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Richelle & Wachs : "Vent printanier était le nom de code pour la Rafle du Vel d’Hiv"

Par Charles-Louis Detournay le 2 octobre 2008                      Lien  
Abordant une triste page de notre Histoire par le biais de personnages profondément humains, Richelle et Wachs nous donne une autre idée de la France occupée.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Philippe Richelle : Je suis arrivé chez Glénat avec mon projet des quatre diptyques de Secrets bancaires, et en présentant plusieurs dessinateurs, j’ai accroché au travail de Pierre.
Pierre Wachs : Bien entendu, nous nous sommes vus pour mettre au point les grandes lignes de la série, mais comme la plupart des duos d’auteurs, nous profitons d’Internet pour nous envoyer les planches et les visions diverses que nous en avons.

Et alors débarque l’idée de Vent printanier !

Richelle : Nous voulions prolonger la bonne collaboration que nous avons eue sur Secrets bancaires, tout en changeant également le cadre évoqué.
Wachs : Dans ma carrière, j’ai tour à tour travaillé pour des séries historiques ou actuelles, sans avoir réellement de goût plus prononcé pour l’une ou l’autre. Bien sûr, chaque période historique représente un autre univers avec ses costumes et ses décors, ce qui demande un travail de recherche de documentation pas toujours aisé.

Richelle & Wachs : "Vent printanier était le nom de code pour la Rafle du Vel d'Hiv"

Justement, pour Vent printanier, on admire souvent l’arrière-plan dans votre album, avez-vous fouillé dans les quotidiens d’époque ?

Wachs : Il y en avait malheureusement très peu, mis à part la presse de propagande. Je me suis basé sur certaines revues, et aussi sur des photos et cartes postales. J’ai ainsi retrouvé des témoignages de concours de beauté à la piscine Molitor pour donner un bel aperçu de l’ensemble, tout en gardant une vérité historique, maillots compris ! Concernant les couleurs, j’ai trouvé peu de photos, et elles avaient souvent virés pour laisser une prédominance de rouge, il a donc parfois fallu imaginer, tout en laissant la place au goût du jour.

En comparant Vent printanier aux Secrets bancaires, votre trait semble moins posé, comme pour donner une touche de flou à l’arrière-plan, simulant le regard d’une caméra.

Wachs : J’ai pourtant travaillé de la même manière sur les différents albums, tout en renforçant les détails de Vent printanier, mais je voulais aussi conserver un côté plus brut du crayonné qui donne du velouté. Comme je travaille sur calque, c’est parfois compliqué de préjuger de l’aspect final. Selon les teintes globales de la page, je dois alors essayer de plus ou moins marquer ce trait de crayon pour qu’il semble homogène tout au long de l’album.

Vent printanier se centre surtout la collaboration, et cette évidente facilité à y ‘succomber’ …

Richelle : Il y a une différence entre engager une conversation avec un Allemand, et participer à un trafic, voire à une délation. On distingue ainsi la collaboration idéologique, de l’économique, motivée par un besoin financier. Ce sont ces voies diverses que nous évoquons dans la première partie de ce diptyque. De plus, au début de la guerre, le gouvernement de Vichy tentait de protéger les intérêts nationaux, en s’opposant d’ailleurs encore à des partis fascistes. Plus tard, sous la pression des Allemands, et la direction de Laval, les réticences tombèrent les unes après les autres.

Philippe Richelle (g) & Pierre Wachs (d)

Pourtant, le gouvernement de Vichy va fournir les listes qui vont servir aux fameuses rafles ?

Richelle : Oui, c’est éminemment complexe. Nous montrons qu’au début de l’occupation, Vichy veut empêcher le pillage des ressources nationales, et nous assistons donc à la lutte entre le service du contrôle économique, et les Allemands qui ont des moyens financiers disproportionnés par rapport à l’État français.
Wachs : D’une manière plus commune, la vérification des valises du retour de la campagne, avec les excédents alimentaires fournis par la famille, faisait aussi parties du contrôle économique.
Richelle : D’ailleurs, est-ce de la collaboration que de vendre, même indirectement, à l’occupant, alors qu’on est terriblement dans le besoin ? Des milliers de gens ont agi de la sorte. Concernant les lois anti-juives, il faut rappeler que même si les mentalités étaient fortement antisémites à l’époque, les français ont obtenu la gestion de ce problème.

N’acceptant pas cette situation, certains policiers dénonçaient les mesures radicales, et grâce à leur indication, ont empêché une partie de la Rafle du Vel’ d’Hiv …

Richelle : Malheureusement, il n’y a qu’une très faible partie qui en a réchappé, car ces policiers ‘désobéissants’, comme l’est un des nos personnages, ne sont que marginaux. La plupart d’entre eux ont suivi les ordres. Dans Paris brûle-t-il, on voit bien qu’à la Libération, on élit un nouveau chef de la police, pour appliquer toujours la loi, même si elle a changé de direction. C’est ce qu’on attend d’ailleurs de la police. La seconde partie du diptyque va monter en puissance et aborder plus spécifiquement la page tragique de la rafle.

Cette période historique vous tient particulièrement à cœur ? Vous l’évoquez aussi dans Amours Fragiles et le Rebelle.

Richelle : Tout cela s’inscrit dans une démarche d’écriture autour de cette période charnière de l’Histoire, car le monde d’aujourd’hui est encore complètement défini par les évènements qui s’y sont déroulés. En BD, mais aussi en roman et au cinéma, on se contente souvent d’évoquer la Résistance, ou certains hauts-faits connus, alors qu’on sait maintenant grâce aux dernières recherches historiques, qu’une minorité de Français a œuvré au sein de la Résistance, et qu’on a d’ailleurs maximisé les portées de leur action.

Concernant Secrets bancaires, la césure entre les deux tomes est abrupte. Il n’était pas possible de réaliser des albums plus gros et comprenant chacun un chapitre entier ?

Richelle : En BD, nous sommes confrontés à un problème de pagination, et la réalisation d’album plus conséquent aurait entraîné un sur-coût qui n’aurait sans doute pas été bénéfique à la série. Nous aurions pu revenir au noir et blanc pour diminuer le prix de revient, mais la majorité des lecteurs tiennent à la couleur. Sur un album dont on veut maintenir un prix abordable, on peut tirer jusque 54, voire 60, mais cette limite demeure la plus contraignante de la bande dessinée.

Vous avez également repris le dessin des Coulisses du Pouvoir.

Richelle : J’avais commencé par être dessinateur au journal Tintin, puis je suis passé au scénario, mais après le départ de Jean-Yves Delitte, je voulais continuer moi-même cette aventure avec Casterman. Cela m’a pris énormément de temps sur le tome 7, moins sur le 8 car j’ai fait appel à un encreur. C’est difficile de prévoir le futur des Coulisses du Pouvoir, comme il est compliqué de reprendre une série quand un des auteurs a quitté le navire. Le sujet m’intéresse toujours, mais je peux prolonger l’aventure, ou m’orienter vers une nouvelle série, similaire à l’esprit que nous avions avec Jean-Yves. C’est une série dont le fond roule très bien, ce qui est une des forces de Casterman, par rapport à d’autres éditeurs. C’est un gros boulot pour les commerciaux, et à mon sens, sur le long terme, ils ont raison : il faut continuer à être présent en librairie, autant pour le fond que la nouveauté.

Quels sont vos futurs projets ?

© Wachs/Mazeau/Glénat

Richelle : Glénat me demande deux autres diptyques de Secrets bancaires, mais si Dominique Hé sera de la partie, Pierre sera peut-être remplacé par un autre dessinateur car nous voudrions lancer une autre série historique chez Casterman, le futur tranchera. Sinon, je continue bien entendu Amours Fragiles, et j’entame un one-shot traitant d’une histoire policière contemporaine avec Marc-Renier, que nous poursuivrons sans doute dans la même veine avec d’autres récits.
Wachs : Je dois encore travailler sur le second hors-série du Triangle Secret, Montespa, avec Didier Convard, et je participe aussi à la nouvelle série de Glénat, Disparitions, tiré de la sérié télé de France 3, et scénarisé par Jacques Mazeau, sans compter le second tome de Vent printanier, qui est déjà bien entamé.

(par Charles-Louis Detournay)

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