Imaginez : Dans le même temps, il entame une page hebdomadaire de Modeste & Pompon (à partir de 1955 dans la Journal Tintin) et multiplie les animations dans le beau journal de Spirou, sans parler des somptueuses couvertures des recueils du journal qui paraissent chaque trimestre. Dans quelques mois (février 1957), il va créer Gaston Lagaffe.
Dans ces années-là, Franquin développe un dessin clair, classique, documenté, parfaitement maîtrisé. L’univers de Spirou est posé : Champignac, Zorglub et le Marsupilami sont créés. Graphiquement, Franquin s’est débarrassé de la tutelle de Jijé, ne subit pas davantage celle de Disney. Avec Morris, Peyo et Tillieux (ce dernier est présent dans le journal dès 1940, mais il ne publie son premier Gil Jourdan qu’en 1956) qui mènent une voie parallèle, peut-être sous l’influence d’Hergé, Franquin fige ici à jamais la période classique de l’école de Marcinelle.
Débarrassé des improvisations des débuts, avec des scénarios conçus au jour le jour, il est encore incertain dans l’élaboration de ses histoires. Il le restera jusqu’à la fin, se sentant seulement à l’aise dans les récits courts.
Cette situation le fait souffrir, lui, Franquin le perfectionniste. Car comment tout assurer à la fois, avec un égal talent ? Il se fait aider sur Les Pirates du silence par Maurice Rosy qui est lui aussi, à ce moment, à son zénith. Mais c’est une cote mal taillée : le scénariste de Tif & Tondu fait parler le Marsupilami. Franquin le regrette.
Pour les décors, Will met la main à la pâte avec force décors méditerranéens, meubles en formica, et architectures modernes. Enthousiaste de la curiosité scientifique, heureux d’espérer que la science serve à autre chose qu’à la guerre, amoureux des belles mécaniques, Franquin est dans ses années « style atome ».
Bientôt, ça va craquer. La « Bof attitude » de Gaston le sortira d’autant plus de cette situation, que cette lassitude désabusée sera la sienne. Mais jamais artistiquement. En 1959, il laisse Modeste à Attanasio et ne réserve plus ses gags qu’au gaffeur, une série qui est ni plus ni moins un commentaire critique permanent de sa maison d’édition. Révolutionnaire. Le rédacteur en chef, Yvan Delporte, crypto-anar, rit dans sa barbe. Dupuis est incrédule, s’apitoie sur son sort et se demande ce qui peut bien passer par la tête de ce type qui dispose, avec Spirou, une série « qui vaut de l’or en barre ». Il a tort : Gaston deviendra encore plus notoire que le groom de l’hôtel Moustique. La gaffe de Delporte se transforme en triomphe.
À noter la foultitude de documents annexes que propose cette intégrale dans les pages intercalées entre les histoires. Ils recontextualisent très bien ces travaux dans l’effervescence du Journal de Spirou à l’époque. Un must.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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