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Robert Sikoryak (auteur de Masterpieces Comics) : " Je me sens comme un acteur qui doit incarner un grand texte."

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 19 février 2012                      Lien  
Né en 1964 au New Jersey, Robert Sikoryak a grandi avec les comics, que ce soit en les lisant dans les quotidiens auxquels étaient abonnés ses parents ou dans les comic-books de Jack Kirby et Steve Ditko publiés par Marvel que ramenaient ses deux frères plus âgés. Il vient de publier "Masterpieces Comics" (Vertige Graphic), une "BD OGM", rencontre improbable entre la BD américaine et la grande littérature.
Robert Sikoryak (auteur de Masterpieces Comics) : " Je me sens comme un acteur qui doit incarner un grand texte."
Masterpieces Comics de Robert Sikoryak
Éditions Vertige Graphic

Comment en êtes-vous venu à l’idée de cette parodie ?

J’ai été en contact avec une grande quantité de parodies dès l’enfance. Mad Magazine en était truffées. Cette idée de prendre un élément de la culture populaire et de le tourner en dérision est quelque chose que j’ai apprécié tout jeune, que ce soit à la télévision ou dans le magazine National Lampoon. Ce que je fais aujourd’hui prolonge cette disposition enfantine.

Vous avez étudié la bande dessinée ?

J’ai été en école d’art. J’ai un peu fréquenté la School of Visual Arts [1] mais j’ai obtenu mon diplôme à la Parsons New School of Design [2] Mon prof, Steven Guarnaccia, connaissait Art Spiegelman et Françoise Mouly et, grâce à cela, j’ai pu réaliser mes premières BD pour Raw alors que j’étais encore étudiant. J’étais super-honoré, car j’adorais Raw qui était LA revue en vue chez tous les graphistes dans les années 1980.

Lors de l’un des cours qui m’avaient été dispensés à la School of Visual Arts sous la direction de Paul Karazik, j’avais fait un parodie d’un texte de John Cage, en usant comme il le fait de matériaux existants : j’avais utilisé le style des Funny Animals. C’était en 1989. Cela intéressa mes profs comme Spiegelman qui me commanda des BD dans le même esprit, c’est à dire un mixage entre les classiques de la littérature et ceux de la BD. J’ai multiplié ce genre de travaux pour Raw Magazine, pour des recueils comme Snake Eyes...

"La Métamorphose" de Kafka revisitée par Sikoryak. (en VO)
(C) Sikoryak

Et cela a donné ce livre...

Oui. En 2000, j’ai rencontré l’éditeur canadien Drawn & Quaterly. Il était intéressé de publier un recueil de ces différents travaux.

Robert Sikoryak avec l’ambassadeur des Etats-Unis Charles Rivkin lors de l’inauguration de l’exposition "Parodies" au Musée de la Bande Dessinée à Angoulême en janvier .

Comment arrivez-vous à exprimer votre propre identité au travers de celles de tous ces artistes que vous parodiez ?

Je me sens comme un acteur qui doit incarner un grand texte ou un personnage, je prends ces parodies comme des dérivés de mon propre style lorsque j’entreprends de les dessiner. Ce qui m’intéresse au fond, c’est que le travail soit bien fait et l’effet d’amusement réussi.

Cette façon aussi d’aborder les grandes œuvres avec ironie, ce n’est pas une façon d’exorciser le complexe d’infériorité qu’elles suscitent chez vous ?

Bien sûr que oui ! Lorsque j’étais étudiant, le temps était au post-modernisme, à l’opposition entre la "haute" culture et la "basse" culture (Hight Culture / Low Culture), les Beaux-arts contre la culture populaire, etc. Il y avait une exposition sur ce sujet au Museum of Modern Art aux alentours de 1990. Raw également travaillait pour la promotion de cette bande dessinée qui représentait une portion congrue dans les statistiques de vente dans ce temps-là ou qui était considérée comme "vulgaire" comme Nancy de Ernie Bushmiller qui était une bande dessinée très intelligente et très bien faite mais qui était déconsidérée parce qu’elle s’adressait principalement aux enfants. J’ai voulu me référer à de telles œuvres et en même temps aux chefs-d’œuvre de la littérature qui est l’un des Beaux-arts, exactement comme le faisait Mad Magazine dans les années 1950 en parodiant la Joconde par exemple.

Dostoieski remixé avec Batman...
(c) Sikoryak

Certaines de vos travaux ont d’ailleurs fait l’objet d’une place à part dans le cadre de la grande exposition sur la parodie au Musée de la BD d’Angoulême, l’année dernière. Cela vous a fait plaisir ?

Je suis très flatté. Je constate que la perception culturelle a beaucoup changé aux États-Unis depuis que j’ai commencé ces parodies. À l’époque, certains membres de l’Establishment trouvaient cette approche insultante, mais aujourd’hui, on voit des pédagogues s’en servir pour présenter ces pages à leurs élèves comme une introduction ludique à ces chefs-d’œuvre. Cela fait bizarre de constater cela. Dans le même ordre d’idée, retrouver ces planches dans un musée en Europe montre avec quel sérieux on aborde la BD ici en comparaison avec les USA. Je trouve que c’est une bonne chose pour le public de pouvoir appréhender une production artistique avec différents niveaux de lecture.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Photos de D. Pasamonik (L’Agence BD)

[1École fondé par Silas H. Rhodes et Burne Hogarth en 1947. Elles eut comme prof aussi bien Milton Glaser que Will Eisner ou Art Spiegelman.

[2École américaine dont sont issus aussi bien Norman Rockwell que Edward Hopper, Jasper Johns que Tom Ford et Ai Weiwei.

 
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5 Messages :
  • John Severin figure tutélaire et colossal artiste de la BD nous a quitté le 12 février à 90 ans.Il était toujours actif.Ami de Kurtzman de la première heure, il a collaboré à Mad(et a été rédac-chef de son concurrent Cracked) et surtout aux légendaires EC comics qui sont l’équivalent de la renaissance en peinture pour la BD tant la théorisation de l’art séquentiel y a fait un bon en avant.

    Spécialiste du western et des séries de guerre-entre autres-son dessin superbe,réaliste et documenté, tout en hachures, était reconnaissable entre tous.Et quel travail sur les trames ,le duotone et le duoshade !!L’art de la BD dans sa force première.

    Sa carrière aura épousé le siècle au premier plan.Pourtant,elle sera restée dans un relatif anonymat bien que régulièrement primée. Sa sœur Marie ,tout aussi remarquable encreur est aussi une grande figure du 9 ième art.

    Saluer aussi les vrais grands ne fait pas de mal !

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    • Répondu par Michel Dartay le 21 février 2012 à  19:43 :

      Merci pour l’info sur le départ de John Severin. Effectivement, c’était un immense dessinateur qui n’a pas rencontré le succès mérité. Il travailla parfois sur Nick Fury ou Hulk, mais semblait préfèrer les comics de cowboys ou de guerre. Ses planches dénotent une grande maîtrise de la perspective et de l’anatomie, un peu comme pour Wallace Wood, mais comme vous l’avez rappelé, il ajoutait beaucoup de hachures ou points et il excellait dans l’usage des trames. De façon amusante, il illustra vers 2002 (ère Quesada-Jemas)une mini-série Rawhide Kid d’un ton plutôt léger (mais ce n’est pas lui qui écrivait le scénario qui se moquait du coté "élégant et maniéré" du personnage.

      Puisque l’on parle de comics, une autre mauvaise nouvelle : Gary Friedrich, scénariste, a été condamné à verser 17000$ à la Marvel pour usage abusif du personnage qu’il avait créé, Ghost Rider. Les films du personnage ont coûté cher à produire, et lui se croyait habilité à vendre quelques produits dérivés, puisqu’il était un des créateurs du motard-fantôme. La justice américaine en a décidé autrement, mais il y a un problème, c’est que Gary est désormais âgé et quasiment sans ressources face aux avocats de Disney qui a racheté la Marvel. C’est dommage, le film Ghost Rider 2 (sorti en salles mercredi dernier) est quand même bien meilleur que le premier ("pas difficile" direz-vous).

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      • Répondu par la plume occulte le 23 février 2012 à  13:43 :

        De rien monsieur Dartay,le grand John Severin méritait l’hommage je crois !C’était un vrai grand talent !Pour le reste,le cas de Gary Friedrich:il est certain qu’il vaut mieux avoir crée des personnages pour DC que pour Marvel.Dans une certaine mesure.

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    • Répondu par KP le 22 février 2012 à  03:21 :

      Décidément, je vois que "plume occulte" et moi-même sommes souvent d’accord. Severin mériterait un bel hommage... qu’Akiléos lui rendra indirectement, à lui et à d’autres artistes de son envergure, en rééditant un certain nombre d’histoires issues de "Panic" ou de "Frontline Stories" (un premier tome est disponible).
      Robert Sikoryak, qui est un ami personnel, sait parfaitement à qui il est redevable... C’est un non seulement inconditionnel de Mad et des E. C. Comics, mais c’est aussi un grand admirateur de Gene Colan... comme vous.
      Je ne crois pas en outre, que l’on puisse mettre sa démarche sur le même plan...

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      • Répondu par la plume occulte le 23 février 2012 à  13:54 :

        Monsieur KP,je n’ai rien de particulier contre Robert Sikoryak,et je ne doute pas de sa sincérité.mais pour ce qui est de sa démarche et de celle d’un John Severin,il faut croire qu’il y en a une qui mérite plus les ronds de jambes : et en ce moment c’est un peu l’overdose !Le monde est décidément bien petit......Et fermé !!Mais c’est comme ça...

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