Partir. Pourquoi et comment sont des questions secondaires quand nous savons où aller. Le jeune homme de Road to Nowhere le sait. Il veut se rendre à l’autre bout du monde, même si c’est encore plus loin qu’il ne peut l’imaginer, même si cela ne présente que peu d’intérêt, même s’il ne peut pas savoir combien de temps il partira.
Un sac à dos et une carte, une volonté inébranlable et un peu de curiosité amènent le héros - en réalité assez ordinaire - de Pao-Yen Ding [1] à vivre des aventures hors du commun. Le taxi qui le conduit jusqu’à une station de bus renverse une créature en voie d’extinction, créature vaguement anthropomorphe mais au « visage » troué de dizaines d’yeux. Celle-ci se retrouve dans le coffre du taxi après que le chauffeur l’a charcuté, au prétexte qu’il pourra en tirer de larges bénéfices : ses yeux peuvent servir de lentilles d’objectifs d’une précision exceptionnelle, sa chaire est meilleure que celle d’un bœuf de Kobé et son sang vert parfume à merveille le thé au lait.
Il y a de quoi avoir les tripes remuées. Notre jeune voyageur parvient néanmoins jusqu’à sa station de bus... Où il apprend que le départ qu’il attend est reporté de vingt-quatre heures ! Il fait alors la rencontre d’une jeune femme, avenante, espiègle et prête à le conduire au moins pour un bout de chemin. C’est donc reparti, direction l’autre bout du monde.
D’autres surprises attendent le héros et le lecteur. Nous apprendrons, notamment, le secret du monde. Rien que ça ! Nous aurons surtout l’occasion de lire une histoire intrigante et de découvrir un auteur à l’imagination débordante et au trait délicat. Dans un style qui rappelle le crayonné, Pao-Yen Ding construit un monde étrange, où le réel et le fantastique se télescopent.
Les détails étranges font le sel de ce récit, autant que ses rebondissements. Léger et merveilleux, il ouvre pourtant des pistes de réflexion sur nos civilisations contemporaines. La place des métropoles, l’oubli de notre condition éphémère et l’importance de la mémoire sont parmi les sujets effleurés par le dessinateur. Rien de pesant cependant : la fantaisie domine... Et donne envie de connaître davantage un auteur qui, pour un Européen, est de l’autre bout du monde.
(par Frédéric HOJLO)
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Road to Nowhere - Par Pao-Yen Ding - Misma éditions - traduit du mandarin taïwanais par Li-Chin Lin - 16,5 x 22 cm - 80 pages en noir & blanc - couverture souple avec rabats et bandeau - parution le 18 janvier 2019.
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[1] Né en 1988 à Taipei, il a fondé sa propre maison d’édition, nommée Morning Anxiety, et s’est essayé à différents domaines artistiques.