ce n’est pas la première fois qu’un auteur de BD était ainsi montré au public. Hergé, Tezuka ou Wallace Wood faisaient des incursions dans leurs bandes. Ce n’est pas la première fois non plus que l’on montre une rédaction : Gaston Lagaffe s’y employait dans Spirou dès 1957. Mais c’est la première fois que l’on y montrait un studio, un ensemble de gens à la condition précaire menée par une figure centrale dans la bande dessinée espagnole de ces années-là : Josep Toutain (Filstrup dans sa version dessinée), le patron de l’agence catalane de dessins Selecciones Ilustradas (Creaciones Illustradas dans sa version dessinée), un personnage haut en couleur aux grosses lunettes d’écaille et aux verres épais, à la faconde proverbiale.
Dans l’Espagne franquiste, la bande dessinée offrait une sorte d’espace de liberté. Des revues de bande dessinée, d’abord confessionnelles comme En Patufet (créé en 1904), Dominguin (1915), Charlot (1916), puis plus comme TBO (1917) lancent une industrie qui rayonne dans tout le pays et principalement à partir de Barcelone.
De cette première génération est issu Cabrero Arnal, le créateur du personnage de Pif, conçu en exil car la dictature franquiste appauvrit les possibilités de publier dans le marché intérieur et oblige bon nombre d’auteurs espagnols à émigrer, sinon à produire quasi exclusivement pour l’étranger : France, Angleterre, États-Unis, Italie, Argentine...
Selectionnes Illustradas est le produit de cette époque, de la nécessité de se fédérer en studios sous la houlette d’un Lider Maximo qui allait vendre ces pages aux quatre coins du monde. Dans les années 1980, Josep Toutain fonda même une filiale américaine, Catalan Communications, qui publia directement ses auteurs sur le territoire américain.
À l’heure où les créateurs de BD francophones n’ont jamais été aussi nombreux et où certains d’entre eux agissent comme des enfants gâtés, il n’est pas inutile de relire ces pages où des auteurs se battent pour gagner leur quotidien, avec bonne humeur et humilité, et réussissent à faire leur métier avec dignité, et même des chefs d’œuvre.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Lire aussi : Un article sur Selecciones Ilustradas (en Espagnol)
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