Le dessinateur des Chevaux du Vent, Jean-Claude Fournier, n’en revient pas du succès. Il a fait partie de ceux, qui ont voulu prolonger la tentative orchestrée par Jacques Plouet. « Celui-ci avait monté un premier festival de bande dessinée qui a malheureusement tourné court, nous explique l’auteur. J’ai recréé avec lui et d’autres, un festival sur les cendres du premier. Nous avions un cahier des charges très précis : Créer des expositions d’une grande qualité, des animations intéressantes, sans oublier le traditionnel marathon de dédicaces. Mais nous voulions surtout retrouver la valeur intrinsèque et étymologique du festival : Quai des Bulles se devait d’être une fête ! Nous y avons réussi. Beaucoup d’auteurs nous écrivent, chaque année, pour y venir ! ».
L’équipe organisationnelle s’est rapidement étoffée. Alain Goutal et Dieter ont rejoint, un temps, Jean-Claude Fournier. Aujourd’hui, ce sont Joub (Geronimo, Nicoby (Les Ensembles Contraires) et Lucien Rollin (Black World), entre d’autres, qui font partie du comité organisationnel. « Il ne faut pas oublier que d’autres personnes travaillent pour le festival. Ce n’est pas un festival d’auteurs à proprement parler, souligne Nicoby ». Joub, par contre, espère que l’expérience des différents auteurs-organisateurs soit bénéfique pour « Quai des Bulles ». « En tant qu’auteur, nous savons qu’un accueil dans un festival peut être exceptionnel ou catastrophique. Nous essayons de retransmettre notre vécu dans ce festival, et éviter que les auteurs invités ne soient déçus. »
De source officieuse, il se dit que le budget du festival se situerait entre quatre cent et cinq cent mille euros. « La Ville de Saint-Malo en est le principal partenaire, nous dit Nicoby. Nous avons également différents partenaires privés, tels que par exemple la SNCF, mais nous comptons beaucoup sur notre capacité d’autofinancement pour boucler notre budget. C’est-à-dire sur la location des stands, sur les entrées et sur les autres ventes ». Saint-Malo est l’un des rares festivals français, après celui d’Angoulême, qui suscite un certain enthousiasme de la part des éditeurs. Seul, cinquante auteurs parmi les trois cent cinquante présents sont invités par le Festival. Les éditeurs font le déplacement à « Quai des Bulles » pour y prendre un stand (comme Jacques Glénat, par exemple) ou pour y être partenaire avec un libraire. L’éditeur est donc libre de choisir les auteurs qu’il souhaite promouvoir.
Comme chaque année, « Quai des Bulles » expose différents auteurs. « Il y a les passages obligés, sourit Nicoby. Je songe à l’exposition Jeunesse, consacrée cette année à Ratafia (de Salsédo et Pothier. Et puis, il y a les expositions grand public, consacrée à Guarnido (Blacksad) et aux vingt ans de la collection Aire Libre ».
Une salle, comprenant une large baie vitrée ouverte vers l’océan, accueille l’exposition Ratafia. Elle témoigne de l’extraordinaire talent de Salsédo pour animer ses personnages avec beaucoup d’expressivité. On y découvre également les différentes étapes créatives de l’œuvre.
À l’occasion des vingt ans de Aire Libre, le festival de Saint-Malo et les éditions Dupuis ont réussi le pari de monter une exposition non-exhaustive sur cette collection. Des originaux de la plupart des albums-phare sont présentés au public. Ces planches sont regroupées selon les années de publication des œuvres. La mise en scène est conventionnelle, mais chaleureuse. Une occasion pour contempler des planches et autres dessins de Berthet, JC Denis, Dethorey, Gillon, Grenson, Hausman, Lax, Lepage, etc.
L’exposition « Le Coup de Griffe de L’Ibère » démontre le talent pictural de Guarnido, le dessinateur de Blacksad et de Sorcelleries. Le festivalier curieux s’attardera sur les inédits présentés : tels que les recherches pour un projet de dessin animé « Pourquoi je n’ai (pas) mangé mon père » ou des dessins de presse. Notons le superbe travail scénographique : le bureau de Blacksad a été reconstitué pour l’occasion.
Plus loin, on découvre les planches d’une œuvre plus intimiste : Couleur de Peau : Miel de Jung. Nous avons déjà évoqué cet album dans nos pages. Les documents personnels de l’auteur qui sont exposé sont poignants. Les quelques photographies, le bracelet plastifié et la feuille avalisant « l’aptitude à l’adoption » de Jung font prendre conscience au visiteur que les origines et le passé d’un homme peuvent parfois tenir à une poignée de documents.
Zanzim a laissé courir son imagination pour l’exposition qui lui est consacrée. Elle borde celle de l’illustratrice Anne-Claire Macé. Pour la première fois, des auteurs ont conçu cette exposition pour le festival « Quai des Bulles ». « Généralement le festival conçoit l’exposition et réserve la surprise à l’auteur, nous confie Nicoby. Anne-Claire et Zanzim ont réalisé eux-mêmes leur exposition. Cela lui donne un cachet particulier, un prolongement d’eux-mêmes ». Ils présentent de nombreuses planches et illustrations issues de leur travail, mais aussi une autre facette, plus humoristique et déjantée, à travers des sculptures ou autres montages en trois dimensions. Le dessinateur de la Sirène des Pompiers et de Tartuffe explore par exemple l’idolâtrie maladive et de mauvais-goût pour un défunt chien.
Soulignons également l’exposition « Une Résidence Malouine ». Deux auteurs québécois, Jimmy Beaulieu & Pascal Girard, ont vécu pendant quelques semaines à Saint-Malo et ont réalisé différents dessins ou histoires courtes sur cette expérience. Une partie de ces illustrations sont présentées au Festival. Les autres sont visibles sur un blog, « Les Malouins Temporaires ».
Enfin, épinglons l’exposition consacré au jeune artiste Grégory Elbaz sur une évocation, en bande dessinée du parcours de Bix Beiderbecke, un cornettiste et pianiste de jazz du début de siècle. Les dessins hors format, réalisé au fusain pour les éditions Nocturne, sont faussement déstructurés, comme pour nous inciter au rêve…
Deux autres expositions sont également visibles durant le festival. L’une consacrée à la série Gabrielle B. aux éditions Emmanuel Proust. Et l’autre, plus ludique, qui nous présente des vaches carrées réalisées par un trio d’auteurs.
On le voit, la programmation de l’édition 2008 de Quai des Bulles s’avère équilibrée et laisse la place à toutes les tendances de la bande dessinée francophone. C’est sans doute l’une des clefs de son succès.
(par Nicolas Anspach)
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