Les liens existant entre l’Italie et l’Amérique du Sud lorsqu’il s’agit de bande dessinée ne sont plus à démontrer. Nombreux sont les auteurs, notamment argentins, à avoir fait carrière au pays d’Hugo Pratt, Milo Manara et autres Sergio Toppi et inversement (Alberto Breccia, Jose Muñoz,...) Il en ressort d’ailleurs parfois une certaine proximité graphique et des influences réciproques des plus intéressantes.
Eduardo Mazzitelli et Enrique Alcatena sont de ceux-là. C’est d’ailleurs dans la revue italienne Lanciostory, où ont également publié Carlos Trillo, Francisco Solano López et Enrique Breccia, trois auteurs présents au catalogue des éditions iLatina, que les deux compères publièrent en 2005 la série Raskshassas. Précisions ici que cet album est la seconde apparition d’Alcatena aux catalogue iLatina, après Chroniques amérindiennes scénarisé par Gustavo Schimpp et publié le 13 janvier 2020.
Lord Urquart, noble britannique féru de mysticisme et de sagesses anciennes, parvient non sans mal à pénétrer l’enceinte d’un temple sacré dont la légendaire bibliothèque abrite l’objet de ses convoitises : le Livre des démons primordiaux. Une fois l’ambition démesurée de l’explorateur punie, les rakshassas, ces quatre entités démoniaques surpuissantes, sont relâchées et s’apprêtent à détruire le monde connu.
Le Pendit Urdit Gopal, membre de la caste des brahmannes et de la secte des anciens perçoit les signes avant-coureurs d’un cataclysme. Il réunit une équipe de fortune constituée de trois êtres partiellement démoniaques, deux femmes et un homme. En effet, qui de mieux qu’un démon pour affronter un autre démon ? Enfin, bien que puissants, Shambara, Annapurna et Lady Cora n’auront pas trop des sept chapitres qui composent cette intégrale pour parvenir à unir leurs forces et venir à bout du mal qui sévit.
Plus qu’une relecture européenne des récits mythologiques hindouistes et bouddhistes, Rakshassas est aussi une uchronie steampunk. En témoignent les premières pages qui proposent une version alternative de la Seconde Révolution industrielle, ou les dirigeables britanniques qui apparaissent à plusieurs reprises dans l’album, typique de ce type de récits.
Le cœur de l’ouvrage n’en reste pas moins l’imaginaire convoqué qui, bien qu’étranger à de nombreux lecteurs francophones, est rendu totalement abordable par l’excellent travail scénaristique d’Enrique Mazzitelli et la puissance des planches d’Alcatena et ses représentations hallucinées dont le noir et blanc ciselé, tout en croisillons, et les volumes ultra-détaillés vous transporteront à coup sûr.
La patte de l’artiste argentin sied parfaitement à la représentation de récits mythologiques tant son travail fourmille de détails qui, chacun leur tour d’abord, puis tous ensembles ensuite, font sens au sein de compositions grandioses. Le résultat est fascinant, hypnotique, presque psychédélique et regorge d’une énergie incontrôlable, à l’image des puissances démoniaques représentées.
Ainsi, les éditions iLatina et leur collection Grandes Autores, poursuivent leur entreprise patrimoniale, donnant à découvrir au lecteur francophone les œuvres oubliées d’artistes sud-américains. Une réussite totale dans laquelle s’inscrit Rakshassas en nous donnant à découvrir un récit d’aventure épique, haletant et très référencé. Une invitation à une découverte plus en avant des cultures, superbement représentées par Enrique Alcatena. Un régal.
(par Thomas FIGUERES)
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Rakshassas - Par Eduardo Mazzitelli & Enrique Alcatena - Collection : Grandes Autores - Éditions iLatina - Traduction : Thomas Dassance - 100 pages - Sortie le : 29/01/2021 - Prix : 18 euros.
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