Encore peu présente sur le créneau de la BD pour le jeune public, la maison dirigée par Louis Delas a choisi d’investir ce nouvel espace avec quatre albums disponibles dans les bacs.
Pour cela l’éditeur s’est adjoint la collaboration d’auteurs confirmés comme Jul, Kerascoët, ou Sara Varon. Format adapté aux petites mains (16.5 x 21), thèmes de proximité pour têtes blondes : série animalière, humour… Si la mise en page hésite entre l’album classique et un découpage BD traditionnel, l’ensemble paraît plutôt bien adapté au public visé.
« Mon père, il présente la météo », « Mon père est un graphiste célèbre », cet après-midi là, dans l’étang des grenouilles, ça discute ferme jusqu’au moment où l’une d’entre elles annonce : « Moi, mon père, c’est un héron » !
C’est le point de départ de cet album commis par le dessinateur de Charlie Hebdo, de Marianne, de Il faut tuer José Bové(Vent des Savanes), plus récemment de Platon la gaffe (avec Charles Pépin, chez Dargaud), et surtout de Silex and the City (quatre albums chez Dargaud), la série animée sur Arte.
Dessinateur de presse et auteur de BD à succès, Jul est loin d’être un inconnu mais assurément on n’attendait pas forcément le dessinateur satirique sur ce terrain ! Néanmoins, il nous offre ici un autre aspect de son talent dans un album rafraîchissant et désopilant !
Plus connu sous le pseudonyme de Kerascouet, Marie Pommepuy et Sébastien Cosset ont choisi de nous présenter une sympathique tribu : les Tchouks. Révélés par Miss pas touche (Dargaud) ou Beauté (Dupuis), le couple d’auteurs raconte les aventures drôles et tendres d’une joyeuse bande de copains décidés à construire une cabane.
Péripéties, blagues bon esprit, ambiance douce et enfantine servent de toile de fond à des histoires simples et tranquilles. Dans un second album la fine équipe a choisi de partir en bateau. Un bateau d’accord mais lequel ? Un hors-bord ou un cargo ? Ainsi les jeunes lecteurs feront connaissance avec Tchoukrik, Pitchouk, Tchoubok, Patachouk..., un chat, un lapin, un mouton... Une sympathique ménagerie pleine de malice et d’humour où chacun révèle sa propre personnalité.
Avec Les Tchouks, les auteurs se lancent pour la première fois dans l’édition pour la jeunesse. Si les intrigues sont bien phase avec les préoccupations des petits, faisant une large place à l’humour et la tendresse, les aventures de cette chouette bande de copains ont certainement de quoi séduire.
Avec Des canards trop bizarres, Cecil Castellucci et Sara Varon invitent les jeunes à suivre Gwendoline, une cane qui fait chaque matin des exercices de gymnastique et qui nage avec une tasse de thé en équilibre sur la tête. Chaque soir, avant de se coucher, elle contemple les étoiles. Quelle n’est pas sa surprise quand elle, si bien élevée, voit s’installer son nouveau voisin Elvis !
Celui-ci est plutôt « artiste » : mal peigné et assez farfelu ; tout l’opposé de Gwendoline. Comment deux caractères si différents vont-ils pouvoir se supporter ? C’est tout l’enjeu de cette histoire ponctuée d’humour et qui comme disait l’autre, s’amuse à réfléchir sur le thème de la différence et des préjugés.
Après la collection Puceron chez Dupuis ou Pouss’ de Bamboo, Rue de sèvres tente à son tour d’investir la BD pour les tout petits. Un espace pas si facile à conquérir compte tenu des spécificités du medium et de ce public si particulier de primo-lecteurs.
La proximité éditoriale avec la littérature jeunesse classique ne favorise pas toujours l’identification de livres bien souvent confondus avec les albums de cette catégorie éditoriale.
Le fait que ses lecteurs potentiels ne sachent pas encore bien lire constitue un handicap de taille pour les auteurs qui tentent l’aventure ! Ceux-ci doivent adapter leur propos à un lectorat souvent trop jeune pour influencer la décision d’achat. Le problème, c’est que, le plus souvent, es parents ont tendance à s’orienter vers les séries pour jeunes ados qui ont bercé leur enfance.
De par son fonctionnement particulier, dans l’imaginaire collectif et dans la pratique, la BD, contrairement à l’album, se prête assez mal à une lecture orale par l’adulte sensée endormir nos chères têtes blondes. La description des cases est souvent trop longue, fastidieuse et finit par devenir ennuyeuse tant le texte des dialogues, réduit a minima ne permet pas à l’adulte une véritable lecture orale stimulante et porteuse de sens. Le choix des thèmes et la perception des jeunes enfants limitent les audaces éditoriales et déterminent bien souvent un graphisme sage, figuratif et accessible.
Bien longtemps, le monde des bulles et celui de l’illustration de littérature jeunesse se sont ignorés, les auteurs de chaque camp appartenant à des réseaux et des cultures différents et communiquant donc assez peu entre eux. Ceux venant de la BD étaient jugés peu sérieux tandis que les autres se voyaient investis de rôles plus culturels ou pédagogiques.
Pour un Yvan Pommaux (auteur chez l’École des Loisirs) qui continue à faire des aller-retour entre les deux expressions narratives, combien d’auteurs ont tenté l’expérience ? Rendons donc à ce dernier le mérite d’avoir été l’un des premiers à faire entrer des techniques de la BD (bulles, champs, mise en page...) au sein d’albums de littérature jeunesse désormais "classiques".
La littérature jeunesse reste, par son champ et ses intentions, fortement imprégnée de préoccupations pédagogiques. Ce dernier point impacte encore fortement la réception de la BD pour petits dans les salles de classe ou les bibliothèques. Conquérir ce nouveau public est donc un enjeu difficile pour les éditeurs qui souhaitent se lancer dans l’aventure.
En soumettant des auteurs de renom à cet exercice de style exigeant Rue de Sèvres entend sans doute mettre à profit l’héritage d’une grande maison spécialisée et son savoir-faire en matière d’édition BD largement validé depuis bientôt près d’un an d’existence. Un investissement pour l’avenir, en quelque sorte...
(par Patrice Gentilhomme)
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