Au départ du nouvel ouvrage de Charles Berberian chez L’Association [1] se trouve le départ de ses parents pour le Var. Rien d’original : le soleil et la douceur attirent nombre de personnes souhaitant finir leurs jours sous des cieux cléments. Le dessinateur n’est guère convaincu, mais ne s’oppose pas. De quel droit contredirions-nous les désirs de celles et ceux qui nous ont élevés et qui souhaitent simplement le repos ?
Charles Berberian prend donc l’habitude, à partir de 1993 et jusqu’au printemps 2018, d’aller visiter ses parents entre Fréjus et Saint-Raphaël. Il se fait violence. Non pas qu’il ne veuille voir son père et sa mère, mais il déteste cette région. Il la considère à la fois comme un mouroir vaguement illuminé par les rayons du soleil et comme une scène où de ridicules figures peinent à masquer leur ennui. La plage le dégoûte et rares sont les endroits où il se sent à l’aise.
Mais peu à peu, il s’habitue, et même commence à apprécier les lieux. L’observation attentive de son environnement contribue à faire évoluer son regard. Surtout, il prend soin de ses parents et, l’empathie aidant, semble comprendre ce qu’ils apprécient sur la Côte d’Azur. Car ce qu’il rejetait fondamentalement, c’est le vieillissement inexorable de ses parents. Le temps passant, il l’accepte et l’accompagne.
Lors de ses visites, Charles Berberian dessine. Il conserve ainsi des traces de ce qu’il voit : la ville et le bord de mer, les habitants vaquant à leur quotidien, et ses parents bien sûr. S’il aime au départ représenter des personnages presque caricaturaux et des paysage peu amènes, ses dessins se font peu à peu plus conciliant, voire plus tendres. L’action de dessiner est comme une opération de mise à distance dans un premier temps, puis d’apprivoisement. Et finit par permettre la familiarité.
Agrémentés parfois de quelques mots, ses dessins sont de l’ordre de l’esquisse ou du croquis. Réalisés sur le vif, ils tremblent de vie et de fragilité. Quelques traits suffisent à faire comprendre l’outrance d’une tenue ou l’atmosphère d’une place. En noir et blanc ou en couleurs parcimonieuses, ils révèlent l’état d’esprit du dessinateur et son évolution. Moqueur voire méprisant, il devient bienveillant et même nostalgique quand il s’agit d’évoquer ses parents.
L’association de ces rares mots et de ces dessins ayant conservé leur fraîcheur conduit finalement à donner une dimension intime à l’ouvrage. Charles Berberian, bien plus qu’une description de la Côte d’Azur, y relate la tristesse qui nous étreint à voir vieillir et disparaître ceux que nous aimons. Jamais il ne l’écrit directement : sa pudeur et sa délicatesse l’en empêchent. Mais le choix du titre est sans équivoque. Quand tu viens me voir ? est la question que lui posait invariablement sa mère dès qu’il la quittait.
(par Frédéric HOJLO)
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Quand tu viens me voir ? - Par Charles Berberian - L’Association - 13 x 19 cm - 128 pages couleurs - couverture souple avec rabats - parution le 10 mai 2019.
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[1] Ce récit a été prépublié sous une forme différente dans un hors-série de Fluide Glacial en 2018.