Interviews

Roman Muradov ("Tous les vivants") : "Ce livre, c’est à la fois un aboutissement et un début" [INTERVIEW]

Par Pernelle RICHARD le 8 février 2023                      Lien  
L'illustrateur et bédéiste Roman Muradov publie une troisième BD aux éditions Dargaud, "Tous les vivants". Nous l'avons rencontré à Paris, revenant du festival d'Angoulême où il est allé rencontrer son lectorat français, avant qu'il reparte pour New York.

Nous avons lu que vous aviez écrit et réécrit cette BD plusieurs fois avant d’arriver à cette version finale. Combien de temps est-ce que ça t’a pris en tout ?

Écrire et dessiner cette BD m’a pris deux ou trois ans, mais c’est un projet que j’avais en tête depuis bien plus longtemps. Le résultat est très différent de ce que j’imaginais au départ. Je voulais faire un livre qui parle de suicide mais avec humour, pour faciliter les discussions autour de ce sujet. Au tout début, l’histoire devait se passer sur une croisière et être beaucoup plus comique. Puis mon idée a évolué, mais le personnage principal était quand même plus détendu que dans la version finale, avec une vie sociale active, une vie amoureuse… En fin de compte ça me paraissait forcé, ce n’était pas proche de ce que je ressentais. C’est un récit très autobiographique : après la mort d’une amie proche, j’ai ressenti énormément de tristesse et de culpabilité. C’est cet évènement qui m’a inspiré cette histoire et je ne voulais pas cacher mes sentiments sous l’humour. Peut-être qu’un jour je réaliserai ce projet comique de croisière pour les suicidaires, mais pas maintenant.

Roman Muradov ("Tous les vivants") : "Ce livre, c'est à la fois un aboutissement et un début" [INTERVIEW]
Couverture de "Tous les vivants" - Roman Muradov

C’est votre troisième livre publié en français, toujours chez Dargaud. Ce qui est étonnant c’est que ces trois BD publiées en France (Aujourd’hui, demain, hier, puis Les Aventures de Munich dans Marcel Duchamp et Tous les vivants) n’existent qu’en traduction, elles n’ont jamais été publiées en anglais. Pourquoi ?

C’est simplement dû au fait que, pour l’instant, aucun éditeur américain n’en a voulu. Je pense que le marché de la BD français est très différent du marché américain, beaucoup plus ouvert. Il y a moins de maisons diversifiées aux États-Unis.

Le processus est inhabituel puisque vous avez écrit pour que le texte soit directement traduit. Est-ce que vous avez travaillé particulièrement avec le traducteur ?

En fait, c’est la même personne qui a traduit les trois BD, Charles Recoursé. À chaque fois, je lui écrivais des notes, des indications de traduction. Pour le premier livre, je lui en ai donné tellement que c’était ridicule. C’est qu’il y avait beaucoup de références, de jeux de mots… J’ai eu beaucoup moins de notes pour Tous les vivants parce qu’il est écrit de manière bien plus simple. Et, de toute façon, il y a très peu de texte !

Vous avez adopté un style particulier pour cette BD, plus lâché, moins policé que dans d’autres de vos livres ou illustrations. Pourquoi ?

Je me suis toujours intéressé aux travaux abandonnés, aux brouillons. J’ai décidé de dessiner dans ce style parce ça répondait à une histoire qui parle d’inachevé, d’instabilité, de choses qui ne se terminent pas vraiment. Mais ça a été très difficile ! Avec un style comme ça, c’est beaucoup plus compliqué de savoir quand s’arrêter, quand un dessin est terminé.

Il y a aussi quelque chose d’étonnant à propos de la couleur. Dans votre BD il y a deux mondes, celui des vivants et celui de « l’après ». Pour l’au-delà, vous avez choisi des couleurs vives : du rouge, du rose. Tandis que le monde des vivants est vert pâle, gris, ocre... Pourquoi ce choix ?

C’était simplement une question de contraste, pour bien distinguer les deux. Et pour ce qui est des couleurs du monde ordinaire, du monde des vivants, c’est juste les couleurs que je préfère. Je suis daltonien alors les couleurs vives me rendent presque physiquement malade ! Je préfère ces couleurs délavées. Et puis j’utilise les couleurs de manière symbolique. Quand je n’ai rien de particulier à dire sur une planche, il n’y a quasiment pas de couleur.

Comment est-ce que les lecteurs réagissent pour l’instant ?

Très bien ! Je suis soulagé parce que j’appréhendais les réactions. Le sujet est sensible, alors j’avais peur que les gens trouvent le récit offensant. En plus je voulais contrarier leurs attentes, forcer les lecteurs à constamment remettre en question leur perspective. Donc j’ai été très étonné de voir que c’est mon livre le plus apprécié des lecteurs pour l’instant.

Et est-ce que c’est votre livre préféré dans ce que vous avez écrit jusqu’à présent ?

Je me suis amélioré en tout cas. Dans mes premiers livres, je multipliais les références, les jeux de mots, les choses à décoder. C’était tellement compliqué que c’était à peine lisible. C’était une manière de me cacher, ça m’a pris des années pour apprendre à être plus direct. J’ai passé énormément de temps à travailler sur ce livre, mais au moins tous ces efforts ont permis d’aboutir à quelque chose. Cet aboutissement est aussi un début. J’ai l’impression que ma carrière ne commence que maintenant !

Justement, qu’avez-vous envie de faire ensuite ?

Je ne sais même pourquoi je me suis infligé d’écrire Tous les vivants, je ne suis pas quelqu’un qui apprécie particulièrement les livres tristes ! J’ai eu ma dose de livres lourds à écrire. Maintenant, j’ai envie de faire quelque chose de léger, avec des personnages drôles. Je pense que je vais écrire une série de petites histoires que je diffuserai sur mon compte Substack, peut-être que ça deviendra un livre !

Voir en ligne : Le site de Roman Muradov

(par Pernelle RICHARD)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN : 9782205203844

Tous les vivants - Par Roman Muradov - Traduit de l’anglais par Charles Recoursé - Ed. Dargaud.

Pour suivre Roman Muradov sur Substack

Dargaud ✏️ Roman Muradov Autofiction intimiste Angoulême 2023
 
Participez à la discussion
1 Message :
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Pernelle RICHARD  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD