Comment est né le projet Là où vont les fourmis ?
Michel Plessix : Je dois vous avouer que le bouquin qui est sorti est très loin de l’intention originale. Au départ, j’avais envie d’une petite récréation car je venais de passer ces vingt dernières années à travailler sur des séries telles que Julien Boisvert ou Le Vent dans les sables. J’avais envie de proposer des petites histoires courtes pour la presse, particulièrement pour Spirou magazine. J’aime beaucoup l’humour et le non-sens, donc j’ai pensé à mon vieux pote Frank Le Gall, qui avait fait Les Petits Contes Noirs chez Dargaud. Il m’a écrit quelques histoires courtes que nous avons présentées à Dupuis... qui a refusé le projet. Nous nous sommes alors tournés vers nos éditeurs respectifs qui ont également refusé le projet. Après plusieurs mois de démarches, Casterman a finalement accepté et du coup, comme notre BD ne serait plus diffusée dans la presse, nous en avons fait un one-shot. Nous avons complètement retravaillé l’histoire pour en faire un grand conte.
Dans cet album, nous suivons les aventures de Saïd, un petit garçon qui va devenir gardien de chèvres... C’est étonnant qu’il ne connaisse pas son grand-père. Comment expliquez-vous ça ?
Son grand-père passait son temps à garder ses chèvres, c’est la raison pour laquelle Saïd ne le connaissait pas. Par ailleurs, le grand-père est un personnage assez particulier. Au début de l’album, le grand-père est un ermite, un personnage un peu misanthrope. Mais il apprendra aussi au cours de l’histoire. Il va mûrir, malgré son âge.
Comment vous-êtes vous organisés pour la réalisation de cet album ?
Frank (Le Gall) m’a proposé l’univers, ne sachant pas que j’avais déjà travaillé pendant dix ans sur Le Vent des Sables. Il ne savait pas que j’avais déjà traité des histoires orientales. C’est un univers qui me plaît et c’est un point qui m’a beaucoup enthousiasmé dans son projet. Nous avons eu de nombreuses discussions, puis il a écrit son scénario dans son coin sans que j’intervienne ou très peu. J’ai trouvé le titre de l’album et j’ai sans doute ajouté l’une ou l’autre connerie dans les pages mais c’est tout.
Au niveau du dessin, j’ai travaillé de manière classique mais en proposant des cases un petit peu plus aérées que ce que j’ai fait dans mes précédents albums, afin de renforcer la lisibilité. J’ai aussi simplifié mon dessin au niveau des yeux des personnages. Mis à part cela, j’ai conservé mon style graphique. Je suis incapable de faire comme Prado, qui change de dessin selon le type d’histoire qu’il raconte.
Comment décririez-vous Saïd ? Que diriez-vous sur le lui ?
Comme tout petit enfant, c’est quelqu’un qui ne sait pas. Qui cherche sa place dans le monde. Là où vont les fourmis est un récit initiatique, mais pas seulement pour Saïd. Ça l’est aussi pour le grand-père, ainsi que pour le cousin avec sa mobylette. Tout le monde grandit à la fin de l’histoire. D’ailleurs, Serge Le Tendre m’a dit que cet album est un conte initiatique pour adultes pour retrouver les chemins de l’enfance.
Une autre chose qui marque dans cet album c’est que le récit parait intemporel, alors que certaines indications telles que la mobylette, nous montrent que nous sommes dans une époque récente.
Lorsque l’on voyage dans des endroits improbables, on fait aussi un voyage dans le temps. J’ai fait pas mal de séjours au Maroc lorsque je travaillais sur Le Vent dans les Saules. J’aimais m’y rendre pour m’isoler pendant un mois, afin de me concentrer sur mon album. Je faisais non seulement un voyage dans l’espace en me rendant dans ce pays mais je faisais aussi un voyage dans le temps, car je retrouvais des choses, dans les relations entre les gens, que j’ai connues dans mon enfance durant les années soixante et qui n’existent plus ou beaucoup moins aujourd’hui.
Vous êtes-vous beaucoup inspiré des contes et légendes du Moyen-Orient pour écrire cette histoire ?
Alors ça, il faudrait plutôt poser la question à Frank, mais je lui ai conseillé de lire des petits contes soufis. De lire aussi quelques histoires d’un personnage qui est très présent dans la culture musulmane et qui s’appelle Nasr Eddin Hodja. Il est assimilé, dans le Maghreb, au personnage de Joha. Nasr Eddin Hodja est un personnage célèbre car il passe son temps à critiquer le pouvoir sous toutes ses formes, qu’il soit politique, religieux ou autre. Il critique les imams mais sans jamais toucher à la croyance et à la religion proprement dite.
Nasr Eddin Hodja s’attaque aux hommes mais pas aux dogmes, en quelque sorte ?
Oui, c’est exactement ça. Nasr Eddin Hodja et Joha sont même présents ensemble dans certains contes en Pologne. Je vous conseille vivement de lire les histoires de ces personnages. Il y en a pour tous les goûts, il y a même des contes absurdes !
Travaillez-vous sur d’autres projets actuellement ?
C’est un peu tôt pour en parler mais si cela se fait, ce sera également un récit ayant pour cadre un univers désertique mais dans les régions polaires.
Voir en ligne : Hommage à Michel Plessix au festival Quai des Bulles
(par Christian MISSIA DIO)
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En médaillon : Michel Plessix. Photo : Nicolas Anspach
Hommage à Michel Plessix - Festival Quai des Bulles 2017
Du 27 au 29 octobre
Salle Charcot au Palais du Grand Large
Quai St Malo
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Décès de Michel Plessix, le poète bucolique