Le château de Ragemoor est un lieu maudit, perché sur un rocher escarpé, dans les entrailles duquel des forces obscures se tiennent en respect dans un équilibre de terreur.
Le châtelain, Machlan Ragemoor, semble pris de folie, vivant nu parmi une société de babouins dans la jungle inextricable qui entoure le château. Son fils Herbert essaie tant bien que mal de maintenir l’héritage à l’aide d’un vieux majordome, Bodrick, qui connaît bien des secrets de la sombre bâtisse. Ce lieu terrifiant reçoit la visite de l’oncle du jeune homme, un escroc libidineux qui voit dans la folie de son frère l’occasion de faire main basse sur un château et sa propriété qui recèle potentiellement d’infinies richesses. Il est accompagné d’une magnifique créature qu’il fait passer pour sa fille, la ravissante Anoria, en réalité une catin aussi cupide que lui, dont Herbert tombe irrémédiablement amoureux.
La trame est en place : le château de Ragemoore peut déployer ses maléfices dans un récit à la Edgar Allan Poe mâtiné de Lovecraft. À 74 ans, Richard Corben a conservé toute sa maîtrise. Naguère, il confectionnait lui-même ses films, agrémentant ses sélections couleurs de retouches au ben-day, ce qui fait de ses éditions originales des princeps irremplaçables. Aujourd’hui, l’outil informatique lui permet de d’élaborer des glacis de gris veloutés qui construisent un décor proprement organique, au sein duquel ses personnages (pour lesquels il utilise souvent des modèles qu’il photographie et qu’il réinterprète en leur enlevant tout effet de réalisme) évoluent péniblement, pétris d’une indicible terreur.
Il n’y a pas une échappatoire dans le récit de Jan Strand. Ses récitatifs rythment les séquences comme les stances d’un oracle et les dialogues sont rares et hachés : le lecteur en a le souffle court. On remarquera au passage l’excellent travail de traduction-adaptation de François Truchaud qui signe par ailleurs la préface.
L’ouvrage se termine par une rarissime interview croisée entre les deux auteurs où ils expliquent leurs intentions, tout en rapportant quelques précieux renseignements sur leur biographie.
Pourquoi Corben, auteur majeur de ces trente dernières années, n’est-il pas élu au Grand Prix d’Angoulême ? Sans doute parce que, comme les membres d’une certaine Académie, ses électeurs sont composés de gens "qui-n’y-connaissent-rien".
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion