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Ralph Meyer & Xavier Dorison : « Dans une chasse au monstre comme celle d’Asgard, ce qui est intéressant, ce n’est pas le monstre, c’est celui qui le chasse. »

Par Morgan Di Salvia le 13 mars 2012                      Lien  
Ces deux-là se sont rencontrés sur la série XIII Mystery. Depuis, ils se sont trouvés tellement d’affinités, qu’ils ont décidé de poursuivre leur collaboration. Ralph Meyer et Xavier Dorison nous parlent d’Asgard, une aventure baignée dans la mythologie viking, dont le premier volume vient de paraître.

En 2008, votre XIII Mystery : La Mangouste avait séduit à la fois la critique et un large public. De là est née votre envie de réaliser d’autres projets ensemble ?

Ralph Meyer : Disons qu’on s’est découverts sur XIII Mystery. Nous avons une vision du métier assez similaire, avec le même type d’exigence. En plus, d’un point de vue purement amical, on s’entend très bien. Ce sont de bonnes raisons pour continuer à travailler ensemble.

Xavier Dorison : J’ajouterais qu’on a envie de faire les mêmes choses. On a envie d’explorer les mêmes territoires, envie de traiter les mêmes thèmes dans les histoires. On peut faire des rencontres professionnelles avec des gens très différents de soi. Ce côté différent et parfois conflictuel peut finalement engendrer de bons bouquins. C’est possible. Mais, très honnêtement, à vivre au quotidien, ce n’est pas le plus agréable !

Ralph Meyer & Xavier Dorison : « Dans une chasse au monstre comme celle d'Asgard, ce qui est intéressant, ce n'est pas le monstre, c'est celui qui le chasse. »
La couverture d’Asgard T1
© Meyer - Dorison - Dargaud

Lequel de vous deux avait ce penchant pour les mythes nordiques qui inspirent Asgard ?

XD : Au départ, il y avait dans l’air l’idée de faire une histoire pour la série Les Mondes de Thorgal. Pour des tas de raisons, en particulier éditoriales, ça n’a pas pu se faire. Mais nous sommes restés dans la maison Média Participations, puisqu’on a simplement changé d’étage pour proposer le projet à Dargaud Bénélux. Avec le recul, on a été contents de faire notre propre histoire et d’avoir toutes liberté dessus. Nous avons développé un récit viking, en puisant dans nos premiers questionnements sur le projet Thorgal avorté. Nous avions du coup l’occasion d’aborder ce monde à notre manière, de choisir notre itinéraire. En résumé, on peut dire que le sujet nous intéressait, mais nous n’étions ni l’un, ni l’autre des fous de vikings.

RM : L’excitation et l’envie de travailler sur ce type d’univers et d’histoire est restée, même si on a relancé notre projet ailleurs.

La planche 19 pas à pas.
Le scénario.

Asgard, cet homme maudit, rugueux, qui est votre héros, peut faire penser à la figure du bounty hunter, le chasseur de primes des westerns. Est-ce que c’est une référence qui vous est venue à l’esprit au moment d’écrire l’histoire ?

XD : La comparaison est tout à fait juste. Ce que je trouve intéressant, c’est de partir d’une figure presque archétypale ou iconique, qui est celle que vous avez décrite. Le gars à qui l’on fait appel en dernier ressort, mais qui est totalement antipathique… Ce qui est amusant, c’est que derrière cette surface, on peut gratter et trouver des choses plus surprenantes. Sinon, on reste dans le cliché et ce n’est pas intéressant. J’espère que derrière la façade brute d’Asgard, les lecteurs vont trouver des choses plus inattendues : dans ses tourments, dans ses problèmes, dans ses obsessions. Ce genre de personnage arrive toujours avec un désir exprimé qui est «  je veux me faire de l’argent ». L’exemple type, c’est Han Solo dans Star Wars qui vient pour la prime. C’est toujours la même histoire : on sait pertinemment que c’est faux et que ce n’est pas pour ça qu’ils le font. Au début un peu, peut-être, mais en fait les chasseurs de primes ont toujours mille autres raisons… Bien sûr, Asgard a, dès l’entame de l’histoire, une raison inconsciente liée à son statut de Skraeling. Puis à force de fréquenter particulièrement la jeune Sieglind, d’autres raisons vont émerger. C’est en cela que ce type de personnage est intéressant pour un scénariste. Il vous permet de rassurer votre lecteur, et en même temps de le surprendre, passée cette première impression. Si le lecteur ne sait pas où il est, c’est impossible de le surprendre.

La planche 19 pas à pas.
Le crayonné.

Le scénario d’Asgard a un rythme très soutenu, très enlevé. L’histoire fonctionne par séquence avec très peu de temps morts. Elle rappelle le tempo des prépublications en magazine. Est-ce quelque chose qui manque à la BD d’aventure ?

XD : Nous avons eu la chance qu’Asgard soit prépublié dans le magazine dBD. Mais ce dont vous parlez vient du fait que, comme une BD est vite refermée, il est facile de s’ennuyer et d’interrompre la lecture. Les auteurs n’ont pas le droit à l’erreur. Je suis donc attentif à ce que mes bandes dessinées accrochent en permanence l’attention du lecteur. J’ai beaucoup lu ce qu’a écrit Jean Van Hamme. Si vous regardez attentivement ses scénarios, il y a de l’accroche et des retournements en permanence. C’est pourquoi j’essaie toujours de construire des histoires, où chaque fin de page ou chaque double comporte un retournement ou une accroche,… Moi, j’aime les récits qui me tiennent en haleine. Comme j’aime ça dans les histoires des autres, j’essaie de le faire dans mes propres histoires.

Un scénariste essaie d’abord de se faire plaisir comme lecteur

XD : Oui. J’adore lire les romans de gare, les « page turner ». J’essaie de comprendre leur mécanique et de travailler en ce sens. Ça ne vient pas naturellement. On a d’abord des idées, des scènes, des péripéties. Puis on les reformate pour arriver à quelque chose qui soit accrocheur. C’est ça le métier du scénariste.

La planche 19 pas à pas.
L’encrage

Au niveau du dessin, une large place est accordée au grand spectacle dans Asgard. Il y a énormément de cases de très grand format, hyper spectaculaires. Quel est le défi de ce genre de composition en bande dessinée ?

RM : Ce n’est pas plus ou moins difficile qu’un gaufrier. Le décor dans le cadre d’une histoire comme celle-là est un acteur majeur du récit. Il faut lui laisser de la place, c’est évident. D’autre part, ce qui m’intéresse dans Asgard, c’est qu’on se trouve à la fois dans un décor gigantesque, et par ce que vivent les personnages, dans un huis clos. Cette ambivalence est une des particularité de l’aventure.

Il y a une séquence qui m’a marqué dans l’album : celle où la légende du Krökken est évoquée en flash-back. Le traitement des couleurs et du dessin est assez différent du reste de l’album. Est-ce que ça s’est imposé directement ?

RM : Au niveau narratif, la première proposition de Xavier était autre. Inévitablement, on s’est dit qu’il y avait le moyen de faire quelque chose d’un peu décalé par rapport au reste de l’album. Cette double page amène une respiration et c’est clairement un moment où je me suis amusé. D’autant que c’était la première fois que j’avais l’occasion de faire des pages où les dessins se fondent les uns dans les autres. C’est une séquence qui a été très agréable à réaliser.

L’évocation de la légende du Krökken
bénéficie d’un traitement graphique particulier.

Est-ce que rompre la mécanique mise en place pendant les dizaines de pages précédentes n’est pas perturbant dans le processus de création de l’album ?

RM : Pas du tout. Je me suis amusé.

XD : Dans le scénario, au départ, il n’y avait qu’une page. Ralph m’a dit qu’il pensait que ce point du récit était important et qu’il faudrait le développer. Sa suggestion était complètement juste. On a retravaillé le découpage pour doubler la page. C’est l’intérêt d’un travail à deux. Chacun sur sa partie est le nez dans le guidon, mais quand on se sent bien sur la même longueur d’ondes, le recul et la confiance mutuelle permet ce type de remarques constructives. Cette séquence de la légende du Krökken permet à l’histoire de prendre un niveau supplémentaire. On passe du concret : l’eau, la pierre,… au Domaine des Dieux. On change également de temporalité. Ces deux pages sont très importantes.

Invités au Ciné BD de MK2, vous avez choisi de projeter le « Moby Dick » de John Huston. Pourquoi ce film ?

"Moby Dick"
réalisé par John Huston en 1956

XD : Quand on nous a proposé de participer au Ciné BD, notre choix c’était « Moby Dick », ou éventuellement « Les Dents de la Mer ». Moby Dick c’est LE récit de chasse. D’abord, le roman de Melville est fondateur du genre. Avant lui, il y avait eu des récits de combats contre les monstres, mais dans Moby Dick, le monstre n’apparaît que très tard. Dans une chasse au monstre, ce qui est intéressant, ce n’est pas le monstre, c’est celui qui le chasse. C’est son obsession, ce sont les raisons pour lesquelles il est obnubilé par ça. Pour moi, Moby Dick est le texte fondateur de ce que j’appellerais le récit obsessionnel. La plupart des récits d’aventures parlent de l’envie de quelqu’un de faire quelque chose de hors norme, de romanesque, sans véritable raison rationnelle. Le récit obsessionnel, c’est quand cette envie est en plus dangereuse et peut, par la volonté d’un seul homme, amener un groupe au bord du gouffre. De ce point de vue, Moby Dick est tout à fait fabuleux. Le film de John Huston, avec sa réalisation, ses acteurs, ses décors est un must.

Visuellement, est-ce aussi une influence pour vous Ralph ? Ou votre travail de documentation vient d’un tout autre domaine ?

RM : Je n’ai vu Moby Dick que quelques temps avant d’entamer le projet Asgard. Je ne peux pas dire que ça a eu une influence consciente sur mon travail. En ce qui concerne la documentation, c’est un travail conséquent, parce que sur un genre qui pour moi était totalement nouveau, j’avais besoin de bouffer de l’image.

Et cette gloutonnerie est passée par quoi : le cinéma ? Des musées ? Des livres ?

RM : Beaucoup de bouquins et beaucoup de photos. Pour s’imprégner de l’atmosphère des fjords.

Ralph Meyer et Xavier Dorison
à Bruxelles, en mars 2012

Question pour les impatients. Les Vikings croyaient que l’arrivée du Serpent Monde marquerait la fin de leur civilisation, les Mayas nous l’annoncent pour le 21 décembre 2012. Est-ce que nous connaîtrons le fin mot de l’histoire d’Asgard avant le cataclysme ?

RM : (Rires). Ca va être un peu compliqué ! Le deuxième album est à peine entamé. Il faudra patienter au moins un an.

Strange n°104

Une dernière question rituelle pour conclure. Quel est le livre qui vous a donné envie de faire de la bande dessinée ?

XD : Strange numéro 104. C’est l’histoire d’un petit garçon de 7 ou 8 ans, qui arrive dans un kiosque à journaux et qui tombe nez à nez avec Strange 104. En couverture : Iron Man, un homme en armure rouge et or, face à des super méchants et ce titre terrible « Strange » ! J’ai été totalement fasciné, comme devant un serpent. On m’a donné 4 francs 50 pour l’acheter et dès ce jour, j’ai basculé dans une autre dimension.

RM : De mon côté, je pense que c’est Le Mystère de la Grande Pyramide d’E.P. Jacobs. Cette histoire de Blake & Mortimer m’a fasciné. Les malédictions égyptiennes sont terrifiantes quand on est enfant !

(par Morgan Di Salvia)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Illustrations © Meyer - Dorison - Dargaud

Photos © M. Di Salvia

A voir : Exposition "Asgard" au Centre Belge de la Bande Dessinée jusqu’au 22 avril 2012.
20, rue des sables. 1000 Bruxelles.

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A propos de Ralph Meyer & Xavier Dorison, sur ActuaBD :

> « IAN, notre robot humanoïde, s’humanise enfin ! » (Entretien Meyer / Vehlmann en mars 2006)

> Entretien vidéo avec Xavier Dorison

> Asgard T1

> IAN T2, T3, T4

> Page noire

> XIII Mystery : La Mangouste

 
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