Albums

« Qui a cassé Enigma ? », une bande dessinée éditée par les services secrets français

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 avril 2022                      Lien  
Une BD éditée par les services secrets, ce n’est pas banal… C’est pourtant la Direction générale de la Sécurité extérieure, mieux connue sous l’acronyme DGSE qui, associée à l’éditeur Nouveau Monde Graphic, publie « Qui a cassé Enigma ? La véritable histoire du code secret nazi » par Fabien Tillon, Dermot Turing et le dessinateur italien Lelio Bonaccorso. Du jamais vu.

C’est quoi Enigma ? Une machine à crypter les messages secrets, une sorte d’ancêtre de nos ordinateurs actuels, mis au point par les nazis dès avant la Seconde Guerre mondiale. Intelligemment conçue sur la base de rotors se coordonnant de façon aléatoire, cette machine a donné très tôt du fil à retordre aux gouvernements ennemis du régime nazi.

La solution pour neutraliser de cette « Enigma » est d’abord le résultat d’un travail de renseignement très en amont auprès d’une source allemande antinazie des services secrets français. Mais pour différentes raisons, politiques et techniques, l’État-Major français ne s’intéresse pas au dossier, autorise que l’on passe l’info en Pologne, avant qu’elle n’aboutisse en Angleterre où, au moment de la guerre, une équipe spéciale est mise sur pied par Winston Churchill. Elle est animée par Alan Turing, qui finit par casser le code, ce qui permet aux Alliés, à la fois de déjouer les plans de l’ennemi, mais aussi de l’intoxiquer en l’abreuvant de fausses informations.

« Qui a cassé Enigma ? », une bande dessinée éditée par les services secrets français

Le sujet n’est pas nouveau : Le Cas Alan Turing de Armand Delalande & Éric Liberge (Les Arènes, 2015), Edmond Baudoin sur un scénario de Cédric Villani dans Les Rêveurs lunaires (Futuropolis, 2015), Robert Deutsch dans Turing (Sarbacane, 2018), voire Champignac de BeKa & Etien (Dupuis, 2021) avaient traité de près ou de loin le sujet.

Mais jusqu’à présent, les bandes dessinées existantes s’étaient concentrées sur la personnalité quasi anonyme d’Alan Turing, redécouverte assez tardivement après sa mort. Car le propre des services secrets, c’est de rester secrets…
Cette discrétion avait créé une injustice : celle de dissimuler le rôle crucial d’Alan Turing, certes, et il faut lui rendre justice, mais aussi de celui des services français et polonais à l’origine de la résolution de l’énigme. Et cette révélation, c’est au propre neveu d’Alan Turing, Dermot Turing, qu’on la doit, grâce à un travail d’enquête minutieux qu’il a mené de Londres, à Paris et à Moscou.

Le soutien de la DGSE

En général, quand des services secrets soutiennent des médias, c’est discrètement. Par exemple dans le cas de ce Monsieur Bellum, que les thuriféraires d’Hergé présentent comme une preuve de son antinazisme (Monsieur Bellum écrit sur un mur : Hitler est fou). Mais cette BD est publiée dans L’Ouest, un hebdomadaire neutraliste bruxellois créé par Raymond de Becker, figure de l’extrême droite belge, auteur d’un livre intitulé Pour un Ordre Nouveau (1931) qui est un des bréviaires du fascisme européen (illustré par Hergé) et futur rédacteur en chef du « Soir volé ». Nous sommes en pleine « drôle de guerre » et la position neutraliste de Monsieur Bellum n’est pas… neutre. On saura plus tard que le journal est financé par l’Abwehr, les services secrets allemands...

Ici, cela se fait au grand jour, dans une démarche semblable au développement du Bureau des légendes, sans doute l’une des meilleures séries TV françaises de ces dernières années.

Après la TV, la DGSE s’intéresse à la BD, ayant recours notamment à Fabien Tillon, fils du grand résistant rennais Charles Tillon et grand spécialiste de bande dessinée : nous avions parlé dans nos pages (et sur notre chaîne de podcast) de son livre de référence sur la culture manga paru chez le même éditeur.

La DGSE se rappelle évidemment à notre bon souvenir au moment où la guerre fait rage en Ukraine et où l’on se rend compte que le renseignement - et son pendant : la propagande- jouent un rôle déterminant en cas de conflit.

En tout cas, voici une BD passionnante, dessinée très efficacement, et où l’on apprend plein de choses. Une BD comme on l’aime, quoi.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN : 9782380942972

Qui a cassé Enigma ? La véritable histoire du code secret nazi – par Fabien Tillon, Dermot Turing et Lelio Bonaccorso. Coédition des éditions Nouveau Monde Graphic et Ministère des armées. 116 pages, 19,90€

Nouveau Monde Graphic ✍ Fabien Tillon, ✏️ Lelio Bonaccorso à partir de 10 ans Documentaire France
 
Participez à la discussion
3 Messages :
  • Oh, tant d’erreurs...
    - Enigma n’a pas été mise au point pas "les nazis" mais par un ingénieur allemand et elle avait d’abord un usage commercial
    - C’est un appareil électromécanique qui n’a rien à voir avec un ordinateur
    - Les rotors ne se coordonnent pas de façon aléatoire
    - Le code avait été cassé par les Polonais avant que les Britanniques ne reprennent le flambeau pour cause d’invasion de la Pologne

    Est-ce ce type d’informations que l’ont peut apprendre dans cette BD ?

    Répondre à ce message

    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 12 avril 2022 à  07:50 :

      Merci pour ces précisions. Dans la BD, les informations sont certes bien plus vérifiées que dans cette chronique puisque, on le suppose, la DGSE a dû lire le script.
      Maintenant, vos remarques manquent aussi de précision. C’est mal connaître l’histoire de l’informatique que de feindre d’ignorer que la conception des ordinateurs procède des travaux faits au départ par des calculateurs électromécaniques. Cf les travaux de Von Neumann.
      Certes, le prototype d’origine d’Enigma est commercialisé par un ingénieur allemand mais c’est l’arrivée des nazis qui en fait un enjeu stratégique.
      Les rotors fonctionnent de façon coordonnée mais le résultat est aléatoire pour ceux qui tentent d’en comprendre la logique.
      Enfin, si les Polonais avaient cassé le code, pourquoi tous ces efforts du côté anglais ?
      Le but de cette chronique est d’informer sur la sortie de cette BD, sur les conditions de sa publication et peut-être de donner envie de la lire.
      C’est réussi puisque vous allez être obligé de la compulser pour vérifier si elle est digne de votre estime.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Champollion le 9 décembre 2022 à  15:20 :

        Les britanniques, Turing en tête, ce sont efforcés de casser des codes durcis et changeant, mais ce sont effectivement des mathématiciens polonais qui ont cassé en premier le code de la machine Enigma, et ce en 1932, soit bien avant la 2ème GM. Et en 1939, ils ont transmis tout leur savoir sur la machine aux français et aux british... Ces derniers ont alors pris le relais avec succès alors qu’ils n’étaient pas intéressés au début. Bref, sans les français et les polonais, les british n’auraient rien réussi non plus... Cela ne peut en aucun cas être occulté.

        Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Didier Pasamonik (L’Agence BD)  
A LIRE AUSSI  
Albums  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD