Prenez une pile de comic books des fifties. Découpez-les avec délicatesse. Mélangez avec application les morceaux ainsi obtenus, puis séparez-les avant de les réassembler de façon faussement aléatoire, c’est-à-dire de manière à créer des effets presque psychédéliques. Avec un peu de chance, pas mal de talent et beaucoup de travail, vous aurez alors une bande dessinée proche de celles créées par Samplerman.
S’il privilégie dorénavant les outils numériques, Yvan Guillo - le vrai nom de Samplerman, qui signe aussi Yvang - a débuté par le dessin « traditionnel ». Il participe à divers fanzines dans les années 1990 et 2000 : La Monstrueuse, Hôpital Brut, Jade... Il a également fondé sa propre publication en 1992, intitulée Crachoir et c’est dans la revue Gorgonzola, des éditions L’Égouttoir, qu’il publie son premier montage [1]. Albert le pouce pied est son héros, plutôt éloigné de ceux qu’il duplique maintenant.
Au début des années 2010, Yvan Guillo se lance dans un projet qui va finalement le tenir occupé un long moment. Il continue effectivement de creuser ce sillon : réinventer des bandes dessinées à partir de matériaux anciens, classiques et iconiques. Piochant allègrement dans la bande dessinée américaine mainstream des années 1950, dont une grande partie est libre de droits, il en tire des échantillons - les fameux samples donc - qu’il réemploie pour ses propres créations.
Couper, copier, multiplier et coller des images brutes de la culture pop : ce n’est pas nouveau. Samplerman est un continuateur des artistes du pop art certes, mais son terrain de jeu reste exclusivement la bande dessinée, ou presque puisqu’il ne dédaigne pas la vidéo. D’une bande dessinée à une autre : le processus est complexe, mais la cohérence esthétique est indubitable.
Samplerman joue avec les codes de son médium. Répétition des motifs, effets de miroir, compositions classiques ou planches explosées, intégration des bulles et des onomatopées, personnages archétypaux malmenés, travail sur le rythme... Il assemble tous les éléments préalablement enregistrés pour construire de pseudo-récits aussi abscons que leurs ancêtres étaient prévisibles. L’absence de narration linéaire rend paradoxalement ses œuvres très accessibles. Nul besoin de déchiffrer, de décrypter ou de traduire : tout lecteur peut laisser son regard vagabonder et son esprit s’entortiller.
Les scans de comics s’effacent peu à peu, laissant la place à une œuvre atypique, sorte de méta-bande dessinée qui cache sa véritable identité derrière une série de masques. Comme si la bande dessinée était finalement un art virtuel. Seule l’impression donne à l’image une matérialité : de la banque d’images à la diffusion en passant par le montage, tout est numérique dans le travail de Samplerman [2].
Le lecteur est donc invité à découvrir ses œuvres en ligne. Mais d’autres possibilités existent néanmoins : quelques publications, auto-éditées pour la plupart, mais aussi une exposition à Angoulême, dans les locaux de l’École européenne supérieure de l’image qui a remis à Samplerman son Prix 2019 [3]. C’est la promesse d’un voyage à travers le temps - des années 1950 aux années 2010 - et à travers la bande dessinée - du mainstream américain à l’alternatif européen - avec l’assurance d’en avoir les pupilles écarquillées.
(par Frédéric HOJLO)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Tous les visuels sont sous copyright : Samplerman - Yvan Guillo. Photographies : F. Hojlo.
Exposition Samplerman
Du 24 janvier au 9 mars 2019
Dans la verrière de l’École européenne supérieure de l’image
134 rue de Bordeaux
16000 Angoulême
Entrée libre du lundi au vendredi de 10 h à 17 h
Consulter le site de l’auteur & son compte Instagram.
Lire un entretien sur The Comics Journal (en anglais, propos recueillis en mars 2017 par Frank M. Young) & découvrir les détails de la démarche artistique ainsi qu’une partie des œuvres sur le-terrier.net.
[1] Un sample de Jean-Claude Poirier, Gorgonzola n° 19, octobre 2013.
[2] Tumblr sert en effet à la fois de ressource et de support de diffusion.
[3] Ce Prix a été doté par la Fondation d’entreprise Martell, qui s’est également engagée à exposer les œuvres du lauréat à Cognac.
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