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Sandawe : la fin d’un rêve

Par Charles-Louis Detournay Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 13 avril 2019                      Lien  
Sandawe, le pionnier du crowdfunding pour la bande dessinée en France et en Belgique fondé par Patrick Pinchart, baisse le rideau. Une triste cessation d'activité pour une maison qui n'a pas démérité.

La nouvelle est tombée comme un couperet en cette fin de semaine : Sandawe interrompt ses activités ! Dans un communiqué laconique publié son site Internet, l’éditeur participatif a publié l’information suivante : "C’est avec tristesse que nous devons vous annoncer que, lors d’une Assemblée Générale Extraordinaire le mercredi 10 avril 2019, le Conseil d’Administration de la SA Sandawe a décidé d’arrêter les activités de la société. Sandawe.com et les sites satellites (shop.sandawe.com et comptoirbd.sandawe.com) ainsi que les pages dédiées des réseaux sociaux vont donc être mises hors-ligne. Nous tenons à remercier tous ceux qui ont cru en cette belle aventure humaine qui a permis de rassembler des milliers de passionnés de bande dessinée, auteurs et libraires."

Une aventure historique pour la bande dessinée francophone

Fin 2009, Patrick Pinchart, ancien rédacteur en chef de Spirou et éditeur chez Dupuis, également fondateur (et toujours président) d’Actuabd.com, avait lancé Sandawe, la première maison d’édition dont le financement était basé sur la méthode du financement participatif : le Crowdfunding, un portail qui mettait en relations auteurs et leurs futurs "édinautes", des lecteurs-investisseurs.

Comment offrir une nouvelle chance d’exister dans un marché encombré ? Voilà la question à laquelle souhaitait répondre son fondateur Patrick Pinchart. Évoluant dans la bande dessinée alors depuis plus de 30 ans, le créateur d’ActuaBD se lançait donc dans un pari novateur : proposer un portail permettant de mettre en lien les auteurs désireux de placer leurs nouveaux projets avec de potentiels investisseurs, des ’édinautes’, par le biais de cette nouvelle maison d’édition, Sandawe ! =

"Un des soucis majeurs qui touche les nouveautés", nous expliquait alors Patrick Pinchart, "C’est le manque de visibilité dans les points de ventes, car les albums sont souvent noyés entre les séries installées, les best-sellers et les 4600 parutions annuelles. Sandawe s’appuie donc sur une communauté rassemblant tous les types d’intervenants de la bande dessinée : auteurs confirmés ou non, lecteurs, journalistes, libraires et éditeur. Les lecteurs vont pouvoir participer au financement des albums, suivront les étapes de leur création, tout en soutenant leur promotion."

Sandawe : la fin d'un rêve
Avant de créer Sandawe, Patrick Pinchart a été rédacteur en chef du Journal Spirou (à deux reprises) et éditeur chez Dupuis.
Photo : Charles-Louis Detournay

Sur un marché de la bande dessinée en pleine mutation, l’éditeur bouleversait la donne, en proposant un lien de passion et de confiance entre les auteurs et les lecteurs, par le biais de nouveaux outils numériques. Une initiative qui annonçait une mutation profonde de l’édition de bande dessinée, en particulier dans le secteur de la BD alternative. Le succès ne s’est pas fait attendre car, quelques mois après ce lancement, et en dépit d’un grave accident subi par Patrick Pinchart, le financement d’un premier album consacrait son implication.

Rapidement, la communauté des édinautes s’est agrandie : après une demi-douzaine d’ouvrages, la maison d’édition passe progressivement différentes étapes, augmentant son catalogue et sa production, tout en attirant des auteurs d’horizons de plus en plus variés, jusqu’à toucher quelques cadors de la profession, comme Raoul Cauvin.

L’initiative a été prise très rapidement au sérieux. Dès 2011, le groupe Média-Participations (Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Kana, etc.) s’alliait avec le chef de file français du crowdfunding dans le domaine musical, My Major Company, pour créer une entité concurrente. L’affaire se dissipa dans les limbes de l’oubli.

Une innovation qui a de l’avenir

Le palmarès fut relativement contrasté : certains auteurs y trouvèrent rapidement leur compte, comme Vadot, ou les séries Sara Lone et Parallèles, qui ont été jusqu’au leur terme avec succès avant que la maison d’édition ne cesse ses activités.

Quelles sont les raisons de cet échec ? Sans doute la volonté d’associer un financement interne à l’édition. En décembre 2013, ActuaBD faisait un premier bilan de ce marché émergent faisant le constat que Sandawe dominait ses concurrents de la tête et des épaules : 32 projets pour Sandawe, 18 pour KissKissBangBang, 12 pour Ulule et 7 pour MMC. "La différence de rendement entre ces diverses activités se situe dans le statut de leurs opérateurs : Sandawe est un "pure player", totalement impliqué dans ses projets, tandis que Média-Participations/MMC, Ulule ou KissKissBankBank ont bien d’autres chats à fouetter..."

Six ans plus tard, ce sont les "pure players" de la finance qui ont gagné, KissKissBankBank et Ulule multipliant les projets avec des réussites fulgurantes. D’abord parce qu’ils avaient une assiette d’investisseurs plus large, ensuite parce qu’ils étaient plus diversifiés dans leurs actions (ils finançaient aussi bien des livres, que des revues, des expositions ou des festivals) sans être dépendants de la construction d’un catalogue et d’un distributeur. Ces derniers temps, Sandawe en était réduite à devenir une plate-forme de support pour des projets clés en main. Cela a généré de beaux succès : par exemple Sourire 58 des Éditions Anspach.

Pilotée pour sa partie BD par Jean-Samuel Kriegk, la plateforme de financement participatif KisKissBankBank enchaîne les opérationss réussies.
Finançant notamment La Revue Dessinée, Ulule a également quelques jolis succès à son actif.

Que vont devenir les projets en cours de financement ?

"Je tiens à rassurer tout le monde !!, écrit Benoit Prieur de l’Association Sculpteur de bulles sur la page Facebook de l’auteur Erik Arnoux, J’ai appris ce matin la fin de l’aventure éditoriale pour Sandawe, la maison d’édition participative à l’origine de la publication des 4 Sara Lone d’Erik Arnoux et David Morancho, dont nous sommes en train de préparer le tirage de luxe des tomes 3 et 4. NOUS PUBLIERONS COMME CONVENU CE TITRE. Nous n’avions à ce jour pas encore signé les contrats avec Sandawe ni versé aucun royalties auprès de cet éditeur. Il ne s’agit que d’une question de direction des paiements de royalties à effectuer pour nous (soit nous payons Sandawe, soit un liquidateur s’il en existe un et que les auteurs ne récupèrent pas pleinement leurs droits à la fin de l’aventure Sandawe, soit directement les auteurs).

Très actifs sur les réseaux sociaux, les auteurs de Sara Lone avaient réussi à financer quatre titres sur la plateforme Sandawe. La série a été traduite en espagnol et en néerlandais.Les auteurs conservent leurs droits.
© Arnoux / Morancho

Il ajoute :Rien de tout cela n’empêche notre publication. Nous bloquerons de notre côté la somme des royalties contractuels à verser tant que cette affaire ne sera pas clairement résolue, mais le TT sortira comme prévu fin juin début juillet, et ce avec le plein accord des auteurs. Concernant le projet de statuette, il en va de même. Nous devrons juste éclaircir un point administratif avant de donner une date de début der production." Sandawe a été confié à un administrateur judiciaire qui doit solder les comptes, Patrick Pinchart restant à la disposition des uns et des autres pour toute explication.

De son côté, Nicolas Anspach qui a fondé en 2017 sa propre maison d’édition, communique ceci : « Nous avons appris, ce matin, l’arrêt du site de financement participatif Sandawe. Avec le succès de Sourire 58, différents projets en marge de cet album, la publication de sa suite, Léopoldville 60, n’est pas menacée. Nous tiendrons nos engagements envers les édinautes qui ont participé au financement participatif avant le 4 février 2019. L’album et les contreparties associées seront bien envoyés.... « Léopoldville 60 » sortira bien en octobre prochain. Nous comptons faire un peu d’ombre à Astérix et à la fille de Vercingétorix ! Les Gaulois n’ont qu’à bien se tenir… »

Récemment paru, Sourire 58 des éditions Anspach a été un des plus gros succès de la plateforme Sandawe.

De jour en jour, de nouvelles logiques économiques induites par les innovations technologiques se mettent en place, opérant leur œuvre de "destruction créatrice", comme le constatait l’économiste Schumpeter. Ces efforts n’ont pas été vains : ils ont permis d’expérimenter de nouvelles voies de financement qui soutiennent tous les jours des nouveaux acteurs alternatifs, même si, en face, les actes de décès sont aussi nombreux que les actes de naissance.

(par Charles-Louis Detournay)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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12 Messages :
  • Sandawe : la fin d’un rêve
    14 avril 2019 07:49, par Erik A

    Ce n’est pas un commentaire d’Erik Arnoux qui est cité dans l’article mais de Benoît Prieur des sculpteurs de bulles.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 14 avril 2019 à  08:18 :

      Vous avez raison. Nous avons reprécisé la chose.

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      • Répondu par Erik A le 16 avril 2019 à  17:52 :

        idem : pour la traduction des tomes de Sara Lone, c’est en espagnol, (et ça fait plaisir au dessinateur David Morancho qui en est originaire) ainsi qu’en hollandais ET en allemand. (omis dans la légende. On relativise toutefois, c’est assez anecdotique et sur un faible tirage...) Sans oublier d’autres projets autour de l’anglais, mais pour le moment en stand by en attendant que ça se décante.

        Précisons quand même aussi que non, nous n’avons pas les droits sur notre travail à l’instant T. Et que je ne sais pas comment ça se passe à moyen terme. On attend de voir de quelle façon les choses évoluent.

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  • Sandawe : la fin d’un rêve
    14 avril 2019 11:41, par Matthieu

    Contributeur (à petit niveau) sur Sandawe, je trouve quand même fantastique de découvrir l’information en essayant de me connecter au site !!?!?

    Le principe de faire participer les internautes sur Sandawe fait d’eux des sortes d’actionnaires, tout au moins des porteurs de projets. Un mail pour prévenir de cette décision (pas pour nous y faire participer, non non juste pour prévenir) aurait été bienvenu. En tout cas sûrement plus élégant qu’un simple "D’autres informations seront prochainement publiées sur cette page" qui s’adressent à tout le monde et donc sans attention particulière à ceux "qui ont cru en cette belle aventure humaine..." comme l’affiche également la page.

    D’autant que les réseaux sociaux sont également mis hors-ligne... Bref, c’est bizarre cette communication qui exclu les investisseurs qu’on a pourtant régulièrement sollicité quand il s’agissait de faire les beaux jours de la plateforme.

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    • Répondu par olivier le 14 avril 2019 à  18:09 :

      Je partage à 100 % cet avis !

      La moindre des choses aurait été de prévenir personnellement les édinautes

      Répondre à ce message

      • Répondu par simon brauman le 15 avril 2019 à  08:35 :

        Auriez-vous des informations concernant l’avenir du journal de BD "L’Aventure", financé en crowfunding par Sandawe et dont le rédacteur en chef n’est autre qu’Alain Dekuysche ?

        Répondre à ce message

      • Répondu par Fred le 10 mai 2019 à  21:12 :

        j’ai également eu connaissance de la (très) désagréable nouvelle en essayant de me connecter sur le site.
        quid, des sommes versées par les édinautes ?
        à mon petit niveau, j’en suis à pas loin de 1000€ de ma poche.
        mon but n’a jamais été de gagner de l’argent mais plutôt de participer à quelque chose qui me paraissait sympa et, accessoirement, d’avoir quelques belles dédicaces.
        ce que j’apprécie très peu (euphémisme), comme manifestement tout le monde, c’est la manque d’informations, même pas un simple mail en copie.
        bref, pas content je suis.

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    • Répondu par Norbert le 15 avril 2019 à  14:17 :

      Idem ! Mais la communication n’a jamais été le fort de Sandawe.
      Quel gâchis.

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  • Sandawe : la fin d’un rêve
    15 avril 2019 12:16, par hugfr

    Juste une petite précision de forme. N’y aurait-il pas une confusion de terme ?
    Dans un communiqué lacunaire publié son site Internet => lacunaire / lapidaire

    Le second peut entraîner le premier, mais je ne crois pas que le rédacteur souhaitait mettre en que le communiqué était incomplet.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 15 avril 2019 à  15:24 :

      Vous avez raison évidemment. C’était "laconique" qu’il fallait lire.
      Pour les différentes questions posées, nous laissons les gens de Sandawe répondre directement sur notre forum.

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  • Sandawe : la fin d’un rêve
    18 avril 2019 21:57, par Toussaint

    Donc comme beaucoup de personnes je viens de m’apercevoir que le site Sandawe vient de fermer (merci pour l’information ?)
    Quand est-il des projets en cours (Gentlemen,etc ) l’argent a-t-il été versé aux projets ou bien ils sont perdus dans les méandres de certaines poches indésirables.
    J’aimerais aussi que les auteurs soient un peu plus présents qu’ils puissent informer leur investisseurs de la finalité de leurs projets
    J’imagine que Sandawe doit pouvoir leurs fournir nos mails

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