Le Rapport Ratier 2015 dénombre 96 essais sur le 9e art publiés en 2015, dont 38 monographies et 23 guides pratiques, un chiffre en augmentation de +10% par rapport à l’année précédente. Les temps ont bien changé depuis que Jacques Glénat publiait ses monographies sous la forme des Cahiers de la bande dessinée -c’était il y a un peu plus de quarante ans- et la production pléthorique d’aujourd’hui où aucun sujet n’est oublié, faisant l’objet à chaque saison de dossiers pointus parfois publiés en hors série de grands magazines.
C’est encore le cas ce mois-ci avec le hors série Beaux-Arts consacré aux "Chefs d’œuvre de la BD d’humour". Les gros nez de nos BD les plus populaires : Gaston Lagaffe, Lucky Luke, Astérix, sous la bannière des "Beaux-Arts", un retournement de situation qui tient du gag ! C’est pourtant le plus sérieusement du monde que Vincent Bernière, l’artisan de cette publication, proclame : "Nous sommes tous des Belgo-Français". "L’humour fait partie de l’ADN de la BD" nous dit ce spécialiste qui en appelle aux mânes de Rodolphe Töpffer , des grands auteurs américains du XXe siècle (Katzenjammer Kids, Mutt and Jeff, Krazy Kat, The Peanuts, Mad Magazine...) et puis les Belges ! Et d’attribuer à Benoît Peeters le vocable "belgo-français", forgé par André Leborgne dès 1966.
Joli numéro que ce hors-série de Beaux-Arts qui passe en revue aussi bien Zig et Puce que Lucky Luke, inévitable cette année, Astérix ou des artistes incontournables comme Bretécher, Gotlib, Pétillon ou Jul. De l’émerveillement, des sourires, de l’info sur 154 pages pour un prix de 7,90€... Vraiment, on aurait tort de se priver.
Le 9e Art de la guerre
Moins drôle mais pas moins attrape-tout que cet essai de Philippe Tomblaine sur La Seconde Guerre mondiale dans la bande dessinée (P.L.G. éditions). Pas vraiment de thèse dans cette compilation d’entretiens avec des auteurs de récits sur la Seconde Guerre mondiale, confortées de quelques introductions bibliographiques. Juste le constat que le récit de guerre de la bande dessinée est passé du récit "héroïque et hagiographique" à celui des paradoxes contant "une histoire vraie qui n’a jamais eu lieu" (citation de Marvano), au point de vue des Allemands, jusqu’aux uchronies récentes, tandis que parallèlement un "effort de transmission" est à l’œuvre. L’auteur, l’un des collaborateurs les plus érudits de notre confrère BDZoom, a beaucoup de mal de tirer une synthèse des nombreuses lectures dont il fait état. Il a cependant le mérite de baliser le sujet, laissant à d’autres le soin de poursuivre la recherche.
Le 9e art des Suédois
Chez le même éditeur, P.L.G. éditions, était paru en mai 2015, un ouvrage de Fredrik Strömberg qui propose une Histoire de la bande dessinée suédoise. Il n’est jamais trop tard pour le chroniquer. Le sujet a été peu exploré, comme le signale l’éditeur en début de volume : "Les spécialistes et les historiens ont en effet trop souvent tendance à résumer l’histoire de la bande dessinée à travers les quatre pays qui en ont produit le plus : les États-Unis, le Japon, la France et la Belgique." Je mettrais pour ma part le Japon en premier lieu, et je n’oublierais pas l’Italie qui a produit bien plus que la Belgique avec une diffusion sûrement supérieure. Mais le constat est exact : on en sait peu sur nos voisins et l’historiographie européenne de la BD reste à écrire.
Avec le spécialiste suédois Fredrik Strömberg, que l’on voit chaque année à Angoulême, on peut être assuré que cette contextualisation se fera sans faute. Parfaitement didactique, cet ouvrage part des proto-bandes dessinées de Pehr Nordquist ou de Fritz von Dardel, fait l’inventaire de talents étonnants : OA, Albert Engström, de l’incontournable Oskar Jacobsson qui, avec sa BD muette Adamson dans les années 1920 a fait le tour du monde, du très moderne Kronblom d’Elov Persson datant de 1939, au sublime Bovil capable de passer de la bande dessinée de science-fiction comme Flygkamraterna (1941) au registre historique comme Ask och Embla (1942) avec un talent que ne renierait pas Edgar P. Jacobs, jusqu’aux romans graphiques contemporains comme ceux d’Anneli Furmark dont le Centre de la Terre a été publié récemment en France par les éditions çà et là, et aux tendances modernes qui empruntent, comme chez nous, à l’esthétique du manga, rien n’est oublié dans cet inventaire qui relativise effectivement la primauté supposée de la bande dessinée dominante.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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