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Sacré Bonhomme !

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 26 mai 2007                      Lien  
Avec "Messire Guillaume", scénarisé par Gwen de Bonneval (Dupuis), Matthieu Bonhomme fait cette année une percée remarquée dans le paysage éditorial. Déjà lauréat d’un prix du Premier album à Angoulême, ce jeune Parisien de 33 ans peut espérer recueillir nombre d’autres lauriers dans les mois à venir. Rencontre avec l’une des valeurs montantes de la nouvelle génération.
Sacré Bonhomme !
Rough de couverture pour Messire Guillaume
© Dupuis

Son parcours est celui d’un jeune garçon fou de dessin, qui se destinait à la bande dessinée. Ses parents ont la fibre artistique. Chez les Bonhomme, on aime le cinéma, la littérature, la bande dessinée. Sa mère dessine un peu et adorait raconter des histoires aux enfants. C’est donc tout naturellement que le jeune Matthieu prend le chemin des ateliers du mercredi, puis ceux d’un bac technique option dessin et d’un BTS d’arts appliqués. Dans la bibliothèque familiale, des classiques de la BD : Lucky Luke, Spirou, Gaston... Il en recopiait scrupuleusement les cases. Mais sa grande émotion, c’est Peyo : « C’est mon maître absolu. Dans Johan & Pirlouit et les Schtroumpfs, il est celui qui est le plus intéressé par la narration et par la mise en scène. Il n’est pas a priori virtuose, mais il l’emporte à l’énergie, à l’émotion, à l’investissement. J’admire sa lisibilité parfaite, alors qu’il n’y a pas grand-chose dans ses cases finalement. Il y a un charme incroyable qui se dégage de son travail. C’est toujours très ingénieux, très frais, avec des cadrages simplissimes, de la truculence permanente, des personnages très vivants, une écriture très forte… C’est surtout un très bon dessinateur. Pour moi, c’est l’archétype du dessinateur de bande dessinée, une référence, j’adore ! Après, il y a des dessinateurs plus artistes, comme Pratt, comme Giraud, qui sont de très grands virtuoses, mais il n’y a rien qui apporterait plus à l’histoire que ce qu’il y a dans Peyo. »

Matthieu Bonhomme, un Parisien "depuis plusieurs générations"
Photo : Didier Pasamonik (L’Agence BD)

Initiation

Sorti des Arts appliqués, il démarche des journaux, commence à faire un peu de publicité. Mais, connaisseur des traditions de la bande dessinée, Derib aidant Cosey à ses débuts, Franquin ou Giraud débutants sous l’aile de Jijé…, il recherche un parrainage. Séduit par Jim Cutlass, une série de Christian Rossi qui revendique une tradition de la BD classique, il obtient, en lui écrivant une lettre via son éditeur, qu’il accepte de lui donner des conseils. Le courant passe entre les deux hommes et, de fil en aiguille, il passe des petits séjours chez l’auteur, dans son atelier.

Victor et Anaïs, scénario de Jean-Michel Darlot (2002)
Editions Okapi/Carabas

« J’y ai appris des quantités de choses qui me servent encore tous les jours », témoigne le jeune dessinateur, reconnaissant de cet accueil. Rossi le met en contact avec Jean-Claude Mézières et avec le scénariste Serge Letendre, avec lequel sont conçus des projets qui n’aboutissent pas.

Ce compagnonnage lui semblant profitable, Matthieu Bonhomme cherche un atelier dans lequel il pourra partager son expérience avec d’autres collègues. Or, la plupart de ces lieux sont occupés par des artistes déjà très soudés entre eux. Où en trouver un ? Comme il bosse un peu pour Spirou à ce moment-là, il demande conseil à Thierry Tinlot qui l’aiguille vers l’Atelier des Vosges [1]. C’est une rencontre décisive : là, outre celle de personnalités comme Joann Sfar ou Christophe Blain, il fait la connaissance de deux individualités qui seront déterminantes pour sa jeune carrière : Gwen de Bonneval, son scénariste sur Messire Guillaume, et Fabien Vehlmann qui écrit pour lui les aventures du Marquis d’Anaon.

L’Âge de raison (2002)
Editions Carabas

Après deux ans, avec Gwen de Bonneval, il fonde un nouvel atelier, l’Atelier du Coin, où il retrouve Stéphane Oiry, Nicolas Hübesch, Dorothée de Monfreid (remplacée depuis par Marie Caillou), le scénariste et coloriste Hubert, et un ami photographe, Charlie Jouvet. « Chacun a sa table et bosse dans son coin, raconte Bonhomme. Puis on déjeune ensemble, on discute de tout et de rien, c’est chouette ! »

Les vrais débuts

Autre apport du coaching de Rossi, les rencontres plus faciles avec les professionnels de l’édition et les rédactions abordées avec moins de timidité. Il passe une dizaine de pages chez Bayard dans Je Bouquine, puis dans Okapi, où l’éditeur Benoît Marchon lui fait dessiner Victor et Anaïs sur un scénario de Jean-Michel Darlot [2], « une expérience un peu dure à faire mais qui s’est finalement très bien passée ». Ça y est !, il commence à vivre de la BD et en profite pour mettre au point avec Fabien Vehlmann le premier tome du Marquis d’Anaon, qui sera pris chez Dargaud. Deux projets assez lourds et ambitieux qui l’écrasent un peu et qui l’obligent à compenser avec une œuvre plus légère, plus personnelle. Ce sera L’Âge de raison, un album refusé par tous les grands éditeurs et qu’il place chez Carabas. Il y trouve un tempo plus rapide, plus vif, qui le libère d’autant mieux qu’il fait là son propre scénario.

Le Voyage d’Esteban (2002)
Editions Milan

Quand l’album sort, c’est la surprise : il constate que le plaisir qu’il a pris à le dessiner est communicatif, qu’il est parfaitement ressenti par le public. « Si je suis léger, l’album sera léger ; si je suis drôle, l’album sera drôle ; si je suis déprimé, ce sera déprimant. Il faut donc que je me laisse aller, que je me fasse plaisir pour faire plaisir », constate-t-il simplement. La rapidité de son élaboration, imposée par les contraintes économiques, participe à sa réussite. L’expérience dépasse toutes ses espérances : l’ouvrage rafle le Prix du Premier album 2003 à Angoulême.

Arrive l’aventure de Capsule Cosmique [3]. « J’avais beaucoup envie d’y participer. Comme c’était un projet qui était né dans l’Atelier du Coin, j’aurais pu faire partie du comité de rédaction, mais je ne me sentais pas assez « rédacteur » ou « journaliste » pour le faire. J’ai vu tout le projet se mettre en place. J’ai alors cherché une histoire qui pouvait s’inscrire dans cette aventure et ça a été Le Voyage d’Esteban, une histoire que j’avais en tête depuis des années et qui ne trouvait pas la forme qui me permettait de l’écrire. C’est paru dans le journal, puis en album. Le deuxième volume commençait de paraître au moment où le journal s’arrêtait… Le troisième volume est prêt dans ma tête, je le dessinerai dans six mois à peu près. »

Ex-Libris pour la librairie BD-Fugue
© Dupuis

L’envol

Ces aventures éditoriales, la proximité de l’Atelier, vont favoriser un nouveau projet : Messire Guillaume, une série proposée à Dupuis, que l’éditeur Sébastien Gnaedig accepte avec enthousiasme. Cette fois, c’est son complice d’atelier, Gwen de Bonneval, qui se colle au clavier. « Gwen, comme il est dessinateur, a une façon de voir l’histoire avec le rapport à l’image. Il découpe les histoires de façon très dense », témoigne Matthieu Bonhomme à propos de cette saga. Et c’est une incontestable réussite ! Messire Guillaume est l’une des séries les plus fortes publiées par Dupuis ces dernières années. Située au Moyen-Âge, elle raconte la quête d’un jeune homme parti sur les traces de son père dans un monde fantastique qui emprunte son bestiaire aux légendes médiévales. Le scénario, extrêmement documenté, est transcendé par le dessin de Matthieu Bonhomme qui restitue avec une maestria éblouissante un univers composé de personnages extraordinaires. « Cela a été l’élément qui m’a le plus motivé dans ce projet, témoigne Matthieu Bonhomme. L’élaboration de ces « monstres » m’a permis de sortir de mon dessin, de mes habitudes et de mes réflexes. Ils m’ont obligé à me documenter sur des références graphiques en dehors de l’univers de la bande dessinée pour renouveler mon registre, pour éviter l’écueil qui consiste à confondre le féerique médiéval avec le genre de l’Héroïc-Fantasy ordinaire qui s’auto-copie en permanence. C’était un défi et un plaisir de chercher de nouvelles formes, de nouvelles idées, d’autant que le scénario de Gwen est vraiment nourri par une culture du Moyen-Âge très pointue. »

Croquis pour les Cynocéphales
Dessin de Matthieu Bonhomme
Messire Guillaume, avec Gwen de Bonneval (2006)
Editions Dupuis

Et de fait, son bestiaire ne sort pas de nulle part. Ainsi, ces personnages sans tête dont l’expression est rendue par le torse : « Cela a été pour moi comme une petite blague. Quand on regarde le torse d’un humain, on peut se dire que les tétons sont des yeux, le nombril, une bouche, et que l’axe central qui se dessine au niveau du sternum est comme un nez et que tout cela dessine un visage. Il y a pratiquement la même symétrie sur notre buste que sur notre visage. En fait, ces êtres qu’on appelle les acéphales sont vraiment présents dans les récits de voyage du moyen-âge. Comme les cynocéphales, les griffons et les monstres marins que je dessine. Je m’appuie sur ces représentations pour les restituer à ma façon. C’est étonnant de voir que les mêmes êtres, comme les dragons, se ressemblent dans des civilisations qui ne se sont pas forcément croisées. » Ce travail de recherche nourrit un vision graphique d’une originalité absolue.

La Marquis d’Anaon avec F. Vehlmann (1992)
Editions Dargaud

Un univers fantastique aussi qui, à y réfléchir, n’est si éloigné de celui d’un certain Peyo : « C’est très fondamental dans mon parcours, c’est comme si j’avais fait une boucle. De Franquin en passant par Morris, de ce que j’ai appris dans les écoles d’art ou plus tard avec Rossi, il reste… Peyo, son intelligence, sa virtuosité, son charme. Il y a plein de références conscientes ou inconscientes à Peyo dans cette série. C’est vrai que le petit gamin blond avec sa chèvre peut faire penser à Pirlouit et Biquette. C’est un truc qu’on assume complètement. » Mais l’essentiel est la profonde originalité de cette influence sur un dessin arrivé en pleine maturité. « Je trouve qu’il a un dessin à la fois extrêmement réaliste, et extrêmement synthétique, analyse Fabien Vehlmann. Il ne se perd jamais en détails, il va à l’essentiel. Qui plus est, c’est un excellent « directeur d’acteur », les expressions de ses personnages sont toujours très justes, et je vous assure que ça demande un talent incroyable. » Il remarque aussi son attitude passionnée par rapport au travail : « Comme il sait tout à fait raconter des récits tout seul (comme dans la série « Esteban »), je prends toujours ses remarques et ses critiques très au sérieux. Il a besoin de s’investir totalement dans la conception de l’histoire pour pouvoir la dessiner. » Inutile de dire que les lecteurs sont ravis.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 978280014941

[1L’Atelier des Vosges était situé place des Vosges à Paris. Certains auteurs, regroupés depuis 1992 dans l’Atelier Nawak, rue Quincampoix, avaient créé ce lieu informel de travail à partir de 1995. Parmi les locataires ou les visiteurs de passage de l’Atelier des Vosges, on dénombre quelques-unes des figures majeures de la BD contemporaine comme David B., Christophe Blain, Frédéric Boilet, Marc Boutavant, Émile Bravo, Emmanuel Guibert, Marjane Satrapi, Joann Sfar, Tronchet ou Lewis Trondheim, mais aussi Alain Ayrolles, Gwen de Bonneval, Nicolas de Crécy ou Fabien Vehlmann,...

[2L’album sera publié chez Carabas.

[3Créé aux éditions Milan en septembre 2004, le mensuel Capsule Cosmique est un projet mené par Gwen de Bonneval qui en est le rédacteur en chef. Le temps de 21 numéros, il rassemble une équipe au talent exceptionnel qui propose un mensuel qui tranche avec les usages un peu compassés de la presse jeunesse. Outre Matthieu Bonhomme, on retrouve notamment au sommaire les signatures de Jacques Azam, Hervé Tanquerelle, José Parrondo, Lisa Mandel, Stanislas, Riad Sattouf, Stéphane Oiry, Colonel Moutarde, Jean-Luc et Philippe Coudray, Frantz Duchazeau, David B., Julien Hippolyte, Christophe Blain, Mathieu Sapin, Hubert, Keraskouet ou Émile Bravo. Un must.

 
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