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Quelques ouvrages de référence pour commencer l’année (2/3) : les derniers mystères du Spirou de Franquin

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 13 janvier 2016                      Lien  
Après un premier volume où ils décrivaient les premiers pas du groom sous la plume de Rob-Vel , débusquant deux auteurs de Spirou encore inconnus : Blanche Dumoulin et Luc Lafnet, poursuivant avec Jijé qui le transfigura le personnage en lui collant son comparse Fantasio, Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault continuent leur enquête. Et c'est passionnant !

Nous sommes en 1947. Jijé n’est plus seul : une bande de jeunes gens s’assemble autour de lui qui, comme Don Bosco, a toujours aimé transmettre à la jeunesse. Parmi ces jeunes prodiges, il y a Will, très jeune, qui a rejoint la famille déjà nombreuse des Gillain, Morris, distrait, myope, flegmatique, "britannique" ; Franquin, un grand gamin enfant qui est ravi de pouvoir socialiser avec les enfants Gillain, et puis les pièces rapportées : Eddy Paape notamment. "Chacun discutait des planches des autres, témoigne Franquin. L’atmosphère était très chaleureuse, chacun allait engueuler l’autre quand il trouvait que cela n’allait pas, il y avait une véritable interaction qui nous faisait avancer."

Dans ce phalanstère, ces adultes pas finis vont créer l’une des meilleures bandes dessinées du monde. Surtout, les élèves vont très vite rivaliser, sinon dépasser le maître. Un maître humble, lucide, profondément croyant et même un Chrétien militant qui va abandonner bientôt ses séries pour se consacrer, avec un bonheur inégalé, à ces actes de foi que sont Christophe Colomb, Emmanuel, Baden Powell, Don Bosco (la nouvelle version d’après-guerre), Charles de Foucauld et, plus tard, Blanc Casque.

Spirou ? Il le refile sans coup férir au jeune Franquin qui a parfois du mal à endosser le costume, d’autant qu’il a l’éditeur sur le dos qui lui reproche de le "dévoyer", ce qui provoque très tôt une démission du jeune dessinateur qui, dès ses débuts, ne supporte pas cette tutelle moralisatrice. Il s’en vengera plus tard... L’Hebdomadaire de la belle humeur vendait près de 100.000 exemplaires par semaine (dont un tiers en France) et sa version flamande, Robbedoes, recueillait plus de 37.000 lecteurs.

Quelques ouvrages de référence pour commencer l'année (2/3) : les derniers mystères du Spirou de Franquin
Grâce notamment aux archives familiales, on découvre les grands auteurs mythiques du Journal de Spirou comme on ne les a jamais vus !

La victoire de Waterloo

Toute cette bande d’auteurs se cherche, n’est pas encore sûre que la bande dessinée soit un métier durable (Morris hésitera entre la BD et le dessin de presse jusqu’en 1954), imagine d’autres possibles, même si, en ces temps où le talent est rare, la maison Dupuis ne manque pas de travail : couvertures pour le Moustique, illustartions de romans... Mais le groupe est encore sous le charme américain de la Libération. L’Amérique, c’est Hollywood, les grands espaces, Walt Disney.. Tandis que l’Europe, c’était la guerre, encore toute proche, pas encore achevée, avec ce rideau de fer qui la coupait en deux, et ce passé indigeste que l’on avait découvert au Procès de Nuremberg. Il y a aussi la trouille d’une troisième guerre mondiale à coups de bombes atomiques dont l’Europe serait l’épicentre. On sait que Gillain, Morris et Franquin prirent à ce moment-là la route du Nouveau Monde...

C’est l’équipée américaine, le moment incroyable où presque l’essentiel du journal de Spirou est dessiné de l’autre côté de l’Atlantique. C’est un choc esthétique aussi : nos auteurs découvrent les grands espaces et la lumière du Mexique, de l’Ouest. Ils se frottent à des cultures différentes (hispanique, américaine...) avec ses grosses bagnoles désignées par Raymond Loewy, le contraste en les villes aux couleurs pastel de Tijuana et les buildings de New York. Il y découvrent notamment les graphistes élégants et quelque peu aristocratiques du New Yorker...

Les personnalités s’affirment. Jijé devient de plus en plus loustic dans sa veine humoristique, prend ses leçons auprès des réalistes américains comme Milton Caniff pour parfaire sa veine réaliste, Franquin devient de plus en plus détaillé, Morris de plus en plus décontracté dans l’effet "cartoon"... Franquin revient bientôt en Belgique, Jijé va avec sa famille dans le Connecticut, Morris à Brooklyn où il rencontre Georges Troisfontaines, l’homme de la World’s Press qui "tient" la régie publicitaire des Dupuis, amis aussi la folle équipe de Mad Magazine et un certain Goscinny... Ce rêve américain sera aussi celui des Dupuis qui tentent de lancer un magazine TV de l’autre côté de l’Atlantique. Période folle...

La marque de fabrique de Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault, c’est la qualité de leurs sources qui renouvellent complètement l’historiographie de l’hebdomadaire de Marcinelle. Jusqu’ici, nous en étions réduits aux souvenirs quasi saint-sulpiciens de ces grands artistes. En cherchant des documents inédits auprès d’anciens collaborateurs de l’imprimerie, dans les archives familiales des auteurs ou de l’éditeur, nos auteurs débusquent des informations inédites qui parfois confirment ou anglent différemment des événements figés depuis longtemps dans l’histoire de la bande dessinée franco-belge.

Ils retracent, au travers des différents épisodes de Spirou publiés en ce temps-là, les éléments d’influence, les sources qui constituent le patrimoine mythique de ces créateurs, comme ce château de Champignac inspiré de celui de Skeuvre ou encore la création du Marsupilami qui doit beaucoup, comme le Yéti d’Hergé, à la cryptozoographie de Bernard Heuvelmans. Cela ne se fait pas sans heurts, Franquin tentant à un moment de rendre me costume du Groom à son employeur...

En moins de huit ans, les jeunots de Waterloo sont arrivés à maturité. Les crises de croissance ont été surmontées. Spirou est prêt à conquérir le monde, et nos cœurs !

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN :

La Véritable Histoire de Spirou (1947-1955) - Par Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault - Ed. Dupuis.
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1 Message :
  • Deux ouvrages fabuleusement bien écrits. On nous narre une histoire, comme on nous lirait un roman. Ces livres ne tombent pas dans le piège de la surinformation inutile mais savent s’attarder sur le coeur et l’esprit des choses, qui façonnèrent ce grand exemple pour la jeunesse qu’est Spirou.
    La lecture coule, on est ballotté par les remouds de l’Histoire avec les créateurs, qui se "retrouvent", comme leur public, autour de ce personnage pour parler aux jeunes (et à eux-mêmes) de leur époque. Et l’on devine qu’un grand personnage ne peut être le fait d’un seul auteur car le personnage doit vivre au delà de son créateur. Le héros transcende alors ses auteurs car ses valeurs s’imposent à ces derniers. Spirou est ainsi transgénérationnel par sa représentation d’un socle moral, commun à près de 4 générations de lecteurs.
    Ce genre d’apparition de grand héros pour la jeunesse manque un peu depuis 30 ans dans la création BD.

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