Le 33e album des Femmes en blanc, « Sangsue alitée », sort ces jours-ci. Il est accompagné par des « mini-albums ». Ce sont des best-of ?
Non pas du tout ! Il s’agit des six mini-récits que Philippe Bercovici et moi-même avons faits dernièrement pour le journal de Spirou. L’éditeur a souhaité les publier en albums. Je me suis amusé à écrire six histoires inédites sur des métiers touchant au monde médical : les dermatologues, les chirurgiens esthétiques, les médecins légistes, les rebouteux, les dentistes et les acuponcteurs.
Au départ, cela n’était que de l’animation pour le journal de Spirou.
Je m’amuse réellement à écrire, que cela soit pour cela ou pour autre chose …
La légende raconte que c’est lors d’un séjour dans un hôpital que vous avez eu l’idée d’utiliser comme sujet d’humour le personnel médical.
Ce n’est pas une légende. J’ai eu, dans les années 1980, des pierres aux reins. Rien de grave, mais j’ai été admis aux urgences dans un hôpital bruxellois. J’ y ai passé une dizaine de jours. On m’avait mis dans une chambre voisine au bureau des infirmières. Je les entendais parler de leur boulot, des problèmes de santé de l’un ou l’autre patient, de leurs tracas quotidiens. C’est en les entendant que je me suis décidé de faire une série humoristique sur ces femmes en blanc. Pour le lancement du 33e album, j’ai été signer nos albums, avec Philippe, dans une bibliothèque dans la région de Tournai. Je me suis aperçu encore une fois, qu’il y avait beaucoup de médecins et d’infirmières parmi nos lecteurs. Nos albums circulent dans les hôpitaux.
Comment décririez-vous Philippe Bercovici ?
Il est un peu comme mon fils adoptif ! Je l’ai connu à ses treize ans. Il m’envoyait ses projets de BD. Quand je lui envoie un scénario, je me demande un quart d’heure après, s’il ne le dessine pas déjà, tellement il est rapide ! C’est un mec sérieux et travailleur. Et surtout un chouette type.
Vous préparez avec lui une nouvelle mini-série.
Plutôt deux albums thématiques consacrés au sport. L’un évoquera les sports de compétition, l’autre ceux de loisir. Philippe termine actuellement le deuxième. Un jour, à l’aéroport, j’ai aperçu un avion affrété par une compagnie d’assurance qui débarquait des dizaines de skieurs blessés. C’est un sport qui est à la fois pratiqué en compétition et pour le loisir. Je me suis mis à imaginer l’une ou l’autre raison humoristique de ces blessures en voyant ces skieurs dépités. Cela m’a donné envie de traiter de tous ces sports d’une manière amusante en expliquant les causes des blessures que l’on peut avoir en les pratiquant !
Les histoires seront publiées dans le journal de Spirou. Je ne sais pas encore quand les albums paraîtront. J’espère que cette fois-ci Dupuis accompagnera sérieusement leur sortie. J’ai toujours au travers la gorge le fait que Coup de Foudre n’ait pas été accompagné par Dupuis. Ils n’ont fait aucun effort pour la promotion de cette nouvelle série. Le strict minimum aurait été de poser un autocollant sur la couverture mentionnant que Coup de Foudre était scénarisé par l’auteur des Tuniques Bleues et de Cédric. Ils ne l’ont même pas fait, alors que cela ne coûte pas grand-chose. J’ai toujours un goût amer dans la bouche quand j’y pense. Tous ceux qui ont lu ces deux albums ont adoré et ont trouvé que j’avais écrit quelque chose différent.
Il n’y aura donc pas de troisième « Coup de Foudre » ?
Hélas, non. La mise en place n’était pas importante. Ils ont imprimé huit mille albums, je pense, pour couvrir la Belgique, la France et la Suisse. Le tirage n’était pas assez important et l’album est passé inaperçu en librairie. D’autant plus qu’il n’y avait aucune promotion ou publicité pour l’appuyer. Au même moment, d’autres jeunes séries sont sorties et ont été mieux accompagnées par Dupuis. Quand je dis cela à mon éditeur, il me répond : « Oui, mais tu as vu ce que l’on fait pour Cédric, les Tuniques Bleues ». Je ne suis pas d’accord, pour moi, chaque série est différente.
Marc Hardy nous dit que vous êtes trop gentil, et que c’est votre principal problème…
Il a raison ! Mais je n’ai pas le droit de me fâcher. Je le répète : si je demande à Dupuis d’investir pour la promotion d’une série, ils vont me dire : « Oui, mais tu as vu ce que l’on a fait dernièrement pour Cédric et les Tuniques Bleues ». Ils me coincent, et je ne peux pas me défendre.
Les dessinateurs et moi-même avons rapporté beaucoup d’argent à Dupuis. C’est « notre argent », des bénéfices issus de la vente de nos bouquins. Je suis tout à fait conscient que si, Willy Lambil et moi-même, faisons ce métier aujourd’hui, c’est grâce aux anciens. Ceux-ci ont rapporté de l’argent à la famille Dupuis qui les a réinvestis sur nous. Nous sommes dans la même ligne de pensée et nous sommes contents que les bénéfices de notre travail, de nos albums, soient en partie destinée aux jeunes auteurs. Mais nous aimerions, quand même, que cet argent serve également à la promotion de nos autres séries, pas seulement celles qui ont de très belles ventes, mais aussi pour les albums que je fais avec Marc Hardy, Bedu, Bercovici … Que fait Dupuis pour Les Femmes en Blanc, Pierre Tombal, les Psy... ? Pas grand-chose !
Vous voyez-vous des successeurs ? Il y a une dizaine d’années, on avait l’impression que vous étiez quasiment le seul scénariste du journal de Spirou. C’est moins le cas aujourd’hui, mais on n’a toujours pas l’impression qu’il y ait aujourd’hui quelqu’un qui s’y soit imposé dans votre registre…
Ah ! Mais c’est la faute de Dupuis. Beaucoup frappent à la porte de la maison d’édition et se font éjecter. Un peu comme moi, durant ma période « marchand de savonnettes ». Parfois, ils laissent passer des histoires. J’ai aidé au début de leur carrière Gilson et Dugommier. Et aujourd’hui, il y en a un qui me fait chier tellement il est bon, c’est Zidrou. Il excelle dans l’humour et m’a épaté l’année dernière avec Lydie, un très bon album réaliste. Pour moi, c’est un grand monsieur. Il promet drôlement.
Aimeriez-vous que vos séries soient reprises après vous ?
Honnêtement, je n’en ai rien à cirer. Je ne vais pas vous dire non et bloquer ainsi l’avenir des dessinateurs. Ce ne serait pas sympathique pour eux. Ils se sont investis pendant de nombreuses années sur ces séries. Mais s’il y a des reprises de mes séries, je sais très bien que l’humour et la manière de percevoir les différents univers ne seront pas les mêmes.
Qui a pu reprendre Tillieux ? Personne. Son humour lui est propre. Qui a remplacé Goscinny ? Personne. Qui pourrait faire des dialogues à la Audiard ? Personne, sauf Audiard lui-même. Je sais que les dessinateurs vont hurler lorsqu’ils liront ces lignes. Mais les séries peuvent changer de dessinateur « facilement ». Un dessinateur peut se fondre dans un style, et arriver à se rapprocher du graphisme originel. Mais on ne peut pas reprendre l’âme d’une série ! Oui, je crois que le scénario est l’âme d’une série. Une âme, cela ne se remplace pas ! La reprise de Boule et Bill par Laurent Verron est impeccable et de qualité, mais est-ce encore du Roba ? Non, c’est quelque chose d’autre. Je ne crois pas aux reprises des séries par d’autres scénaristes. Les scénaristes ont leur propre façon de penser et de raconter et c’est ça l’âme de la série.
Avez-vous encore des projets ?
Bien sûr. J’ai encore des envies. Mais ce n’est pas autant que j’ai le temps de les mener à terme. Beaucoup de dessinateurs me contactent pour me demander de leur faire un scénario. J’essaie de leur expliquer qu’il ne suffit pas de me coucher sur ma chaise longue pour que le scénario s’invente. Ce n’est pas si simple : il faut trouver un thème qui n’a pas été ou peu traité, pas trop « usé », qui intéressera le public, etc. Cela prend du temps.
Est-ce difficile pour vous de trouver une histoire, de l’écrire ?
Parfois, oui. Je me mets dans ma chaise longue avec la ferme volonté d’écrire un gag pour Pierre Tombal. Et je ne trouve rien. Je songe alors à une autre série, à d’autres choses. Et puis, une idée pour Cédric arrive. Et cela débloque ! J’essaie de ne pas rester sur un sujet si cela coince.
Jean-Claude Mézières et André Juillard disent se « battre avec leur dessin », souffrir en dessinant. L’écriture est-elle pour vous une souffrance ?
Ils dessinent, eux ! Moi, pas. Je ne souffre pas en inventant une histoire. Je m’amuse en vivant mon scénario. Si un jour cela devait être le cas, j’arrêterais tout de suite. J’ai toujours un large sourire lorsqu’une idée, une esquisse d’histoire, se dessine quand je suis dans ma chaise longue. L’écriture n’est pas un travail, c’est plutôt de l’amusement. Comme je vous le disais, en écrivant, je deviens l’Agent 212 ou Pierre Tombal. Je vis avec eux, et j’en suis heureux !
François Walthéry déclarait en décembre 2010 se trouver à la moitié du Vieux bleu et prêt à dégager du temps pour en dessiner la suite très rapidement.
Cela doit faire près de vingt ans que je lui ai donné la première moitié du scénario du deuxième tome. Celui-ci devrait contenir deux histoires de 22 planches, l’une sur les pigeons, l’autre sur le chant du coq que je dois encore écrire ! Il vous a dit qu’il était à la moitié du second album ? Ah bon, et bien moi, je n’ai pas vu grand-chose. L’année dernière, il me téléphone. On parle de tout et de rien, puis il me dit être à la planche 36 du second album du Vieux bleu. Comment pouvait-il être à la page 36, alors que je ne lui ai donné que 22 planches découpées (Rires). Il y a eu un long silence ! Il m’a répondu qu’il a ajouté des choses, qu’il a modifié le scénario. Je sais que c’est faux ! Il n’a rien fait… C’est tout François, ça. Un jour, il avait fait croire à Michel Dupuis qui a géré la maison d’édition pendant que Charles Dupuis essayait de la vendre, qu’il était à la planche 36 de son Natacha. François l’a effectivement envoyé peu de temps après aux éditions Dupuis … Mais ce que Michel Dupuis ne savait pas, c’est que François n’avait quasiment pas travaillé sur celles qui précédaient (Rires). Il est comme ça, François, mais je l’aime bien ainsi…
(par Nicolas Anspach)
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Découvrez la première et la deuxième partie de cet entretien.
Lire aussi sur actuaBD, des interviews :
« Je sers le café chez Dupuis, cela m’inspire ! ». (Août 2009)
« L’humour est mal vu dans la bande dessinée » (Avec Tony Laudec, Avril 2008)
« Ce n’est pas un secret, j’ai vendu 45 millions d’albums » (Septembre 2006)
Des actualités :
La série Cédric célèbre ses 20 ans par une expo ludique à Charleroi. (Septembre 2009)
A ta santé, Poje », l’adaptation théâtrale de la BD de Cauvin et Carpentier (Avril 2009)
Raoul Cauvin : quatre incunables et un missel (Novembre 2008)
Des chroniques d’albums :
Cédric T25, T24, T23, T20, T15
Les Tuniques bleues T54, T50, T47
Les Psy T17, T14
Les Femmes en blanc T24, T23
Sammy T40, T37
Mirliton T1
Coup de Foudre T2
Les Paparazzis T8
Et les interview de ses dessinateurs :
Daniel Kox : "L’Agent 212 n’a pas été créé pour durer !" (Janvier 2010)
Lambil : "On parle bien plus d’un auteur qui vend 5.000 albums à la nouveauté que du nouvel album des Tuniques Bleues" (Novembre 2009)
Marc Hardy : "Rigoler de tout est un fameux purgatif !" (Novembre 2008)
Bédu : "J’ai dû travailler pour cerner les expressions des personnages" (Avril 2008)
Bercovici : "J’écris comme il dessine" (avec Bob De Groot, Janvier 2007)
Lien vers le Blog de Raoul Cauvin
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En médaillon : Raoul Cauvin, en 2009 (c) Nicolas Anspach
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