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Rencontres Chaland 2020 : Floc’h - l’essence de la Ligne claire

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 4 octobre 2020                      Lien  
Floc'h a été le compagnon de route et l’un des inspirateurs du créateur du Jeune Albert. Entre les deux artistes, le dialogue a été permanent, surtout les dernières années. Il y avait entre eux de l’estime et de l’admiration, Floc’h étant impressionné par la somme de travail qu’était capable d’abattre le Néracais, par son « artisanat » ; Chaland était impressionné par le détachement, l’économie de moyen, l’élégance, en résumé l’art du Breton.

Né le 25 septembre 1953 à Mayenne (Pays de la Loire) d’une famille d’imprimeurs, Floc’h connaît depuis son enfance la littérature, le graphisme et la chose imprimée. Il n’est donc pas étonnant que ses études passent brièvement par l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs à Paris, où il rencontre François Rivière à la recherche de jeunes artistes susceptibles d’assurer l’illustration de couvertures de romans pour une collection qu’il dirige aux éditions Glénat.

François Rivière est alors le critique bien en vue des Cahiers de la Bande dessinée. Il est l’auteur d’un petit opuscule intitulé « L’École d’Hergé » qui met en perspective l’influence d’Hergé sur la bande dessinée belge, notamment au travers de ses assistants : Edgar P. Jacobs, Jacques Martin, Bob de Moor, Roger Leloup… Un voyage à Bruxelles plus tard, où François Rivière fait rencontrer à Floc’h le maître de l’École de Bruxelles himself, et voici que nos deux complices conçoivent ensemble dans le train (cela prenait trois heures en ce temps-là) leur premier ouvrage : Le Rendez-vous de Sevenoaks (Dargaud, 1977).

Rencontres Chaland 2020 : Floc'h - l'essence de la Ligne claire
Floc’h et Yves Chaland, hérauts de la Ligne claire
Photo : Cédric Munsch

C’est le premier épisode de ce qui deviendra la série "Albany & Sturgess" qui se poursuit par trois autres tomes : Le Dossier Harding (1979), À la recherche de Sir Malcolm (1985) et Olivia Sturgess 1914-2004 (2005, tous chez Dargaud). S’ajoutent plus tard Meurtre en miniature (Dargaud, 1994), et un roman, Les Chroniques d’Oliver Alban (Robert Laffont, 2006), une suite de 39 portraits (comme les 39 marches…) écrites sous le pseudonyme commun d’Olivia Sturgess et Francis Albany.

Une figure essentielle de la Ligne claire

Le Rendez-vous de Sevenoaks est un moment-clé de l’histoire de la bande dessinée française. Il introduit dans le 9e art les codes du nouveau roman. Le dessin de Floc’h est telle l’écriture d’Alain Robbe-Grillet décrite par Roland Barthes « sans épaisseur et sans profondeur  » : son trait reste à la surface de l’objet sans se perdre dans la vulgarité de l’anecdote, dans une impeccable stylisation qui s’inscrit dans la lignée des Hergé et Jacobs, bien loin de leurs successeurs maniéristes comme Jacques Martin ou Bob De Moor, mais dans la même mouvance en revanche que les chefs de files de la Ligne claire : Joost Swarte, Ever Meulen, Ted Benoit et Yves Chaland.

Floc’h faisant la visite guidée de son expo. Masques et distanciation sociale...
Photo : Cédric Munsch

Il est nécessaire parfois de rétablir la chronologie. La notion de Ligne claire a été initiée par Joost Swarte dans une exposition sur Hergé, Kuifje in Rotterdam (Tintin à Rotterdam) en 1977, la même année que la publication du Rendez-vous de Sevenoaks. S’ensuivit la production de L’Art moderne du même Swarte (1980) et de Vers la Ligne claire de Ted Benoit (préface de Joost Swarte, 1980). Cette ligne-là, regarde vers Hergé (et vers Segar et l’Underground américain pour Swarte), tandis qu’Ever Meulen regarde vers Hergé, Jijé et son style « loustic » (l’expression est de Rivière).

Si Yves Chaland, Serge Clerc et Luc Cornillon mâtinent leurs références à l’École de Marcinelle de Jijé et de Franquin d’une inspiration « comics », Floc’h, comme son contemporain Tardi, regarde la tête de proue réaliste de l’École de Bruxelles : Edgar P. Jacobs. Mais alors que Tardi, ou Wininger et leurs successeurs tournent le dos aux références britanniques, chez Rivière et Floc’h, elle est centrale et proprement idéale.

Rule, Britannia !

« L’Île aux cœurs virils » s’illustre dans cet autre volet fondamental : la trilogie Blitz évoquant la résistance anglaise pendant la Seconde Guerre mondiale, notamment dans le premier tome éponyme (Albin Michel, 1981) dont on s’aperçoit à la fin de l’album que le lecteur vient d’assister à une pièce de théâtre. Il est suivi d’Underground (Albin Michel, 1996) et de Black-out (Dargaud, 2009). L’intégrale de la série a été publiée en 2011 (Dargaud).

Dans un entrelacs de collaborations, toujours d’une grande qualité littéraire aux influences anglo-saxonnes, Floc’h réalise avec Jean-Luc Fromental, Jamais deux sans trois (1991) un récit inspiré par Francis Scott Fitzgerald, et signe plusieurs livres illustrés : Life (1985), High Life (avec Fromental, 1986), Ma Vie (1985), Ma Vie 2 (1997), Je me souviens (1987), Un Homme dans la foule (1985), Exposition (1998), Journal d’un New-Yorkais (avec Michel Jourde, 1994), Une Vie de rêve (2007), Male Britannia (2009), London Euphoria (2010), Regency Utopia (2010) et Une Vie exemplaire (2011), Où mène la vie ? (2012), La Belle Vie (2014). En 2013, il retrouve François Rivière pour le roman graphique Villa mauresque, une biographie de l’écrivain Somerset Maugham.

Photo : Cédric Munsch

Un trait, un art de la couleur

On ne saurait résumer en quelques mots le formidable travail d’illustrateur de Floc’h qui œuvra aussi bien pour la publicité que pour la presse magazine (Lire, Senso, Monsieur, L’Express, Le Nouvel Observateur, Libération, Le Monde, Le Figaro, Elle, The New Yorker…) où son dessin incarnant l’élégance a de tout temps été apprécié ; sa qualité de portraitiste aussi qui l’amène à faire les affiches des films d’Alain Resnais ou de Woody Allen. On peut renvoyer pour ce faire le lecteur à ses derniers ouvrages, Floc’h Inventaire chez La Martinière (2013) et chez Champaka, Art by Floc’h (Dupuis, 2019).

Mais on peut surtout s’interroger sur son trait qui passe de la plume (Sevenoaks, 1977) au pinceau (à partir de Blitz (1982) peut-être sous l’influence de Chaland ; sur sa couleur qui retient la leçon du coloriste d’Hergé, Edgar P. Jacobs, qui consiste à privilégier les aplats par rapport aux modelés mais dont les tons, appuyés chez Floc’h sur les couleurs pures, contemporaines, montrent ses qualités de peintre attiré par l’abstraction ; sur la distance toute aristocratique, faite de flegme et d’ironie de son regard : chez Floc’h, le dessin n’est pas vrai, il est juste. De cette justesse qui donne aux choses qu’il montre, selon l’adage d’Oscar Wilde, leur existence.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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