Pour les Roumains, les événements de décembre 1989 qui aboutirent à la chute des époux Ceausescu ont marqué leur histoire. Le simulacre de procès du « Danube de la pensée » et son exécution ont été largement médiatisés à l’époque. Mais comment le jury « populaire » qui l’a condamné a-t-il été recruté ? Dans quelles conditions s’est faite le « révolution » roumaine consécutive à la Chute du mur et de l’empire soviétique ? C’est précisément le sujet de L’Ours de Ceaucescu d’Aurélien Ducoudray et Gaël Henry chez Steinkis, une farce à la Ionesco ou à la Pirandello qui évoque les derniers moments du couple maléfique.
Une farce qui se penche plus exactement sur le destin baroque des sept personnes qui se font arrêter par la Securitate, la terrible police politique du régime qui entretemps a changé de camp, pour servir de jury-alibi au procès.
Il y a là une jeune femme à peine sortie de l’adolescence, un poète officiel, un clown déjanté, et même un jeune candidat-flic qui vient postuler dans ce service… Des gens ordinaires qui ont du mal à nouer les deux bouts, que l’on réunit là pour résoudre le « problème Ceaucescu ». En clair, pour l’exécuter, histoire que les responsables, les vrais, n’aient pas le sang du dictateur sur les mains, on ne sait jamais, quelquefois que l’histoire se retournerait… L’anecdote de l’ours de Ceaucescu, en particulier, est assez incroyable. Et elle est symbolique dans le contexte que l’on vient de vous décrire, mais nous ne vous racontons pas tout…
Voici un album qui est drôle, singulier, chaotique mais dont le désespoir qui le sous-tend a, lui, a des accents authentiques. Ce genre d’humour macabre est à rapprocher de La Mort de Staline de Fabien Nury et Thierry Robin -dont les Anglais avaient tiré un film- où l’on retrouve ce ton sinistre et drôle de la farce macabre. Un coup de cœur en ce qui nous concerne.
Histoires de ‘89
Histoire de ’89 en bandes dessinées est un collectif à l’initiative de Nicolae Pepene et du Musée départemental d’Histoire de Braşov en Roumanie.
C’est un album édité en français qui réunit 39 auteurs et trois scénaristes roumains qui racontent « leur » version des événements chacun de leur point de vue, entre celui qui a vécu les événements au plus près, par exemple à Timişoara, point de départ de la révolte, jusqu’à ceux qui y ont assisté à la télévision, trop jeunes pour comprendre. 21 d’entre eux avaient moins de 14 ans en 1989 et six ont des certificats de naissance sans l’emblème de la république socialiste.
Dans le dialogue entre Elie Wiesel et Jorge Semprun, Se Taire est impossible (1997, Mille et Une Nuits), les deux hommes qui s’étaient croisés sans se connaître en 1945 dans le camp de concentration nazi de Buchenwald faisaient le constat qu’en dépit de leur proximité, ils n’avaient pas vécu la même expérience, comme s’ils avaient été dans des camps différents…
Dans cet album commémoratif, publié originellement en Roumanie en 1989, les non-initiés que nous sommes, nous Occidentaux, font le même constat et ne démêlent pas trop les fils. Il faut dire que la succession au régime communiste en Roumanie a été douloureuse et complexe et que ces interventions artistiques, à commencer par la préface, font sentir que ces plaies ouvertes voici plus de trente ans restent douloureuses, voire purulentes. C’est un document. Et comme pour l’Ukraine, on le voit bien dans les discours sur la Moldavie et la Transnistrie, c’est une histoire que l’on ne peut plus se permettre d’écrire au passé comme si une page avait été définitivement tournée.
Le webinaire (surtout en roumain, un peu en français) à propos de l’album (sur la page Facebook de l’Institut Français de Bucarest)
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
L’Ours de Ceaucescu d’Aurélien Ducoudray et Gaël Henry – Steinkis
Acheter cet album chez notre libraire partenaire
Histoires de ’89 : en bandes dessinées / traduit du roumain par Mircea Arapu. – Braşov : Muzeul judetean de istorie Braşov, 2020.
Pour acquérir l’album, écrire à son éditeur : Nicolae Pepene nicolaepepene[at]gmail.com