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Rapport Ratier 2013 : Ça "décélère", et alors ?

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 30 décembre 2013                      Lien  
Gilles Ratier qui, depuis 14 ans, fait bénévolement le décompte de la production de la bande dessinée dans l'espace francophone européen, parle de "décélération". Or, il s'agit davantage d'une pause que d'un ralentissement car la structure du marché n'appelle pas à une réduction de la production, au contraire.

Les commentateurs de tout poil sont très sensibles à la sémantique ambiante : depuis que le président français François Hollande a, d’une façon par trop volontariste semble-t-il, décidé d’inverser la courbe du chômage, on voit les courbes s’inverser partout...

Dans un premier temps, car vous verrez bientôt, à la faveur de la publication des chiffres des sondeurs (GfK, Ipsos) qui préfèrent attendre les "vrais" chiffres afin de publier leur bulletin de santé de la bande dessinée, que les numérologues se mettront à l’œuvre, mesurant la longueur du cercueil, annonçant le déclin inévitable du Neuvième Art. Le libraire de Sergio Salma et Libon pourra entrer dans un nouveau cycle de dépression...

Or, les choses ne se posent pas en ces termes pour les opérateurs de la BD. Certes la "surproduction" prend une pause. Mais ce vocable ne veut rien dire, je le répète. La seule chose qui compte pour les entrepreneurs (auteurs, éditeurs, libraires...), ce sont les marges, leur capacité à se maintenir sur le marché (librairie et grande distribution) et celle de relever le défi de l’Internet où Amazon a pris une place éminente (il devrait devenir à terme le premier libraire du pays), tandis que la lecture de la BD sur les supports numériques (tablettes, consoles...) progresse, lentement mais sûrement, dans une proportion moindre en Europe qu’aux États-Unis.

Or, sur le marché francophone, des initiatives ont été prises et des réponses ont été apportées, cette année encore, à ces inexorables mutations. Et les Européens ne sont pas si en retard que cela dans ce domaine... Nous y reviendrons.

La baisse de la production était attendue : "...les éditeurs se ré-assurent : en privilégiant les marques fortes et établies, d’où les efforts de Média-Participations ces dernières années sur les nouveautés Spirou, Blake & Mortimer, Lucky Luke, la multiplication des spin-offs XIII, Thorgal et autres, tandis que le fonds, amorti depuis des années, est réinvesti sur le marché sous la forme de luxueuses intégrales qui captent le pouvoir d’achat des seniors", écrivions-nous l’année dernière.

Cela a été particulièrement le cas cette année avec les efforts consentis par Dupuis autour de la marque Spirou et la mise en œuvre d’un nouvel Astérix qui n’est plus l’œuvre de Goscinny & Uderzo. Une sorte de révolution dans le microcosme.

Rapport Ratier 2013 : Ça "décélère", et alors ?
5159 BD ont été produites en 2013, soit 7.3% de moins qu’en 2012

La marge plutôt que la part de marché

Mais penchons-nous sur les chiffres de Gilles Ratier et de l’ACBD. On peut les résumer comme suit :

- La production de la BD prend une pause : 5159 BD ou proto-BD ont été publiées dans l’espace francophone européen en 2013, contre 5565 en 2012, soit 406 titres de moins (-7,3 %). C’est la première baisse de production depuis 17 ans au moins (les statistiques de Ratier commencent à cette époque-là).

Faut-il y voir un déclin ? Non, puisque le volume des nouveautés reste important. Il semble plutôt que les éditeurs ont préféré cette année la consolidation de leurs marges à la conquête des parts de marché.

Les secteurs qui "dévissent" sont les rééditions ou nouvelles éditions d’anciens titres (-189) : moins de "fausses nouveautés" qui réinstallent du fonds sous la forme d’intégrales, les meilleurs titres ayant déjà été publiés ; et les nouvelles créations (-242) en baisse en raison de la réduction des lancements de nouvelles séries (moins de "tomes 1") et un investissement qui se porte de plus en plus sur les marques propriétaires éprouvées (Astérix, Blake & Mortimer, Spirou, XIII, Thorgal,...)

- Les autres secteurs restant stables avec une progression néanmoins pour le secteur des comics, soutenu par la production cinématographique d’Hollywood et marqué encore cette année par l’installation de Urban Comics (Média-Participations) sur le marché. Des investissements peu coûteux (pas de coût de création), peu risqués (on adapte le tirage à la demande), et contributeurs de marges.

Les comics ont la forme, cette année encore

- On est surpris par la stabilité du secteur des mangas, également un important contributeur de marges. On sait qu’il est affecté par le déclin des blockbusters japonais. Cette offre se réduisant, les éditeurs français de mangas sont amenés à "délayer" les sorties afin de maintenir un chiffre d’affaires constant. Vendre mieux avec moins de titres, voilà qui est vertueux ! Mais les éditeurs français, aiguillonnés par la présence des Japonais en France, ne s’arrêtent pas là, ils cherchent la pépite susceptible d’animer le marché hexagonal : "Aujourd’hui encore plus qu’hier, nous disait Stéphane Ferrand, l’éditeur manga de Glénat, chaque pays marque ses envies et ses spécificités autour des thèmes et traitements auxquels il aspire et qui peuvent être désormais opposés d’un bout à l’autre de la planète. Nous ne sommes plus en France dans une conception monolithique de l’édition de manga, mais dans une culture multiforme, multi-âges, dont la percée du seinen ces cinq dernières années est encore le meilleur témoin."

- Plus de titres traduits en 2013 qu’en 2012 : 2 257 ouvrages de bande dessinée provenant de 25 pays différents (23 en 2012) ont été traduits – soit 56 % des nouveautés, contre 2 234 et 54,4 % en 2012). Cette progression se justifie par une baisse de la production domestique et la recherche de la marge, puisque les bandes dessinées traduites coûtent moins cher en terme de production qu’une création originale.

Pas de changement de position pour les gros producteurs : Delcourt, Média-Participations, Glénat, Gallimard...

Tous ont légèrement réduit leur production pour les raisons que nous avons expliquées. S’il est nécessaire pour certains de "digérer" leurs acquisitions (Soleil par Delcourt, MAD Fabrik et 12bis par Glénat...), ce qui revient à sabrer dans les catalogues pour leur redonner une nouvelle dynamique, d’autres doivent consolider leur statut de nouveaux arrivants sur le marché (Urban Comics, en particulier).

Mais c’est également le cas, de façon marginale, dans tous les segments de la proposition éditoriale : la crise et les hausses de TVA annoncées pour 2014 qui auront forcément un impact sur le pouvoir d’achat des Français, incitent à la prudence.

La fragilité de la grande distribution et l’hyper-concurrence au premier niveau de la librairie, comme nous vous l’expliquions l’année dernière sont les principales raisons d’une difficulté de subsistance sur le marché. Cette année encore, les librairies Chapitre ont déposé le bilan, même si certaines ont été reprises et continuent leur activité.

Aucune inquiétude particulière pour 2013

Pas d’inquiétude particulière pour 2013

Il n’y a pas d’inquiétude apparente sur le chiffre d’affaires en 2013 : la sortie d’Astérix en octobre servant d’article d’appel pour le retour des clients en librairie, retour qui impacte les autres titres présents à ce moment-là. Ce sont évidemment les produits connus et reconnus (Blake & Mortimer, XIII, Thorgal...) qui profitent de cette embellie dont la récurrence est désormais assurée. Détails des chiffres dans quelques semaines...

En revanche, la mutation du marché continue. Alors que Glénat, Delcourt et Panini ont rejoint cette année la solution ComiXology, la première application de BD numérique aux USA, une plateforme performante de distribution de comics sous la forme numérique comportant plus de 75 éditeurs de comics, dont les plus gros éditeurs du secteur : Marvel, DC Comics, Image, Dynamite, etc. Izneo qui regroupe la plupart des autres éditeurs français de BD (Média : Dupuis, Dargaud, Le Lombard, mais aussi Casterman, Hachette, Gallimard, Bamboo, Jungle !...) lui fait face.

L’arbitrage devrait être fait par les éditeurs japonais de mangas dont les lecteurs, par définition, sont davantage présents sur les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Or, ceux-ci n’ont décidé de ne privilégier aucune plateforme plutôt qu’une autre. Ce sera donc le professionnalisme des opérateurs concernés et l’attraction de leur bibliothèque qui feront la différence. La bonne nouvelle, c’est que l’élargissement de l’offre numérique va automatiquement réduire le piratage qui, surtout dans le domaine des mangas, progressait d’année en année.

La multiplication des initiatives dans le domaine de la création numérique (Professeur Cyclope,Best of Humour, Spirou Z, Aaarg, les tentatives de Transmedia ou de Turbomedia de même que la clarification par l’état des règles du jeu dans ce domaine en particulier en France, indiquent que la France est sur la bonne voie.

LE RAPPORT COMPLET DE L’ACBD

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Photos : D. Pasamonik

 
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