Nous vous avons parlé en temps utiles de l’expérience unique de la revue numérique Le Professeur Cyclope fondée par une brochette d’auteurs expérimentés(Brüno, Gwen de Bonneval, Cyril Pedrosa, Hervé Tanquerelle et Fabien Vehlmann). Nous vous avions signalé le partenariat noué en début de cette année avec la maison Casterman et la chaîne de TV Arte.
Quatre albums étaient annoncés pour 2014 : Le Sourire de Rose de Sacha Goerg ; Iba de Pierre Maurel ; Les Pénates d’Alexandre Franc & Vincent Sorel, et Le Teckel d’Hervé Bourhis. Ils sont aujourd’hui dans les étalages.
Nous vous avons déjà parlé du très touchant Les Pénates d’Alexandre Franc & Vincent Sorel. Nous vous parlerons bientôt de l’album d’Hervé Bourhis. Mais attardons-nous en cette rentrée sur les deux autres titres de cette première fournée.
Le Suisse Sacha Goerg, par ailleurs cofondateur de la maison d’édition L’Employé du Moi, en Belgique où il réside, signe donc pour « Professeur Cyclope » Le Sourire de Rose, une intrigue entre récit intimiste et polar tout en maîtrise.
Desmond, un gentil trentenaire raté qui dispute à son ex-femme la garde de leur fils Théo, rencontre la jolie Rose qu’il bouscule par accident au coin d’une rue. Quand celle-ci se retrouve pourchassée par François, un vieux beau fortuné flanqué de son garde du corps qui revendique l’appartenance de Rose, Desmond se retrouve embarqué dans une histoire qui le dépasse.
Tandis qu’il s’abandonne peu à peu à l’attirance qu’il ressent pour Rose, les problèmes de celle –ci vont prendre une tournure bien plus importante que ce à quoi Desmond pouvait s’attendre.
Initialement créé dans le périodique numérique pour une lecture en mode turbomedia (pour faire simple, c’est avant tout un récit en images sur Internet sur lequel le lecteur contrôle le vitesse de lecture), Le Sourire de Rose a été entièrement recomposé par son auteur pour s’adapter à la lecture papier. Force est de constater que cette transposition s’est effectuée avec succès tant cette version est un album de BD à part entière alors qu’il aurait rapidement pu être un recueil imprimé de sa version web.
Graphiquement maîtrisé, avec mention spéciale pour les cadrages particulièrement soignés, l’album est porté par une mise en couleur délicate et réussie. Le Sourire de Rose est un one-shot au scénario simple mais néanmoins touchant et surprenant : une belle entrée en matière pour la version papier du label.
Que se passerait-il si votre amie imaginaire de quand vous étiez petite, celle qui vous réconfortait quand vous étiez triste, vous poussait à commettre des actes les plus répréhensibles ? C’est le thème d’Iba, deuxième sortie du nouveau label "Professeur Cyclope", une chronique du quotidien qui dérape peu à peu vers l’épouvante.
Malgré le soutien de son groupe de copines, Élise peine à se remettre d’une douloureuse séparation. Vulnérable et à fleur de peau, elle est assaillie par ce qui ressemble à des visions. Leur personnage central est une jeune femme aux yeux vides qu’Élise semble être la seule à voir. Cette jeune fille un peu effrayante aux allures de spectre et aux dents acérées, c’est Iba, l’amie imaginaire de son enfance. Alors qu’Élise reprend progressivement sa vie en main, les apparitions d’Iba se font de plus en plus nombreuses, pressantes, voire violentes. Qui est véritablement Iba ? Son amie ? Sa gardienne ? Ou une présence dévorante dont Élise ne peux plus se défaire ?
À cheval entre récit d’un groupe de jeunes citadines bien ancrées dans le quotidien et une histoire d’épouvante, Pierre Maurel chronique une emprise d’autant plus glaçante qu’elle s’habille d’une apparente normalité.
Car tout paraît plus ou moins banal dans la vie de d’Élise, et ce personnage d’Iba, au début surprenant, prend une place naturelle à ses côtés lorsque l’on comprend, grâce à une série de flashbacks très habiles, qu’elle est présente à ses côtés depuis toujours.
Ce sont les actes que celle-ci fait commettre à Élise, et l’escalade dans leur gravité, qui font peu à peu prendre conscience de la terrible influence d’Iba et qui font basculer le récit dans l’horreur. L’intrigue est très bien servie par un trait affirmé et des cadrages serrés très oppressants.Le style graphique n’est pas sans rappeler Daniel Clowes et son célèbre Ghost World, ce qui renforce notre sentiment de lire, de prime abord, une chronique normale de gens normaux un peu désabusés. Le côté fantastique très mesuré et particulièrement bien dosé fonctionne alors remarquablement bien.
Le scénario est clairement un des réels atouts du livre, en dévoiler trop serait dommageable au plaisir de lecture. Néanmoins, ce n’est pas trop en dire que de citer des références comme The Shinning ou L’Exorciste pour décrire l’ambiance générale du récit où réalité et hallucinations finissent par se télescoper et perdre (un peu) le lecteur. Mais ce n’est que pour mieux le surprendre, et à ce titre, Iba est une vraie réussite.
(par Gallien Chanalet-Quercy)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion