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Sam Garbarski (Quartier lointain) : « Pour cette adaptation, il ne fallait pas tomber dans le piège de croire que le manga est un story-board »

Par Nicolas Anspach le 22 novembre 2010               Quartier lointain) : « Pour cette adaptation, il ne fallait pas tomber dans le piège de croire que le manga est un story-board »" data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="Linkedin">       Lien  
Pour son troisième film, le réalisateur {{Sam Garbarski}} a adapté le manga culte {Quartier lointain} de {{Jirô Taniguchi}}. Il a situé l’histoire dans les Alpes françaises gardant seulement la trame et les spécificités de l’œuvre originale. L’histoire de Thomas Verniaz (Hiroshi dans le manga), le quinquagénaire qui revit ses quatorze ans, nous est racontée avec beaucoup de retenue, de poésie et de sensibilité. Rencontre avec le réalisateur de ce film réussi.

Après une carrière dans la publicité (il a notamment travaillé avec Godi), Sam Garbaski se tourne vers la réalisation de films publicitaires, puis de courts-métrages. En 2002, il réalise Le Tango des Rashevski, une comédie dramatique racontant les interrogations d’une famille juive face aux choix de la doyenne de la famille, Rosa, qui vient de décéder. Celle-ci détestait la religion et les rabbins, et pourtant, elle souhaitait être enterrée dans le carré juif du cimetière.

Mais c’est surtout le très touchant Irina Palm qui va propulser Sam Garbarski dans le cercle fermé des meilleurs réalisateurs belges. Maggie, une femme d’une cinquantaine d’année, recherche un emploi pour subvenir aux frais médicaux de son petit-fils mourant. Elle trouve une place dans un sex-shop londonien, où elle devient la meilleure « masturbatrice » de SoHo. Garbarski déjoue les pièges du genre et transforme une thématique qui aurait pu être graveleuse en une formidable histoire humaine et sensible. Ce film doit beaucoup à la musique du groupe belge Ghinzu et aux talents d’actrice de Marianne Faithfull.

Pour son troisième long-métrage, Sam Garbarksi joue une nouvelle fois la carte du contre-pied, de la sensibilité, de l’émotion et de la poésie en adaptant le manga best-seller de Jirô Taniguchi, "Quartier lointain".

Thomas (Hiroshi, dans le manga), un auteur de bande dessinée d’une cinquantaine d’année, arrive par hasard dans la ville de son enfance. Voyant que le prochain train qui peut le ramener à Paris ne part qu’en fin de journée, il décide de visiter les lieux de sa jeunesse et de se recueillir sur la tombe de sa mère. Pris d’un malaise, il se réveille quarante ans plus tôt dans son corps d’adolescent. Il est projeté dans le passé et va revivre une partie de son adolescence avec sa conscience et sa maturité d’adulte. Thomas tentera de comprendre les raisons du mystérieux départ de son père.

Nous reviendrons prochainement sur l’adaptation cinématographique de « Quartier Lointain » qui sort dans les salles ce 24 Novembre, en compagnie de deux des acteurs.



Sam Garbarski (<i>Quartier lointain</i>) : « Pour cette adaptation, il ne fallait pas tomber dans le piège de croire que le manga est un story-board »Pourquoi avez-vous souhaité réaliser une adaptation de « Quartier lointain », le manga de Jirô Taniguchi ?

Je l’avais reçu en cadeau de mon ami et scénariste Philippe Blasband. Il m’a prévenu en me le donnant que j’aurais envie d’adapter cette histoire au cinéma. Il a eu raison. Je me suis laissé entraîner et envoûter par cette histoire lors de ma lecture. Jirô Taniguchi y partageait certaines valeurs avec un tel sens de l’épure et une telle poésie que je ne pouvais qu’être sous le charme de cette histoire. Qui n’aurait pas envie de revivre ses quatorze ans, tout en bénéficiant de sa maturité d’adulte ? Cette histoire est universelle et aurait pu être transposée dans n’importe quel pays du monde.
Aujourd’hui, cette explication se révèle fort rationnelle. Mais, au départ, mon envie d’adaptation était portée par mes émotions.

J’ai rencontré de vrais amateurs de l’œuvre de Jirô Taniguchi. La plupart me confiaient, avant d’avoir vu le film, que c’était iconoclaste d’adapter ce manga dans un contexte européen. Jirô Taniguchi est venu en Europe pour soutenir le lancement du film. Il l’a vu et a adoré l’adaptation. L’entendre dire de gentilles choses sur ce film et mon travail me comble de joie.

Son histoire, « Quartier lointain » est universelle. L’action se déroule au Japon, à l’autre bout du globe et est racontée par un auteur qui a une autre culture que la mienne. Et pourtant, après avoir terminé la lecture du manga, qui n’a pas eu envie de faire le voyage d’Hiroshi ? Surtout pour ceux qui ont été enfant dans les années 1960. Il était inadmissible, à l’époque de demander à son père s’il était heureux, ou même de dire à sa maman qu’on la trouve belle ! Aujourd’hui, c’est devenu banal d’évoquer ces sujets avec ses parents. J’ai un fils de treize ans et nous parlons beaucoup.

Thomas (adulte) est incarné par Pascal Gregory
(c) Patrick Muller.

Jirô Taniguchi nous a confié que Nantua, la commune de la région Rhône-Alpes, que vous aviez choisie pour y tourner l’histoire, l’avait marqué.

Ah ! C’était magnifique de voir ses petits yeux brillants lorsqu’il a découvert cet endroit. Il avait les mêmes yeux qu’Hiroshi dans Quartier lointain. Un regard magnifique. Il était si heureux. Ce village était la preuve que l’on pouvait rencontrer une âme et une émotion similaires au Japon et en Europe. Jirô Taniguchi est resté deux jours sur le tournage et a même joué dans le film. On le voit à la fin du film, dans le train lorsque Thomas (Hiroshi, dans le manga) se réveille… Il nous a offert un autre sens à l’histoire du film : Thomas, adulte, s’est assoupi dans le train. Peut-être a-t-il rêvé de cette histoire après avoir lu Quartier lointain et parce qu’il s’imagine voir Jirô Taniguchi face à lui lorsqu’il ouvre les yeux…

Avez-vous une anecdote particulière à raconter à son sujet ?

Il m’a demandé pourquoi j’avais pensé au groupe Air pour la bande originale du film. Je lui ai confié que je portais en moi les sonorités des compositions du groupe depuis le début. J’ai très probablement écouté un de leur disque en lisant le livre. Il m’a répondu que c’était étrange car il dessinait souvent en écoutant Air. Il a tous les disques du groupe formé par Jean-Benoît Dunckel et de Nicolas Godin chez lui.

Les moments que nous avons passés ensembles sont ponctués de petites preuves qui nous ont démontré que nous avions des goûts communs. À Nantua, nous nous sommes arrêtés un instant pour nous reposer sur une terrasse. Je suis d’origine munichoise et il m’est naturel de prendre une bière. Jirô en a commandé une également ! Nous aimons tous les deux la viandes bien cuite, dure comme de la semelle. Ce qui est fort rare. Ce n’est peut-être pas un hasard si j’ai tourné ce film !

Thomas (adolescent) espionne son père.
(c) Patrick Muller

Vous avez dû opérer des choix narratifs pour cette adaptation. Le manga se déroule sur une douzaine de mois, et le film sur une dizaine de jours.

C’était un des pièges que nous avons rencontrés en adaptant cette histoire. Il nous a fallu nous défaire du charme de ce récit. Le rythme est différent entre une bande dessinée (ou un manga) et un film. Dans une bande dessinée, le lecteur choisit son propre rythme de lecture. Celui-ci varie selon sa vitesse de lecture pour les phylactères et le temps qu’il passe sur une case, une planche, pour admirer les dessins. On peut penser que le manga Quartier lointain est une sorte de story-board qu’il nous suffit de suivre et de filmer. Dans le manga, par exemple, Hiroshi met un mois à se rendre compte qu’il est revenu peu de temps avant le départ de son père et qu’il a éventuellement la possibilité de modifier le cours des événements. Pour un film, c’était impossible de tenir compte de ce laps de temps important. Philippe Blasband et moi-même étions confrontés à un véritable problème lors de l’écriture du scénario.Jérôme Tonnerre, un autre de mes coscénaristes, a eu l’idée de faire revenir Thomas (Hiroshi) quelques jours avant le départ de son père. Cela nous a permis d’étendre le champ du récit, et de directement aller à l’essentiel, tout en conservant la poésie du récit originel : Bruno, le père, va-t-il abandonner à nouveau sa famille, ou va-t-il se passer autre chose ? Cette trouvaille scénaristique nous a apporté énormément de facilités pour l’écriture de la suite de l’adaptation. Et puis, il y a des éléments que j’avais envie de mettre dans ce récit : Thomas, adulte, est devenu auteur de bandes dessinées. C’était une manière de rendre hommage au genre qui m’avait fait découvrir cette superbe histoire.

Pourquoi ?

J’ai découvert la bande dessinée tardivement. J’ai grandi à Munich, en Allemagne, et ai été élevé en lisant Mickey Mouse, Fix & Foxi et Tarzan. Ma mère pouvait faire ce qu’elle voulait de moi en m’offrant le dernier Fix & Foxi [1]. (Rires). J’aurais revendu mon âme pour lire leurs dernières aventures ! Je collectionnais leurs albums. Après être arrivé en Belgique, j’ai lu quelques classiques, tels que les albums de Tintin ou les Blueberry. Ces lectures étaient plus occasionnelles. Je percevais la BD comme un moyen de détente et d’amusement, sans me rendre compte que ce genre était aussi riche ! Et puis, Philippe m’a offert ce manga. Maintenant, j’ai beaucoup de plaisir à découvrir de nouveaux albums. C’est vraiment un univers qui est entre la littérature et le cinéma ! Il y a des merveilles. J’ai vu dernièrement le film Tamara Drew, et je viens de lire le récit original de Posy Simmonds ! J’ai fabuleusement rajeuni, en lisant des BD !

(c) Patrick Muller

Pourquoi avoir fait appel à Frank Pé pour prêter son talent graphique à votre personnage, Thomas ? [2]

Nous avons eu énormément de chance qu’il se joigne au projet. Je souhaitais trouver un dessinateur de BD qui ait une personnalité graphique forte. Cela n’aurait eu aucun sens de faire copier ou de reprendre les dessins de Jirô Taniguchi ! L’action se passe en Europe et la sensibilité graphique est différente entre les deux continents. Cela aurait sonné faux ! Il fallait une patte d’auteur, pour donner une authenticité et une sensibilité graphique au projet. Le directeur financier d’ Entre Chien et Loup, une des sociétés qui produit le film, connaissait Frank Pé. Nous nous sommes rencontrés, et en sortant de notre réunion, j’ai eu l’impression de le connaître depuis de nombreuses années. Comme si j’avais été à l’école avec lui …

Vous confiez dans le dossier de presse que le film contient beaucoup de pudeur. Que vouliez-vous dire par là ?

Je voulais plutôt dire « émotion retenue ». Les Japonais retiennent leurs émotions, leurs sentiments. Ils n’embrassent pas leurs amis et ne sont pas très tactiles. Je suis tout l’inverse ! Je souhaitais, sur le plan artistique, faire ce voyage en y incluant une émotion retenue. On le sent dans différentes scènes. Par exemple, lorsque Thomas étreint sa mère, pour lui signifier qu’il est heureux auprès d’elle, ce n’est qu’après s’être couvert d’un drap fraichement dépendu d’un fil dans le jardin. Je souhaitais suivre cette sensibilité japonaise ! Même avec la maturité d’un homme de cinquante ans, Thomas n’ose pas affronter son père…



Les non-dits et les expressions des personnages sont importants pour faire passer les émotions. Je pense particulièrement au rôle du père, qui est incarné par Jonathan Zaccaï…

C’était un challenge ! Ces « , ces instants suspendus où tout se dit sans paroles, sont essentiels dans l’histoire. Jonathan Zaccaï ne voulait pas jouer ce rôle ! Il ne pouvait pas imaginer humainement incarner un homme qui abandonne sa famille. Il m’a confié ses raisons, et je lui rétorqué que c’était exactement ce qu’il fallait faire ressentir dans le film. Jonathan est un d’une nature extravertie. Et là, il joue un rôle où il doit retenir les émotions de son personnage.

J’ai été entouré de comédiens formidables. Léo Legrand, l’adolescent qui incarne Thomas (Hiroshi), est déjà un très bon comédien. Le tournage a été postposé de six mois à cause d’un problème de financement. Nous avons profité de ce temps « libre » pour répéter différentes scènes ou comportements avec certains comédiens. Ainsi, j’ai fait jouer Pascal Greggory une partie des scènes que Léo devait jouer par après. Ce dernier a regardé ces scènes et cela nous a énormément aidé pour que Léo acquière un comportement et une gestuelle d’adulte. Le problème de financement était devenu une opportunité, un cadeau !

Le film contient de nombreuses notes humoristiques. Était-ce un passage obligé ?

Non, c’était plutôt intuitif. C’est plutôt ma recette pour survivre. J’adore l’auto-dérision.

Aimeriez-vous adapter un autre manga de Jirô Taniguchi, comme par exemple «  Le Journal de mon père ».

Ce titre n’est pas ma priorité. Par contre, j’aimerais me pencher sur Le Sommet des Dieux. J’adore la haute montagne et cette histoire m’a interpelé. Mais une telle adaptation est sans doute infaisable. Je n’ose pas imaginer les budgets qu’il me faudrait pour financer une équipe à 3400 mètres d’altitude (Rires).

Quel est votre plus beau souvenir sur le tournage ?

Les yeux de Jirô Taniguchi lorsqu’il a découvert Nantua, incontestablement !

Sam Garbarski & Jirô Taniguchi
(c) Nicolas Anspach

(par Nicolas Anspach)

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Le Film Quartier Lointain, sur Actuabd.com, c’est aussi :
- Jirô Taniguchi : "Il faut apporter une nuance dans l’état intérieur des personnages pour susciter l’émotion" (Novembre 2010)
- Quartier Lointain : Comment adapter une BD au cinéma ? (Octobre 2010)
- "Frank Pé au service de « Quartier Lointain », le film tiré du manga culte de Jirô Taniguchi." (Octobre 2010)
- "« Quartier Lointain » de Jirô Taniguchi prix de la meilleure BD adaptable au cinéma" (Mars 2004)


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Photos de Sam Garbarski & de Jirô Taniguchi (c) Nicolas Anspach
Capture du film : (c) Patrick Muller

[1NDLR : L’Allemand Rolf Kauka crée en 1953 Fix et Foxi, une bande dessinée animalière proche de l’univers inventé par Walt Disney. Le succès est tel que Kauka est obligé de créer peu après un studio pour alimenter des revues enfantines.

[2Les dessins que Frank Pé a réalisés pour le film sont visibles sur son site officiel.

 
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