Résistance : une église du comté de McMinn, Tennessee, accueillera des lectures de Maus.

Les levées de boucliers ont été nombreuses après cet acte de censure mal travesti par une idéologie qui se drape derrière une certaine idée de la moralité et de la pudeur. Ben ouais, l’extermination de masse, l’oppression, c’est sale et pas vraiment joli à regarder. Ça dérange même. Mais il va falloir s’y faire, c’est la moindre des choses, on appelle ça un travail de mémoire. À minima.

Attention image sale. Salement réaliste ! Mais il faut la regarder en face.

© Art Spiegelman.

Bon, le résultat de ce petit exercice de censure ordinaire a eu des effets plutôt contraires, tant mieux. Puisque quelques actes de résistances très concrets ont fait barrage à cette tentative de piétiner la réalité de l’Histoire humaine dans ce qu’elle a de plus dérangeante. C’est pourtant pas les exemples qui manquent.

Mieux dans ce cas, Maus, récit qui rend palpable comme rarement les horreurs des camps nazis, a depuis cette mise au ban du district scolaire du comté de McMin, bénéficié d’une attention nouvelle qui lui permet de tutoyer le sommet des ventes de livres actuellement.

C’est là qu’on sourit : un censeur et son talon qui écrase, quelle que soit la largeur de sa chaussure, la gauche ou la droite, ne peut penser à tout. Il a une bonne excuse : de fait, le plus souvent il réfléchit comme une godasse, en bon suiveur. Aussi, souvent, la réalité ne l’intéresse pas.

Alors, des actes de résistances se sont multipliés ? Justement, ce jeudi 3 février à 19 heures, Clare Brown, recteur de l’église épiscopale St. Paul, au centre-ville d’Athens dans le comté de McMinn, Tennessee, a organisé une lecture en direct de Maus.

Acte de résistance mais aussi d’ouverture, à saluer : "Rejoignez-nous pour une conversation de style club de lecture sur le roman graphique Maus, lauréat du prix Pulitzer en 1992. Ce livre documentaire et créatif raconte l’histoire de Vladek Spiegelman, un survivant juif de l’Holocauste, et de son fils, l’auteur." a recommandé l’homme d’église, décidé à ne pas s’en laisser conter.

Photo : DR.

Clare Brown, maintenant, n’y va pas par quatre chemins pour expliquer son action, incisif et lucide : "Pourquoi avoir cette conversation à l’église ? Trop d’églises chrétiennes en Europe et aux États-Unis n’ont pas protesté contre les événements qui se déroulaient sous la direction d’Hitler en Europe, se détournant de la souffrance et de l’oppression par peur ou par le sentiment erroné que ces événements ne les concernaient pas. Nous savons que la violence antisémite n’est pas une chose du passé mais affecte les communautés à travers le monde et notre propre État aujourd’hui, et nous nous engageons à lutter contre la haine et le mal. Dans l’Église épiscopale, lors de notre baptême, nous nous engageons à lutter pour la justice et la paix entre tous et à respecter la dignité de chaque être humain."

© Art Spiegelman.

Depuis ce tollé, le conseil scolaire du comté de McMinn a fait une déclaration officielle, pas vraiment plus éclairante, au contraire, si ce n’est pour justifier un certain puritanisme, encore, comme d’autres jonglent avec la bonne morale, les mêmes au fond : "L’un des rôles les plus importants d’un conseil scolaire élu est de refléter les valeurs de la communauté qu’il dessert. Le conseil scolaire du comté de McMinn a voté pour retirer le roman graphique Maus des écoles du comté de McMinn en raison de son utilisation inutile de blasphèmes et de nudité et de sa représentation de la violence et du suicide. Dans l’ensemble, le Conseil a estimé que ce travail était tout simplement trop axé sur les adultes pour être utilisé dans nos écoles."

"Nous ne diminuons pas la valeur de Maus en tant qu’œuvre littéraire percutante et significative, poursuivent-ils, et nous ne contestons pas non plus l’importance d’enseigner à nos enfants les leçons historiques et morales et les réalités de l’Holocauste. Au contraire, nous avons demandé à nos administrateurs de trouver d’autres œuvres qui accomplissent les mêmes objectifs éducatifs d’une manière plus adaptée à l’âge. Les atrocités de l’Holocauste étaient honteuses au-delà de toute description, et nous avons tous l’obligation de veiller à ce que les jeunes générations apprennent ces horreurs afin qu’un tel événement ne se reproduise jamais.
Nous ne croyons tout simplement pas que ce travail est un texte approprié pour nos étudiants."

Puisqu’ils le disent....

Maus le "roman graphique". Ben non...

Toutefois, puisque le sujet principal de tout ceci semble d’ordre éducatif, vrai ou pas, on en profite pour rappeler à tout ce joli monde que le "roman graphique" n’est rien d’autre qu’un simple format, une appellation commerciale, et que la BD n’a rien à voir, vraiment rien, mécaniquement, avec la littérature.

D’ailleurs Maus, récit sérialisé au départ conçu et publié comme tel, regroupé ensuite en recueil est devenu, concrètement même si ça en déçoit certains, un trade paperback pour les volumes souples et un hardcover pour les livres à couverture rigide. Ce n’est pas un roman graphique, format épais pour une histoire longue, de tous sujets et toutes formes, pensée et publiée d’un bloc.

Ici comme ailleurs les faits on un sens, et ils sont têtus. Il convient donc de les respecter et ne pas les réécrire ou les interpréter selon les représentations qui arrangent. Là encore.

C’est dit. Avant tout et surtout, esprit de résistance, parce qu’il n’y a pas de réécriture des faits, petites ou grandes pour faits petits ou grands, qui ne soit anodine.