De nombreux spécialistes et psychanalystes se sont souvent penchés sur la question mais on serait tenté de l’oublier : les contes traditionnels possèdent une charge émotive et symbolique que les plus récentes adaptions en dessin animé ont parfois contribué à occulter, voire à ignorer totalement.
Le Petit Chaperon rouge, Barbe bleue ou Le Petit Poucet sont d’abord des histoires effrayantes où il est question d’abandon, de meurtres, d’empoisonnement et même d’inceste ou de tyrannie, certains des personnages n’hésitant pas à tutoyer les instincts les plus vils pires de l’âme humaine. Des loups sanguinaires aux sorciers impitoyables sans négliger les ogres assassins ou les vampires assoiffés, tous figurent parmi les personnages emblématiques des contes traditionnels.
Cet album aussi généreux dans la forme que sur le fond repose sur le principe de la suite, une sorte de séquelle prolongeant la trame des contes traditionnels en s’intéressant plus spécialement au destin de quatre créatures emblématiques : le loup, l’ogre, le sorcier et le vampire. Que pourraient-elles devenir une fois leurs sinistres forfaits accomplis ?
Dans cette fable cruelle et fantastique, les auteurs proposent au lecteur une vision personnelle de la fin de toutes ces histoires.une synthèse de tous ces récits, sous forme de métaphore autour de la fin du monde, de la fin de nos propres fantasmes. Un clin d’œil à la disparition de nos peurs de notre enfance légèrement teinté d’un discours presque politique. Une fois tous les êtres inférieurs massacrés, toutes les victimes exterminées ces monstres n’auraient-ils plus qu’une seule solution pour assouvir leurs instincts : s’affronter et se dévorer entre eux ? Cette deuxième lecture ne contredit d’ailleurs en rien la conclusion de l’album , tout en renvoyant chacun, enfant comme adulte à ses propres illusions ou ses propres chimères.
Par ce choix narratif, Pascal Meriaux (par ailleurs directeur du Festival d’Amiens, On a marché sur la Bulle) et Regis Lejonc (scénariste de La Carotte aux étoiles) parviennent à faire de cette histoire un conte philosophique attrayant et graphiquement séduisant.
En s’inspirant non seulement des couleurs mais aussi du graphisme de l’illustrateur russe Bilibine, Riff Reb’s nous offre une facette inattendue de son talent. Loin du style adapté pour le Loup des mers (Soleil) ou de La Carotte aux étoiles, republié à cette occasion par les éditions de la Gouttière, le dessinateur parvient à recréer les ambiances oppressantes et effrayantes des cauchemars de notre enfance. Malgré l’aspect rétro des contours ornementaux inspirés de la ligne claire de l’artiste russe, l’album s’inscrit aussi bien du point de vue narratif que graphique dans un discours moderne et dynamique,loin de la nostalgie facile, en interpellant le lecteur dans ce qu’il peut avoir de plus intime.
Format, maquette, découpage, mise en couleurs..., rien n’a été laissé au hasard dans la réalisation de ce bel objet qui saura séduire petits et grands. Particulièrement bien positionné sur le créneau jeunesse et toujours soucieux d’associer à un discours pédagogique particulier une démarche artistique originale, l’éditeur nordiste confirme une nouvelle fois la qualité de ses choix éditoriaux. Offrir le meilleur aux plus jeunes de leurs lecteurs, tel est le pari qu’il s’est assigné et c’est ici parfaitement réussi !
(par Patrice Gentilhomme)
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