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Riss : "Un livre n’influence pas une élection présidentielle. C’est un fantasme !"

Par Xavier Mouton-Dubosc Thomas Berthelon le 25 février 2007                      Lien  
Rencontrés avant l'ouverture du [procès de Charlie Hebdo->http://actuabd.com/spip.php?article4739&var_recherche=charlie%20hebdo], le scénariste de "La Face kärchée de Sarkozy", Richard Malka, et son dessinateur Riss ont bien voulu revenir pour nous sur la production de leur BD-enquête et ses à-côtés.

Richard Malka, vous êtes l’adaptateur de l’ouvrage de Philippe Cohen sorti chez Fayard sur Sarkozy, et Riss, le dessinateur de La face karchée de Sarkozy, coédité chez Vents d’ouest et Fayard, pourquoi avoir adapté ce livre en BD ?

Malka : Ce n’est pas du tout une adaptation, cela a été pensé dès l’origine pour être une BD. Philippe Cohen a fait une enquête comme pour un livre, j’ai scénarisé cette enquête, et Riss l’a dessinée. Philippe avait envie d’enquêter sur Nicolas Sarkozy, et se disait qu’un livre n’intéresserait que peu de personnes, et que celles-ci seraient uniquement attirées par les livres politiques, alors qu’une BD serait beaucoup plus grand public. A l’approche des élections présidentielles, il y avait un réel intérêt à informer le public à propos d’un présidentiable, de manière à toucher un public qui ne s’intéresse pas forcément à la politique. Et par ailleurs, il considérait que Sarko avait un trait caricatural qui se prêtait très bien au genre de la BD.

Riss, vous êtes justement caricaturiste, notamment pour Charlie Hebdo, c’est un vrai plaisir de se dire : "j’ai un scénario, j’ai de la matière, je vais me lancer à long terme sur un personnage que je fais habituellement vivre dans un journal" ?

Riss : Effectivement, c’était l’intérêt du projet. Pour Charlie Hebdo, je dessine les homme politiques dans des situations furtives, éphémères. Ici, c’était l’occasion de dessiner la vie presque entière d’un homme politique. C’était vraiment unique, un projet très intéressant.

C’est quand même assez dégueulasse, cette manière d’enfant d’école primaire, de s’attaquer aux plus petits. Sarkozy est en effet parti de bien bas, moins d’1,65m...

M : (rires) Vous pouvez tout à fait le voir comme cela, cela ne me gêne pas du tout. Nous n’avons pas voulu faire un pamphlet, tomber dans l’excès, mais informer. Nous, citoyens, avons tous la mémoire courte. Elle porte sur les six derniers mois, les deux dernières années, mais pas avant. Et surtout pas sur la carrière des hommes politiques depuis qu’ils ont débuté. De mon côté, je ne me suis jamais dit : "Je vais me faire Sarkozy". Nous faisons effectivement rire à ses dépens, il faut bien l’avouer, et cela ne m’aurait pas dérangé de faire de même sur Ségolène. Philippe Cohen avait eu, lui, une démarche plus engagée. Mais vraiment, elle était d’informer, et de faire en sorte qu’il y ait un fond de réalité. Après, nous faisons rire, il y a des gags, nous exagérons, c’est une caricature, mais nous sommes restés très proches de la réalité.

R : C’est toujours pareil, il y a des hommes politiques qui prêtent plus le flan à la critique que d’autres. Les situations politiques dans lesquelles se trouve Sarkozy, sa carrière, ses débuts à Neuilly, la période Balladur sont des sujets assez consistants.

M : Les hommes politiques sont des personnes assez amples. Ils ont commencé très tôt, ils ont une carrière extrêmement riche en rebondissements, trahisons, guerres, et c’est nécessaire pour que nous y consacrions plus de 120 pages. C’est vrai qu’il y a des hommes politiques dont la carrière occuperait seulement 10 pages. Tout le monde ne peut donc pas se prêter à cet exercice.

Riss : "Un livre n'influence pas une élection présidentielle. C'est un fantasme !"
A gauche : Riss, à droite : Richard Malka.
Photo : (c) Thomas Berthelon

Il y a eu une enquête, des recoupements, vous avez contacté des témoins de sa vie privée, d’autres qui ont assisté aux coulisses des grandes messes politiques. Ont-ils lu la BD ?

R : Certains ont dit qu’ils s’étaient bien marrés. Je crois même que Villepin, dans la presse, a dit que c’était son livre de chevet (rires).

M : Oui, dans Le Figaro.

Il y pense tous les matins en se rasant ?

R : Je ne sais pas, mais en tout cas, ce livre l’a amusé. Nous en avons amusé au moins un ! (rires)

M : Bizarrement, les chiraquiens ont adoré ce livre ! (rires) On nous a envoyé des lettres de remerciement.

En 1995, les Guignols de l’info ont été accusés d’avoir légèrement influencé le scrutin en rendant Chirac sympathique. Serez-vous prêts à assumer la sortie des urnes en mai 2007 ?

R : Je ne suis pas sûr qu’un livre influence une élection nationale d’une telle ampleur. Je pense que c’est toujours un peu un fantasme. Je doute vraiment d’ailleurs que les Guignols aient influencé les élections en 1995.

M : Tout à fait. Ce serait très vaniteux de penser que nous puissions influencer, comme cela, une élection.

Malka, vous êtes scénariste la nuit mais, de jour, vous êtes aussi avocat. Pensez-vous que pour une attaque en diffamation, un livre tiendrait mieux qu’une BD face à un juge ?

M : D’un point de vue juridique, c’est extrêmement compliqué de poursuivre cet ouvrage. Car il y a la jurisprudence sur le droit à l’humour. Si Sarkozy venait me consulter pour attaquer ce livre, je m’arracherais les cheveux que je n’ai déjà plus. (rire général) C’est très compliqué, au-delà du fait que les éléments sont fondés sur une enquête qui, à mon sens, est vraiment sérieuse.

Riss, avez-vous déjà été attaqué pour vos dessins ?

M : Oui. C’est même moi qui l’ai défendu. (rires)

R : C’était pour "incitation à la haine raciale".

M : Par des catholiques.

R : C’était au tout début de Charlie Hebdo. Il s’agissait d’une association d’extrême droite intégriste qui considérait que faire des dessins satiriques avec le petit Jésus, c’était du racisme. Les dessinateurs sont assez peu attaqués pour diffamation. La diffamation consiste à relater des faits donnés pour réels alors qu’ils sont faux. Nous utilisons plutôt la satire, l’excès, l’outrance !

M : Si je me rappelle bien du dessin, il invitait les lecteurs à aller chier dans les bénitiers. (rires)

R : Je dois préciser que c’était en représaille à des commandos anti-avortements qui entraient dans les hôpitaux pour souiller le matériel nécessaire aux opérations.

Pendant la production de l’album, avez-vous été influencés par les autres parodieurs et commentateurs satiriques, concernant la caractérisation du personnage ?

R : (il réfléchit) Non, pas vraiment...

M : C’est surtout l’actualité qui nous influençait.

R : Il fallait essayer de faire en sorte que le livre colle un peu à l’actualité. A un moment donné, il a bien fallu arrêter, même si l’actualité continue. Certains éléments ne sont pas dans le livre car il fallait bien qu’il sorte. Quand nous nous réunissions tous les trois, nous ne savions pas ce que cela allait donner. La sauce allait-elle prendre ? Dans les premières pages, nous tâtonnions. Au bout d’un moment, nous nous demandions si seulement la formule choisie fonctionnait bien, si elle était viable.

M : Nous devions tout inventer. C’était la première fois que nous produisions une BD-enquête. Il y avait des codes à trouver, c’était un projet lourd, compliqué. La limite était l’absence de réactivité. Nous avons mis plus d’un an à réaliser le projet, et nous ne pouvons pas faire la même chose sur la campagne, car l’objet sortirait dans un an, et plus personne n’en aurait rien à faire !

© Riss / Vents d’Ouest / Fayard

Nous allons entamer la partie culturelle, avez-vous déjà été invités pour une promotion sur l’antenne de TF1 ?

M : Non.

R : Non. (rires)

Cela vous plairait de vous y prêter ?

R : Non.

M : Cela ne me gênerait pas. Mais je garderais ma totale liberté de parole.

Il y a une partie fiction dans la BD : une thèse de doctorat soutenue devant un jury pluriracial, qui manque quand même de neutralité. Seriez-vous donc prêts à pondre la même chose sur Ségolène Royal ? Auriez-vous assez d’éléments pour le faire ?

R : C’est la question que tout le monde nous pose : "Quand faites-vous Ségolène Royal ?". Ecoutez, nous allons attendre un peu, nous sommes crevés.

Elle n’a peut-être pas encore pondu assez de sottises ?

R : Euuuuuuh... Elle va nous dépasser, là ! (rires) Il faudra deux tomes. Il faut voir aussi comment va évoluer la situation politique en France, pour voir s’il y a matière.

M : Nous retombons sur ce que je vous disais tout à l’heure. Si elle n’est pas élue, plus personne n’en aura rien à faire. Et comme il nous faut un an, c’est dommage de lancer le projet maintenant. Ce n’est pas possible.

R : Sur le principe, pourquoi pas ? Nous sommes ouverts à tous les projets dignes d’intérêt.

Et si Le Pen était au second tour ?

M : Je n’en ferai jamais sur Le Pen, car il faut vraiment que je me mette dans la peau du type, que je vive avec lui, que je ressente une certaine empathie. A un moment, Sarkozy m’était sympathique, d’ailleurs. Pour trouver les bonnes répliques, il me faut me mettre dans sa peau. Et je n’ai pas envie de le faire avec Le Pen.

Donc, vous pensiez à Sarkozy le matin en vous rasant ?

M : J’y ai pensé, oui. [1]

Question masochiste : vaut-il mieux être l’ami de Nicolas Sarkozy ou le concubin de Ségolène Royal ?

R : Houla ! C’est vraiment du masochisme dans les deux cas ! (rires)

M : Joker ?

(par Xavier Mouton-Dubosc)

(par Thomas Berthelon)

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Cet entretien est disponible en mp3 sur la page de l’émission radio "Supplément week-end".

En médaillon : Riss par © Thomas Berthelon

[1Lors de l’interview, Richard Malka arborait une barbe de trois jours.

 
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2 Messages :
  • ... Par contre une élection présidentielle influence des livres... J’avoue trouver un peu dommage les bandes dessinées qui fleurissent actuellement et ayant pour thème Sego ou Sarko... C’est vraiment de la bédé kleenex qui sera illisible dans un an grand max... et qui surfe sur l’actualité pour essayer de vendre le plus le plus vite tant qu’on parle du personnage central à la télé... je trouve ca un peu insultant pour le milieu de la BD en général...

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    • Répondu par LO le 1er mars 2007 à  12:39 :

      Franchement, je ne vois aucune justification à votre remarque. Si l’on suit votre raisonnement, un auteur de bandes dessinées "insulte" ses pairs en traitant de l’actualité et en assumant une obsolescence à moyen terme de son travail. Et pourquoi pas ? Pensez-vous franchement que la Face Karchée fasse de l’ombre à Bourgeon, Tardi, Arleston, Rabaté ou Tezuka ? Je ne partage vos craintes. Au contraire je pense que de tels albums permettent d’élargir le domaine et de confirmer la bande dessinée en tant que medium complet. C’est tout le secteur qui en profite tant artsitiquement qu’economiquement. On peut d’ailleurs espérer qu’avec des succès publics aussi flagrants la presse généraliste daigne à nouveau ouvrir ses pages aux strips et autres feuilletons d’actualité en BD.
      Libérons la bande dessinée vivante !

      Répondre à ce message

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